JAMES BOND SUR LE WESTMINSTER BRIDGE (trois expériences de liberté)
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Relation thérapeutique
- Date 13 mai 2022
JAMES BOND SUR LE WESTMINSTER BRIDGE
Trois expériences de liberté !
Les amateurs des histoires du célèbre agent secret britannique 007 connaissent peut-être la dernière scène du film Spectre. Blofeld, le grand méchant de l’histoire vient de s’écraser en hélicoptère sur le Westminster Bridge, à Londres. Il s’est péniblement traîné hors de la carlingue en feu, blessé, pitoyable. Lui qui était si puissant se retrouve à terre.
À cet instant, le spectateur du film éprouve une satisfaction certaine. D’ailleurs, tout a été fait pour qu’il éprouve cette satisfaction. Au fil de l’histoire, il a eu le temps de bien haïr ce personnage malfaisant. Blofeld est une crapule finie, un monstre, un sadique… Il va enfin connaître le châtiment qu’il mérite.
James Bond s’avance. Sa silhouette surplombe le bandit qui se traîne sur l’asphalte. Il braque son arme sur le malfaisant assassin. Il va le faire payer pour tous les crimes commis.
Cette scène est magnifiquement bien tournée. C’est le dénouement ! Tuer Blofeld, c’est supprimer un facteur de nuisance majeur et assouvir d’un coup la haine accumulée durant toute l’histoire.
Pourtant il se passe quelque chose d’étrange… Bond ne tire pas ! Il a le permis de tuer. C’est un agent 00. Les agents 00 ont le permis de tuer. Pourtant, il ne tire pas.
Cette scène est remarquable. Regardez-la ! Bien-sûr vous en tirerez toute sa profondeur que si vous traverser tout le film. Elle est la conclusion du film et ne se vit qu’avec tout ce qui a été traverser avant elle. Ce qu’elle offre de faire vivre au spectateur, c’est un sujet central à notre condition humaine : celui de la liberté.
Trois niveaux de lecture s’offrent à nous
Le premier niveau
Le premier niveau est celui qui nous prend aux tripes. C’est le besoin de voir la haine qui s’est accumulée, enfin satisfait par ce qui va être accompli. La haine va pouvoir être assouvie. Une énergie retenue va enfin pouvoir se libérer.
« C’est bien fait ! » diraient, en une telle circonstance, les petits de l’école primaire.
Si Bond était à ce niveau d’expérience lorsqu’il tient Blofeld en ligne de mire, il tirerait, tout simplement. On serait bien soulagé de voir une crapule disparaître.
Nous connaissons tous très bien ce niveau d’expérience. Par exemple, lorsque nous cherchons réparation à un mal commis, nous sommes à ce niveau d’expérience. Lorsque nous sommes fâchés car quelqu’un nous a fait du tord, idem… Ce n’est pas un problème en soi. Ce n’est d’ailleurs pas un problème du tout. Il est juste important de remarquer que nous sommes à ce moment-là à ce niveau d’expérience et que nous réagissons à un mécanisme qui nous détermine.
Par exemple, lorsqu’on se réjouit d’un scrutin électoral ou de la victoire de son équipe sportive, on est en train de réagir mécaniquement à ce qui se joue en nous. On est le jouet d’une joie nourrie par la disparition de la peur qui nous tenait tandis que l’issue était incertaine, ou de l’assouvissement de la haine accumulée contre l’équipe adverse. (La haine est d’ailleurs parfois si bien cachée que l’on croit être animé de nobles sentiments. Mais la simple satisfaction de savoir que l’équipe d’en face a perdu, c’est aussi de la haine qui s’épanche. Même si vous ne l’appelez pas comme ça, ce qui se vit là est de cette nature. Et je le répète, ce n’est pas un problème. C’est juste un fait de notre nature.)
Lorsque l’on déplore une défaite, même chose. On est d’abord le jouet de sa déception et l’on espère une revanche. En fait, une dose plus ou moins grande de haine ne trouve pas de satisfaction à ce moment-là, à commencer par celle que l’on éprouve contre la situation qui ne nous convient pas. D’où le besoin de revanche.
Bref, ce niveau d’expérience est tout à fait banal et quotidien. C’est lui qui nous conduit à nous énerver par exemple contre nos enfants qui ne se comportent pas comme on le voudrait, ou contre ceux qui persistent à ne pas comprendre ce qui nous semble important ; ou à ne pas faire ce que l’on estime qu’il faudrait faire… On se sent contraint par ce qui nous entoure et l’on voudrait que cette contrainte disparaisse.
À ce niveau d’expérience, la liberté n’est possible qu’à la disparition de la contrainte.
Être libre, c’est ne pas avoir de contrainte et n’avoir donc rien à fuir (peur) ni à faire disparaître (haine).
Le deuxième niveau d’expérience
Ce niveau ne nous prend pas aux tripes, mais à l’âme… Disons que cette expérience est intime.
Ce qui se passe en James Bond alors qu’il surplombe Blofeld et le menace de son arme, on n’en sait rien. On regarde la scène du film et on attend son dénouement. Et cela dure.
En James Bond quelque chose se passe.
Il est en position de puissance. Il peut tirer. Mais voyez-vous, autant la nature de la haine le pousserait à le faire, autant il vit quelque chose de particulier : il n’est pas obligé. Il peut mais il n’est pas obligé.
