ÊTRE DIGNE DE L’ÉVÉNEMENT
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- Catégories Articles, Biographie et Histoire, Chroniques Contemporaines et Pensées, Démarche Saluto, Histoire
- Date 2 juin 2023
J’ai le grand plaisir de publier ici un article de Romain Wargnier avec qui j’ai le bonheur d’échanger dans le cadre de nos recherches au sujet de la démarche Saluto. Ce qu’il a à nous transmettre est essentiel dans l’approche historique des événements. Vous trouverez le pdf de l’intégralité de ce texte (24 pages au format A5) et le développement que Romain Wargnier fait du point de vue de la démarche Saluto, sur le site, sous l’onglet média/livres. Il vous est offert. Vous n’avez plus qu’à le télécharger. Vous êtes également invités à échanger avec l’auteur en laissant un commentaire en bas de cette page.
Bonne lecture. Guillaume Lemonde
DES ÉPOQUES ET DES HOMMES : “ÊTRE DIGNE DE L’ÉVÉNEMENT”
Un apport de la démarche saluto dans le domaine de la recherche historique
Romain Wargnier – 25 mai 2023
L’histoire est une science humaine. Faire de l’histoire, c’est parler des hommes davantage que des époques. On oublie trop souvent que ce sont les hommes qui font les époques, et non l’inverse. La Renaissance n’est pas tombée du ciel un beau matin. Elle a d’abord vécu dans des individus, dont les impulsions ont peu à peu été partagées par d’autres. C’est ainsi que les nouvelles conceptions du monde en matière de géographie, d’astronomie, d’art, ont pu se répandre et devenir peu à peu un bien commun.
Pourtant n’est-ce pas aller bien vite que d’affirmer tout bonnement que ce sont les hommes qui font les époques ? Que signifie alors être un homme de son temps ? N’est-ce pas celui qui est à la hauteur des enjeux de son époque, et donc finalement forgé par elle ?
La réponse à ce paradoxe n’est pas anodine. Elle a des conséquences incalculables. Pour approcher ce mystère d’un peu plus près, j’aurai volontiers recours à la pensée d’un immense philosophe français du XXème siècle : Gilles Deleuze.
Deleuze développe dans son œuvre un concept de l’Evénement qui nous est fort utile lorsque nous tentons de nous représenter ce que peut bien vouloir dire « être à la hauteur des enjeux d’une époque ». Toutes les citations reproduites ici proviennent de son ouvrage Logique du sens. (vingt et unième série de l’événement.)
Au fond, ce qui survient dans la vie et qui nous atteint, n’est pas encore ce qu’il nomme événement. « L’événement n’est pas ce qui arrive, il est, dans ce qui arrive, le pur exprimé qui nous fait signe et nous attend. » Ce sont les époques qui portent « ce qui arrive ». Ces époques qui se succèdent depuis que l’homme est l’homme ne sont pas, du point de vue de «ce qui arrive », différentes les unes des autres. Les guerres, les famines, les maladies, la misère et la souffrance, ont peuplé les époques, indifférentes à toute notion de temps. Certaines époques ont pu être plus calmes que d’autres, mais ici ça n’est pas une question de quantité. Qualitativement, une guerre en vaut une autre. L’événement, au sens deleuzien, ça n’est pas cela. Mais alors qu’est-ce que ce « pur exprimé qui nous fait signe et nous attend » ? Deleuze cite alors Joe Bousquet, poète et écrivain français dont il pénètre la pensée qui médite sur la blessure qu’il a reçue en 1918. « Tout était en place dans les événements de ma vie avant que je ne les fasse miens. Et les vivre, c’est être tenté de m’égaler à eux comme s’ils ne devaient tenir que de moi ce qu’ils ont de meilleur et de parfait. » Le philosophe reprend alors la parole : « Ou bien la morale n’a aucun sens, ou bien c’est cela qu’elle veut dire. Elle n’a rien d’autre à dire : ne pas être indigne de ce qui nous arrive ». Nous commençons à comprendre de quoi il est question. Dans les enjeux d’une époque, et répétons-le, ces enjeux sont au fond toujours les mêmes du point de vue extérieur, se cachent d’autres enjeux, plus intérieurs. Les premiers concernent le décor de l’homme, les seconds, l’homme lui-même, avec cette question que nous ne parvenons pas à voir lorsque les malheurs frappent, mais qui pourtant est écrite en lettres d’airain dans chaque opération du destin : Seras-tu digne de ce qui t’arrive ?
