PLAISIR, SOUFFRANCE ET TRANSCENDANCE
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Philosophie, Santé
- Date 29 octobre 2021
L’originalité de la démarche Saluto est de donner les moyens de percevoir l’origine des difficultés rencontrées, non dans des causes passées à résoudre, mais dans la nécessité de faire advenir une ressource permettant de jouer librement avec ce qui se présente. Caractériser, identifier ces ressources encore à venir et offrir d’exercer à les rendre présentes, est au centre de son expertise.
PLAISIR, SOUFFRANCE
ET TRANSCENDANCE
De ce côté du monde, il semblerait que nous ayons perdu tout rapport à plus grand que nous-mêmes, tout rapport avec un principe supérieur. Nous en sommes arrivés à croire qu’il n’y a rien au-dessus de nous, seulement un ciel étoilé où nous envoyons des sondes en quêtes de terres habitables. Le cosmos, loin d’avoir comme pour les Anciens une action sur nos vies, a été relégué au rang de possibles possessions auxquelles certains rêvent. C’est nous qui désormais prétendons dominer l’univers, de loin pour commencer, avec nos télescopes, espérant planter un jour de petits drapeaux sur ces futures conquêtes.
Nous sommes seuls, seuls au monde, seuls responsables de nos vies. Du moins, nous le croyons. Ce qui nous arrive ne dépend plus que de nous. Rien au-dessus de nous ne nous destine à rien. C’est à nous de décider et aucune Grâce ne nous sera faite. L’instance à laquelle nous nous en remettions, il y a quelques siècles encore, semble n’être plus là pour personne. Si nous voulons le bonheur, il ne dépend que de nous de le vouloir. Si nous voulons trouver l’amour, la fortune, le plaisir, c’est à nous de faire l’effort.
Chacun d’entre nous est renvoyé à soi-même. Dans un grand mouvement de subjectivation, chacun se consacre à sa propre réalisation et à son épanouissement. On se recentre sur soi, on s’introspecte. C’est dans l’esprit du temps. La vacuité du Cosmos s’est emplie du désir de chacun de réussir sa vie. L’humanité s’est atomisée autour des valeurs que nous donnons individuellement à notre existence.
Ainsi, l’absence de transcendance a rendu indispensable la quête du bonheur individuel. Une vie réussie n’est-elle pas une vie heureuse ? Les anciens Grecs se posaient déjà la question. Cependant, en perdant toute référence universelle, nous avons fait du bonheur le produit de notre seule volonté. Loin d’être reçu de plus haut en mérite de nos vertus, il est tombé au niveau du bien-être et des plaisirs que nous pouvons nous accorder nous-mêmes.
C’est pour le bien-être que nos contemporains se démènent désormais. Ils rêvent d’une vie plus confortable, aspirent à ce que leurs désirs soient exaucés, même les plus fous. Et ceux qui en marge n’y parviennent pas, sont vus comme des loosers.
***
NOUS AVONS FAIT DU BIEN-ÊTRE ET DU PLAISIR DE CHACUN, UNE FIN EN SOI,
le Saint Graal d’une vie accomplie. Il faudrait que le monde réponde à nos désirs et que le plaisir soit facile à obtenir… Seulement, le monde ne répond pas souvent aux désirs qui nous creusent.
Il y a de la frustration, de l’inconfort, de la peine, des émotions désagréables, des douleurs de l’âme, qui deviennent des douleurs du corps, à force de ne pas vouloir les ressentir. Nous sommes démunis devant ces phénomènes qui n’entrent pas dans nos plans.
Alors nous espérons des moyens, des recettes pour retrouver le bien-être perdu. Si ces recettes pouvaient nous l’obtenir facilement, histoire de ne pas ajouter à la frustration, si elles pouvaient être simples à suivre et avoir des effets rapides, ce seraient mieux encore.
On pourrait s’épanouir en cinq leçons, rehausser l’estime de soi en cinq minutes par jour, perdre vingt kilos en trois semaines et maîtriser les clefs des énergies du monde en un week-end de formation.
Mais il est important de comprendre qu’en refusant à tout prix l’inconfort de quelque souffrance que ce soit, c’est ni plus ni moins la réalité elle-même que l’on refuse : seule la réalité fait mal. Elle est rugueuse et solide. Elle présente des angles contre lesquels on se heurte. En la refusant, on se réfugie dans le rêve et on rêve sa vie plutôt qu’on ne la vit.
Du coup, des marchands de rêves se présentent. Ils répondent à notre mal-être existentiel en nous promettant des guérisons miraculeuses, et nous les croyons.
***
LES MIRACLES NE PEUVENT PAS S’ACCOMPLIR DANS LES RÊVES.
Ceux que les vendeurs de rêves nous font miroiter sont de douces illusions. Dans les rêves, il n’y a rien de miraculeux, puisqu’il n’y a pas d’obstacles.
S’ils s’accomplissent, les miracles ne peuvent se rencontrer qu’au cœur de la réalité. Là où ça fait mal, là où l’on souffre. Au moment même où l’on éprouve une souffrance.