Nous connaissons tous ça. Un tord nous a été fait. Nous sommes fâchés. Nous sommes obligatoirement fâchés. Disons que nous avons de bonnes raisons d’être fâchés. Et en même temps nous ressentons, en un endroit plus ou moins caché de notre âme, que nous ne sommes pas obligés de donner libre cours à notre courroux. Il y a un espace en nous qui n’est pas obligé de suivre cette mécanique. C’est comme une possibilité donnée de ne pas suivre ce que la haine ou la peur attendent.
Le deuxième niveau d’expérience est celui de cette possibilité.
Rien n’est joué mais on remarque que l’on n’a la possibilité de ne pas suivre la mécanique intérieure. C’est un moment fondamental. On voudrait être assez puissant pour changer ce qui ne nous va pas et en même temps on est impuissant à le faire.
On consent à être impuissant tout en voulant être puissant. Puissant et impuissant en même temps. Et on se retrouve soudain à être avec ce qui est, comme c’est.
Ce moment où la puissance et l’impuissance s’annulent réciproquement est un moment de lien avec ce qui est. Au moment où Bond hésite, il est en lien avec Blofeld. Tout le poussait à vouloir ce criminel autrement qu’il n’est (en l’occurrence à le vouloir hors d’état de nuire). À présent il vit un entre-deux.
Du point de vue de la haine qui demande à être assouvie, Bond est dans un moment de faiblesse. S’il n’était pas en aussi mauvais point, le bandit pourrait en profiter.
Du point de vue de ce deuxième niveau de d’expérience, Bond n’est ni impuissant, ni puissant. Il est dans un entre deux. Il ne répond pas mécaniquement à la haine. Il est libre de choisir s’il va suivre la haine ou s’il va renoncer à la suivre. Une machine, une Intelligence Artificielle, ne peuvent pas comprendre ce niveau d’expérience. Cette expérience est fondamentalement humaine. Elle est peut-être même ce qu’il y a de plus précieux dans ce qui fait notre humanité.
La liberté, à ce niveau d’expérience passe par le lien avec ce qui est.
On ne se propose plus de supprimer ce qui contraint mais on a le choix de rencontrer ce qui contraint; voie ouverte à traverser les crises qui se rencontre plutôt qu’à les fuir.
Ce qui ne veut pas dire que ce qui est doit rester comme c’est. Cela signifie juste que l’on découvre à cet instant que ce qui est ne nous détermine pas. Nous sommes nous-mêmes à l’origine de ce que nous avons la possibilité d’entreprendre. Nous avons le choix de l’être.
Le troisième niveau d’expérience
C’est le moment du choix proprement dit.
Le premier niveau d’expérience donne de vivre le cadre contraignant qui pousse à réagir. Il nous fait rencontrer les conditions extérieures de la liberté.
Le deuxième niveau d’expérience offre la possibilité de ne pas réagir et d’avoir le choix d’agir plutôt que de réagir. C’est la condition intérieure de la liberté.
Le troisième niveau d’expérience, c’est le choix proprement dit.
James Bond décide ce soir là de ne pas tirer et de livrer Blofeld à son supérieur hiérarchique.
Le choix que l’on fait, c’est l’exercice de la liberté.
Il faut que le premier niveau d’expérience existe afin que l’on ait la liberté de se perdre dans ce que la haine demande. S’il n’y avait pas la possibilité de suivre la haine aveuglement et de se perdre en elle, il n’y aurait pas la possibilité de pouvoir choisir librement de ne pas le faire. Il n’y aurait pas de liberté possible.
On est toujours libre de choisir de ne pas suivre la possibilité de ce choix. Mais alors, en suivant la logique de ce que “les tripes” veulent de nous (la chair est faible), on fait du tort à ce qui en nous n’est pas déterminé par la chair. On fait du tort à l’esprit humain qui peut se manifester dans le choix de ne pas suivre la mécanique corporelle à laquelle la haine et la peur nous enchainent. C’est en cet instant une impiété quant à l’esprit; et nous en sommes seuls responsables en cet instant.
Puisqu’il en va de l’exercice de notre liberté, personne d’autre que nous-mêmes ne pourra compenser ce qui arrivera du fait de notre impiété.
Cependant, ce troisième niveau d’expérience se reproposera toujours, à chaque instant. Il se proposera durant toute la vie à l’exercice de notre liberté.
Guillaume Lemonde
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.
3 Commentaires
Bonjour,
Très intéressantes remarques,
et aussi, si vous continuez de voir le film,
JB regarde à droite vers son supérieur et à gauche vers une femme, puis l’homme à terre,
puis fait son choix et part à gauche vers la femme,
qui lui a demandé plus tôt dans le film, pourquoi devait-il tuer l’autre, malfaisant, sans cesse ?
et retourner vers une autre mission sans autre élément dans sa vie?
Cette remarque féminine a orienté JB,
Merci,
Très pertinent, j’ai aussi eu cette impression que le choix de ne pas tuer comme tout y converge à ce moment précis de l’histoire, que fait 007 est conditionné par des conditions extérieurs.
L’image est parlante. Il se trouve au milieu de ce pont devant son frère assassin, entre une femme et son boss. Ces deux composantes, le cœur et la raison, nous (et le ?) rassurent sur le choix qu’il effectue, en effet librement… a savoir l’amour 😉
Monsieur Lemonde,
Votre présentation me semble correspondre à la Mission de Michaël qui conduit vers une approche tripartite pour maintenant, et incite à s’éloigner de la Mission de Gabriel où les fils portaient le nom et le prénom du père et étaient encouragés à pratiquer le même métier.
Si les hommes politiques adhéraient à la tripartition cela permettrait un éloignement du don des Asura. C’est probablement aussi le chemin de chacun.
Merci à vous.
Maryvonne
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