Cette dignité passe par un accueil.
Accueillir les événements de notre vie. C’est une volonté. Cette volonté n’est pas crispée, elle ne tend pas vers un but. La volonté qui se crispe vers un but est une volonté dure qui ne peut à aucun moment rencontrer l’événement. Il s’agit d’un autre type de volonté, une volonté douce. Si la première revêt l’apparence d’une lance, la seconde est une coupe. S’ouvrir à ce qui arrive et s’y lier, c’est cela, la volonté qui accueille. Au lieu de rejeter les événements, nous nous lions à eux, et nous liant à eux nous pouvons à présent véritablement les vivre au niveau requis. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’autre phrase de Bousquet que Deleuze cite dans son texte : « deviens l’homme de tes malheurs, apprends à en incarner la perfection et l’éclat ». Il ne s’agit pas de fatalisme ni de résignation, bien au contraire, mais de cette « volonté spirituelle qui veut non pas exactement ce qui arrive, mais quelque chose dans ce qui arrive, quelque chose à venir suivant les lois d’une obscure conformité humoristique : l’Evénement. C’est en ce sens que l’Amor fati ne fait qu’un avec le combat des hommes libres ». Plus loin, la pensée de Deleuze atteint des sommets : « devenir digne de ce qui nous arrive, donc en vouloir et en dégager l’événement, devenir le fils de ses propres événements, et par là renaître, se refaire une naissance, rompre avec sa naissance de chair. Fils de ses événements, et non pas de ses œuvres, car l’oeuvre elle-même n’est produite que par le fils de l’événement. »
Nul homme au sens véritable du mot n’est le fils d’une époque. L’époque ne porte pas l’homme en son sein. Elle se propose certes comme décor dans lequel l’homme peut s’engendrer lui-même, devenir le fils de ses événements, mais elle n’a pas le pouvoir de lui donner naissance. C’est à lui que revient ce choix. Se donner, ou non, naissance. Au fond l’homme véritable n’advient que lorsque celui-ci est digne des événements de son temps. Toutes les fois ou ça n’est pas le cas, c’est autre chose qui prend en l’homme la place de l’homme. Cet autre chose que nous apprendrons à connaître peut tout autant écrire l’histoire que l’Homme lui-même.
Romain Wargnier
1 commentaire
Bonjour Guillaume. Merci de nous partager ce texte de Romain. Cela me fait du bien de voir mises en mots des choses que je perçois mais que je ne saurais pas exprimer de cette façon claire.
Et comme il s’agit d’un écrit, je me permets, selon mon “statut” de correctrice, de vous faire remarquer les “coquilles” qui s’y sont glissées :
la volonté de Dieu, quel que soit son nom.
Les somnambules
ait jamais reconnue (l’autorité)
deux voies possibles
qui laisse ouverts tous les possibles ou bien qui laisse une ouverture sur tous les possibles
la colère) Effacer l’espace avant )
c’est être présent. Effacer le deuxième point
qui l’ont dominé (qui ? l’ à savoir Hitler)
position : « comprendre Rajouter l’espace après :
l’Occident
dérangent. Espace
elles aussi et non pas elles-aussi
encore plus important (niveau)
pendulaire, le
deviennent, à cet endroit, si importantes (avec 2 virgules, ou sans du tout de virgules)
sentiment. espace
et quel que soit notre enjeu …
dans lequel, à chaque seconde,
propre à ces quatre dynamiques,
et une autre mauvaise.
pour parvenir à être dignes (dans tout le reste du texte le nous est conjugué au pluriel, sauf un des deux nous-même)
d’un éveil à soi.
MERCI pour tout ce travail autour des quatre qualités – stabilité intérieure, profondeur intérieure, courage et confiance – qui honorent un mental et des sentiments humains et qui permettent à l’Homme d’agir et non de réagir. MERCI pour ce rappel auquel j’essaie de me tenir, sans y parvenir à tous les coups.
Belle journée à vous,