IL FAUT QU’IL CROISSE ET QUE JE DIMINUE
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Au sujet de la Saluto, Démarche Saluto, Le Je, Relation thérapeutique
- Date 10 mars 2023
IL FAUT QU’IL CROISSE ET QUE JE DIMINUE
En lisant cette phrase issue de Jean (3:30), je songe aux techniques de développement personnel qui visent l’inverse : faire croître un potentiel et le valoriser, afin d’augmenter la qualité de la vie et de réaliser les aspirations profondes… La croissance de la personne, là où Jean parle de diminution.
Lorsque la personne que nous croyons être a besoin de croître, elle démontre qu’elle ne se sent pas achevée, terminée, aboutie… Comme si elle ne portait pas en elle-même l’endroit à partir duquel elle peut accueillir la plénitude. Elle dépend d’autre chose. Elle est le produit d’autre chose. Le produit d’une hérédité, d’un milieu social, d’une pédagogie, d’expériences faites au fil de la vie…
Bref, la personne que nous croyons être dépend d’une antériorité.
D’ailleurs, son fonctionnement interne dépend également d’une antériorité et suit un enchaînement logique de causes à effets.
Voyez plutôt :
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les perceptions tout d’abord : elles ont un effet direct sur le monde intérieur.
Celui-ci s’ouvre ou se ferme à ce que nous percevons, selon que nous aimons ou n’aimons pas ce que nous percevons. Tout ce que nous percevons entraîne un mouvement intérieur. La moindre couleur, la moindre odeur, le moindre bruit… Le remarquez-vous ?
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Ce mouvement intérieur, forcément influence à son tour la faculté de jugement.
Si nous aimons bien telle ou telle chose, cette chose va nous paraître bonne, intéressante, digne d’intérêt. Le point de vue que nous avons sur elle dépendra de ce que nous ressentons à son égard.
Notre point de vue est donc influencé par les sentiments qui eux-mêmes sont mis en mouvement par les perceptions que nous avons du monde.
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Le point de vue, à son tour, fait faire des rapprochements entre ce qui a été perçu et d’autres choses perçues avant.
Il met en relation des représentations les unes avec les autres, des souvenirs les uns avec les autres. Si nous aimons bien une chose, nous jugeons qu’elle est bonne comme d’autres choses de même nature. Se mettent en place des corrélations qui ne sont pas raison mais qui automatiquement s’imposent.
Par exemple, Proust fait l’expérience qu’une madeleine fait surgir des souvenirs.
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Ces corrélations, ces échos, ces souvenirs vont à leur tour influencer les perceptions. Par exemple les perceptions que nous avons de nous-même et de la vie…
Nous allons être sensible à ce qui fait écho en nous et ne pas percevoir ce qui n’en fait aucun.
Comme les perceptions vont en retour agir sur les sentiments qui eux-mêmes agiront sur la faculté de jugement, la boucle est bouclée.
Une sorte de phénomène Larsen se met en place.
Quand le Larsen est agréable, nous en redemandons. Nous sommes heureux. S’il ne l’est pas, nous souffrons. Nous sommes malheureux.
Et nous espérons intensifier les Larsen agréables et éviter la survenue de ceux qui le sont moins.
Ainsi, la personne que nous croyons être, pense qu’il suffit de modifier le point de vue pour changer la perception du monde et de soi, améliorer la qualité de sa vie et valoriser son potentiel.
Et c’est exactement à cet endroit que les démarches de développement personnel prennent racine.
Comme la faculté de jugement dont dépend notre point de vue est influencée par nos sentiments, les personnes qui suivent cette piste ont compris qu’il allait être nécessaire d’agir sur les sentiments eux aussi.
- La pensée positive (de Norman Vincent Peale – 1952) s’inscrit sur cette voie.
- De même la psychologie positive développée depuis 1998. Celle-ci a d’ailleurs rencontré un tel succès qu’elle est devenue une véritable industrie du bonheur. Elle propose des formations, du coaching, et des best-sellers pleins de bons sentiments et d’individualisme, selon une psychologie basée sur l’optimisme et associée au volontarisme.
Comme nous l’avons vu, les sentiments étant eux-mêmes influencés par les perceptions, il est proposé aux gens de réaliser leurs aspirations à travers des objectifs concrets, dont on puisse voir l’accomplissement.
