LE MARCHAND DE PILULES
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Présence et attention
- Date 24 mai 2023
LE MARCHAND DE PILULES
« -Bonjour, dit le petit Prince.
– Bonjour dit le marchand. »
C’était un marchand de pilules perfectionnées qui apaisent la soif. On en avale une par semaine et l’on n’éprouve plus le besoin de boire.
« – Pourquoi vends-tu ça ? dit le Petit Prince.
– C’est une grosse économie de temps, dit le marchand. Les experts ont fait des calculs. On épargne cinquante-trois minutes par semaine.
– Et que fait on de ces cinquante trois minutes ?
– On en fait ce qu’on veut…
– Moi, dit le petit Prince, si j’avais cinquante trois minutes à dépenser, je marcherais tout doucement vers une fontaine… »
Vous l’avez reconnu : il s’agit d’un chapitre du Petit Prince d’Antoine de Saint Exupéry. Le 23 ème chapitre.
Dans cet épisode, il est question du temps que le Petit Prince déploie entre la soif et l’assouvissement de la soif. C’est le temps d’une marche lente vers le puits. Et plus généralement, cela nous invite à considérer ce temps, parfois réduit à rien, que nous parvenons à habiter entre le désir et la satisfaction du désir.
Un temps tellement important à apprivoiser et pourtant trop souvent négligé. Le temps d’une attente qui se sature d’une frustration lorsque nous ne parvenons pas à l’habiter, mais qui, lorsque nous parvenons à nous y installer, recelle de précieux trésors.
Ce temps est à la rencontre de deux réalité paradoxales.
- D’un côté, le désir. Dans le texte du Petit Prince, c’est le désir de boire. Mais il pourrait s’agir de n’importe quel désir.
Un désir, s’il n’est jamais satisfait et si nous le laissons faire, nous creuse. C’est sa nature de nous creuser. Il nous fait perdre notre substance au point que nous ne sommes un jour plus que ce désir. Nous ne voyons le monde qu’à travers lui et sommes entièrement déterminé par le besoin de satisfaction. Nous sommes alors comme mort pour le monde. D’ailleurs, en ce qui concerne la soif, cela serait corporellement le cas, après peu de jour.
- De l’autre côté, la satisfaction. Si nous étions à jamais satisfait, nous serions, de par ce contentement, plein de tout ce qu’il nous faut. Nous n’attendrions plus rien du monde. Il n’existerait plus pour nous. Il serait mort pour nous.
Ainsi, une pilule qui permettrait de ne plus avoir soif, ferait que la fontaine n’existerait plus pour nous. Elle n’aurait aucun intérêt pour nous.
(d’ailleurs, une technologie qui vise à satisfaire tous les désirs ne peut pas aller sans que le monde soit mort pour nous… Comme il vient d’être dit, la satisfaction que l’on voudrait totale fait perdre au monde sa réalité et, avec elle, meurt notre quête de vérité. Il n’a plus de profondeur et, avec elle, meurt notre quête de beauté. On ne perçoit plus les processus dont il est parcouru et, avec eux, meurt notre quête d’harmonie. Il n’y a plus d’émerveillement et, avec lui, meurt la quête de sacré.)
Lorsque nous marchons vers la fontaine, avec le désir de boire, mais lentement, nous sommes en train d’éprouver quelque chose de très particulier. L’objectif de boire est bien présent, mais nous ne sommes pas projetés dans le résultat. Il y a un renoncement à se projeter dans le résultat, une décision de ne pas se projeter, sans toutefois oublier le résultat de cette marche. En somme nous sommes au présent de la marche et non pas projeté vers plus tard, dans la satisfaction. Le résultat est déjà dans le pas que nous faisons vers la fontaine. Il éclaire le pas que nous faisons, au présent. La fontaine vient à nous plus que nous n’allons à elle. Dans le désir de boire qui nous creuse, vient résonner la fontaine elle-même. Le désir devient un espace de résonance, un organe des sens pour ce qui dans l’avenir s’approche. La fontaine chante déjà dans ce pas et la satisfaction, habitée de la sorte, peut alors devenir ce qui nous relie au monde et nous permet de le rencontrer.
Au chapitre 24 du livre, se trouve cette phrase :
“Ce qui embellit le désert, dit le petit prince, c’est qu’il cache un puits quelque part…”
Le Petit Prince et l’aviateur ont soif et marchent au hasard dans le désert. Ils marchent vers un objectif, celui de boire. Ils sont dans le désert au présent de leur marche et dans cette présence ils peuvent percevoir la beauté du désert, la présence du puits quelque part.
Guillaume Lemonde
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1 commentaire
Merci Guillaume,
Histoire d’aller encore un chapitre plus loin : envie de proposer « cette eau était bien autre chose qu’un aliment. Elle était née de la marche sous les étoiles, du chant de la poulie, de l’effort de mes bras. Elle était bonne pour le cœur, comme un cadeau. Lorsque j’étais petit garçon, la lumière de l’arbre de Noël, la musique de la messe de minuit, la douceur des sourires faisait, ainsi, tout le rayonnement du cadeau de Noël que je recevais. »
St Exupéry chapitre XXV,
Belles ressources à tous,