En réalité, lorsqu’on évite d’éprouver une peine, un chagrin, en montant immédiatement dans la tête afin de rationaliser ces sensations désagréables, on rend impossible qu’un miracle advienne. On pense la chose plutôt qu’on ne la vit. C’est ça que j’appelle rêver : être à côté de la vie par l’imagination ou la pensée, même la plus cartésienne. Cela revient au même : on fuit la réalité.
Le plus absurde est que, dans cette vie rêvée, on pense pouvoir rationnellement contraindre les évènements en notre faveur. Pour que nous reprenions notre vie en main – comme on dit – les vendeurs de rêves nous murmurent que nous pourrions, avec des techniques simples, conjurer le mauvais sort et les influences néfastes. On se sent capable d’empêcher le temps de nous conduire là où l’on ne veut pas aller, capable de maîtriser l’avenir. Il n’y a pas d’obstacles dans les rêves, pas de contraintes. On se sent tout puissant.
Mais ce qui est propre à l’avenir, c’est que justement on ne peut pas le maîtriser, on ne peut pas le prévoir. On ne prévoit que ce que l’on connait du passé et que l’on projette plus loin. L’avenir, ce qui advient, ce qui s’approche depuis l’autre côté, reste absolument mystérieux.
En faisant tout pour chasser toute forme de souffrance de notre vie, on chasse également le mystère. On se ferme à l’avenir.
***
PAR NATURE, ON NE PEUT PAS MAÎTRISER LA SOUFFRANCE.
Elle exerce sa puissance sur nous. À travers elle, quelque chose d’extérieur nous domine. N’est-ce pas la définition d’un principe transcendant ? En l’espèce, c’est un principe ténébreux. Mais quoi qu’il en soit, en fuyant la souffrance, on refuse que certaines choses ne dépendent pas de nous et que l’on ne peut pas les maîtriser.
D’ailleurs, c’est peut-être parce que nous ne pouvons pas percevoir, à travers l’avenir qui vient à nous, une volonté plus élevée que la nôtre, ainsi que les (réels) miracles qui peuvent l’accompagner, que nous refusons toute forme de souffrance.
Mais nous découvrirons un jour que nous n’avons pas à vouloir maîtriser la souffrance pour la faire disparaitre (puisque c’est impossible), mais à retrouver, avec l’aide de plus grand que soi, une maîtrise de soi afin de ne pas nous laisser corrompre par la souffrance, ce qui est radicalement autre chose.
Et quand je dis, plus grand que soi, je veux dire tout ce qui n’est pas soi. Plus grand que soi commence par l’altérité. Car lorsque je m’ouvre à l’autre, sans chercher pour moi-même l’assouvissement d’un confort, d’un plaisir, d’une consolation, alors même que je souffre, je découvre en moi ce qui ne souffre pas.
***
PROBABLEMENT ÉTAIT-IL CAPITAL
que nous en venions à repousser de toutes nos forces la possibilité de souffrir. Que nous choisissions de prendre le bien-être et le plaisir comme des fins en soi. Que nous en venions à préférer l’illusion du rêve, plutôt que la réalité du monde[1]. Il était essentiel que nous en venions à refuser, avec la réalité, le temps qui passe, et que nous nous plongions dans l’assouvissement impatient de désirs égocentrés et dans d’éphémère impressions renouvelées de plaisir.
Nous avions à perdre la mesure des engagements de longue durée. Il fallait que la fidélité, l’effort ou le devoir, présupposant l’idée de prolongement dans le temps et de dépendance à l’égard d’un autre, deviennent des valeurs caduques[2]. La réalité de l’autre est pénible pour qui veut rêver.
Probablement était-il nécessaire que nous allions jusque-là. Nous avions à être ramenés à rien d’autre qu’à nous-mêmes, de façon à ce que la réalité nous rattrape, à travers la souffrance.
Car la souffrance qui nous isole, nous interroge du même coup sur le lien que nous entretenons avec le monde, les autres et ce qui nous dépasse.
En fin de compte, c’est parce que nous sommes appelés à nous éveiller en découvrant un lien avec l’autre et plus grand que nous-mêmes, que nous avons d’abord perdu ce lien et que nous nous trouvons démunis face à la souffrance.
Voilà ce que j’avais à vous raconter.
Guillaume Lemonde
[1] Au point que certains rêvent de fuir la réalité de notre monde pour partir à la conquête de l’espace et de tout recommencer ailleurs.
[2] Julia de Funès, Le développement (im)personnel.
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5 Commentaires
Bonjour!