- Ce que l’on dit, ce que l’on voit, ce que l’on fait, agit sur le sentiment. Emile Coué l’avait compris dans les années 1930 lorsqu’il proposait de répéter 20 fois pendant 3 jours d’affilée la formule : « tous les jours, à tout point de vue, je vais de mieux en mieux » (dans son livre « Maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente»)
Mais le drame dans cette affaire, c’est que cette démarche est vouée à l’échec.
Lutter contre les sentiments négatifs, c’est lutter contre les sentiments tout court. Les sentiments ne peuvent pas s’orienter toujours dans le même sens. Ils sont comme le vent qui vient d’ouest ou d’est. Mettez un paravent contre ce qui ne vous va pas, c’est tous les vents qui sont bloqués.
De même, lutter contre un certain point de vue, c’est lutter contre la faculté de jugement elle-même. Il n’est pas possible de faire disparaitre un certain regard que l’on porte sur la vie ou sur soi-même sans se fermer à la vie elle-même.
Notre monde est polaire par nature. Lorsque l’on essaie de lutter contre ce qui ne va pas, on se crispe de l’autre côté (voyez le sourire crispé de celui qui veut aller bien) et on voit ressurgir ce que l’on voulait éviter d’autant plus fort.
La personne que nous croyons être s’identifie aux sentiments qu’elle aime bien et ne se sent pas elle-même quand ils sont mauvais.
Elle s’identifie au point de vue qui lui plaît et refuse les autres…
En voulant se développer, elle développe une unilatéralité qui la ferme au monde et se croit seule responsable de ses malheurs par manque de développement alors que ses malheurs viennent justement de ce que son développement la ferme à la vie.
Elle veut croître, se développer, alors qu’il s’agirait de décroître.
Il s’agirait de rencontrer le monde tel qu’il est et non tel que la personne que je crois être, aimerait qu’il soit !
Il s’agirait de se tenir dans la vie avec les sentiments qui vont bien et ceux qui déplaisent. Parvenir à se tenir au milieu de tous les sentiments sans en repousser aucun.
Se sentir dans sa puissance et tout à la fois dans sa plus humble impuissance à changer quoi que ce soit.
Se tenir au milieu et non dans un extrême positif refusant ce que l’on juge de négatif.
La personne que nous croyons être existe dans les extrêmes.
Or, nous sommes autres que la personne que nous croyons être.
Mais nous ne le savons pas toujours.
Cette part de nous, autre que la personne que nous croyons être, c’est le JE SUIS.
Le JE SUIS accueille les extrêmes, s’ouvre à tous les possibles, est attentif à ne pas vouloir passer de l’un à l’autre, mais à rester présent avec tout.
Il est là où la personne que nous sommes est amenée par lui à faire silence. Là où la personne que nous sommes décroît. Il rencontre la vie et le chemin qui s’ouvrent à lui lorsque la personne décroît.
- Il est dans la stabilité intérieure au milieu des sentiments contraires.
- Il est dans le courage de ne pas se projeter dans un résultat au milieu des obstacles.
- Il est dans la confiance de ne rien attendre de particulier au coeur des aléas de la vie.
- Il est dans la profondeur pouvant percevoir le monde sans se perdre à focaliser sur ce qui plaît à la personne que nous sommes.
La démarche Saluto en s’intéressant au JE SUIS, n’est pas une démarche de développement personnel. Elle invite au contraire à faire advenir dans la personne le JE SUIS qui n’y est pas. Et la personne que nous croyons être, plutôt que de se développer, peut dire alors au JE SUIS qu’elle accueille:
Il faut qu’il croisse et que je diminue.
Guillaume Lemonde
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.
2 Commentaires
Merci Guillaume pour cette approche sur le développement personnel… pour moi, ce n’est qu’en acceuillant les difficultés, les négatifs de mon chemin de vie et en utilisant les forces reçues du positif comme d’une béquille que je peux me retrouver centrée sur ce chemin.
Totalement en phase avec cette approche.
Diminuer la personne illusoire que je crois être (lâcher les croyances qui y sont attachées et l’ont construite) pour laisser de la place au déploiement de QUI JE SUIS dans la réalité de mon Essence. Et la laisser agir et tracer le chemin plutôt que de “choisir” l’itinéraire depuis la vision limitée du “personnage” qui se croit aux commandes, avec sa “volonté de fer (faire)” alors qu’il n’est que la marionnette de ses conditionnements.