Il y a là des affirmations péremptoires (ex. “PAR NATURE, ON NE PEUT PAS MAÎTRISER LA SOUFFRANCE”, “la souffrance […] nous isole”), des mots mal définis (“la réalité”) voire apparemment confondus (douleur – souffrance) et si l’on retrouve quelques expressions (citation de Julia de Funès) qui sont bien “dans le courant” du contre-courant (spiritualité, éveil) à ce qui est le courant dominant (les “vendeurs de rêves”), il manque à tout cela une qualité fondamentale: celle de considérer que les “engagements de longue durée”, aussi longue soit celle-là, se font dans le temps, donc dans l’espace-temps, que ce corps que nous traînons comme un boulet ou glorifions indûment, cette psyché qui en rationalité comme en émotivité nous caractérise en “je”, les énergies que tous deux mobilisent ou figent, tout cela provient de l’espace-temps, et que donc leur “réalité” (que je définis comme la forme que prend pour la conscience toute manifestation (de quelque ordre dimensionnel que ce soit) et à laquelle cette forme se résume quand cette conscience s’_identifie_ à une certaine dimensionnalité (si elle “prend de la hauteur”, elle n’est plus identifiée comme avant et sa notion de “réalité” change), n’est valable QUE dans l’espace-temps et pour la conscience qui s’est identifiée à lui.
A contrario, quelque chose, visiblement, habite l’être humain et l’appelle à une “réalisation”, un “accomplissement”. Comment les humains entendent cet appel, comment ils s’y connectent, comment il le comprennent, sur quel niveau de dimensionnalité doit pour eux se faire cette réalisation, avec quels matériaux et quels outils, suivant quel plan, cela varie beaucoup selon les groupes humains et même à l’intérieur d’entre eux entre humains et donne les différentes “réalités” que nous observons, de celle de Guillaume Lemonde à celle de Philippe LEBOURG et à celle des marchands de rêves. Que change la conscience et la réalité change. Et si cette conscience décide de ne PLUS s’identifier à cet espace-temps, de ne plus s’y limiter ni s’y cantonner, … bien des choses deviennent possibles, qui ne l’étaient pas dans la réalité précédente! Et la souffrance prend un tout autre sens.
Cf. Evangile de Thomas, logia 56, 24, 50, 70, 106 etc. https://www.jepense.org/evangile-thomas-texte/ et un autre apocryphe, je retrouve plus son nom, où il est dit “Ce qu’ils diront que j’ai souffert, je ne l’ai pas souffert. Mais ce qu’ils ne diront pas que j’ai souffert, cela je l’ai souffert”.
Merci beaucoup pour ce commentaire. Selon ce que vous entendez en parlant de conscience, il me semble que vous exprimez la même chose que moi. Tout dépend si l’on parle à partir de la conscience que l’on a naturellement du monde et de soi ( auquel cas on est livré à la souffrance, que l’on ne peut maîtriser, pris que nous sommes dans un temps chronologique), ou à partir du Je ( auquel cas, desidentifié du temps chronologique, on n’est pas altéré par la souffrance.) J’ai ici délibérément pris ici le point de vue de la conscience naturelle identifiée au tempschronologique. Dans le texte précédent, j’avais écrit à partir de l’autre point de vue.
Tout cela me paraît bien compliqué. Ne pourrions nous pas simplement dire que l’humanité s’est engagée il y a bien longtemps sur une voie qui la sépare de son âme. Les vendeurs de rêves compris. Que l’oubli de notre profondeur d’âme et des valeurs qui la régisse nous fait souffrir et nous enferme dans la croyance de « savoir ». Savoir mieux que la nature,( l’univers), savoir mieux que son âme, savoir mieux que son voisin. L’humanité a besoin d’amour, d’humour et d’humilité. Imposer son point de vue (même rien qu’en pensée sans le prononcer) quand bien même il est en partie ou complètement juste, omet l’écoute de son prochain. Sans écoute véritable (càd sans son présumé savoir), pas de partage. Sans partage, pas d’amour. Sans amour, une ribambelle de personne enfermée dans leur souffrance sans imaginer la possibilité qu’en ouvrant grand les yeux, les oreilles et le coeur leur souffrance s’atténuerait, voire disparaîtrait.
Alors arrêtons la masturbation mentale deux secondes (au moins) et sortons de notre prison intérieur pour aimer simplement ce qui nous entoure tel qu’il est. Aimer ce que nous n’aimons pas, aimer ceux qui ne nous aiment pas. Vous voyez comment les amis? Pour cela, je ne saurais assez le répéter. COMMUNIQUER! Vos doutes, vos émotions, votre créativité, votre intelligence, vos frustrations, votre connerie et regarder ce qui se passe ou qui ne se passe pas! En résumé VIVEZ bordel 😉
Et pour la communication constructive, Mr Rosenberg nous a offert la technique de la communication non-violente. Allez vous y abreuvez, ca ne peut que vous aider.
Allez! Amour et paix à vous tous!
(Ps: désolée Guillaume. Tu me pardonneras mon intervention hein :)… )
Valérie
Merci beaucoup pour ce partage. Ce texte me renvoie à Chamoiseau dans Frère Migrant et à Édouard Glissant lorsqu’il parle de la créolité je le comprends et ressens comme un partage et la création de lien avec l’Autre dans un processus d’acceptation et de rencontre. Un espace d’ouverture et d’échange où les différences peuvent coexister.
Claire-Lise
Merci beaucoup à vous pour le vôtre de partage. Je suis contente de lire que cela vous parle et vous rappelle ce qui vous savez déjà au fond de votre coeur.
Tout de bon à vous et au plaisir!
Valérie