EH ZUT !!!
Eh zut !!!
Eh zut alors ! En revenant de Paris, j’avais rédigé deux articles plutôt bien réussis. Ils étaient clairs et bien formulés. Je me réjouissais de vous les partager. Et mon ordinateur a redémarré suite à je ne sais quel problème technique. Les articles, non sauvegardés, sont perdus. Inutiles de vous dire la frustration qui m’a habité. J’ai fouillé tout ce que je pouvais dans les dossiers de cette machine. En vain… Mais cette frustration, désagréable, a été en même temps un moment très intéressant à vivre. Vous avez connu ça, peut-être. Un moment où le fruit d’un travail est perdu. Il y a du découragement. La chose produite était précieuse. Elle n’est plus là et ne le sera jamais plus. Essayer de la reproduire est impossible. On le sait. D’où le découragement. On aura beau essayer de retrouver l’essentiel, ce ne sera jamais aussi bien. On voit ce qu’il faudrait atteindre pour que ce soit aussi bien, et on ne le peut pas…
Vous voyez, le découragement provient de ce qu’on se fait une idée précise de ce que devrait être le résultat de notre entreprise. Autrement dit, le fait même de se projeter dans ce que devrait être le résultat de notre entreprise, est décourageant.
Un jour, je devais aller à un séminaire qui se tenait dans le nord de l’Italie dans un centre de cure. Très bien situé au sommet d’une montagne, on pouvait y accéder depuis la vallée, en bus. Mais il n’y avait à cette heure-ci plus aucun bus jusqu’au lendemain ; et la route était longue d’une vingtaine de kilomètres. Quand je m’imaginais devoir arriver là-haut, j’étais découragé. Il était huit heures du soir. J’avais une grosse valise. Je me projetais au but de mon voyage et souffrais du dénivelé avant même d’avoir commencé à marcher. J’en souffrais car je voulais déjà être arrivé. Je me projetais dans le résultat.
Si l’on ne perd pas de vu ce que l’on veut, mais qu’on parvient à garder ce projet sans se projeter soi-même dans ce que devrait être le résultat, tout change…
Que veut dire ne pas se projeter soi-même ? Ne rien y mettre de soi-même. Ne pas y placer de vœux. Juste rester avec le QUOI de notre projet, mais ne pas l’habiller de souhait quant à la façon dont cela doit être fait ou même du délai après lequel tout doit être fait.
Au pied de cette petite montagne, j’ai décidé de faire un pas, avec ma grosse valise. Un pas, puis un autre. Je renonçais à calculer l’heure d’arrivée. Le QUOI de mon projet était de pouvoir participer à ce séminaire, pas d’y arriver le plus vite possible, ni d’y arriver en bus… J’essayais de rester avec ce QUOI à chacun de mes pas. Seul ce QUOI était important et résonnais déjà dans le pas que j’étais en train de faire.
La vitesse avec laquelle on espère que l’objectif sera atteint, est une projection. Elle ne dépend que de mon désir, alors qu’en réalité la vitesse dépend du projet lui-même. On peut espérer un délai et tout mettre en œuvre pour le rendre possible. Mais le délai dépend bien plus du projet qui s’avance vers nous que de nous qui essayons de nous avancer vers lui.
Avec la perte des deux articles, après un moment de frustration, je n’ai pas oublié que le QUOI de mon entreprise n’est pas de rédiger des articles. Le QUOI de mon entreprise, est d’essayer d’offrir à ceux qui peuvent s’en saisir, de quoi exercer leur présence au monde, aux autres, à la vie… Les articles ne sont qu’un tout petit moyen sur le chemin et non une fin en soi (ils sont comme le bus qui permet d’avancer, mais qui n’est pas essentiel). Deux articles perdus ne changent rien à ce projet. Ils ne sont pas là pour que j’y perde de l’énergie à les regretter mais pour m’inviter à interroger la détermination que j’ai à poursuivre.
Parfois j’entends des personnes me dire que leur projet a été contrarié. Les aides attendues ne sont pas venues, le terrain convoité n’a pas pu être acquis, le livre qu’on voulait publier n’a pas été retenu par l’éditeur, l’argent nécessaire n’a pas été prêté par la banque, etc. Bien des personnes diront alors en substance que la vie est en train de leur montrer qu’il faut reconcer… Eh bien non ! La vie ne montre rien d’autre qu’une épreuve… Ce que l’on croit devoir conclure de cette épreuve ne dépend pas de la vie mais de ce que l’on projette sur elle. L’événement pénible, s’il a quelque chose à dire, dit simplement : que veux-tu vraiment ? Quel est le QUOI de ton projet ? Sache que ce QUOI ne dépend ni du lieu que tu souhaites, ni du moment que tu crois, ni des aides que tu espères, ni de la manière que tu préfères… Le QUOI de ton projet est plus grand que les représentations que tu peux t’en faire. Ce que tu peux faire pour lui, c’est de ne pas encombrer le chemin, qu’il est en train d’emprunter pour s’approcher, avec des projections qui ne dépendent pas de lui. Les obstacles rencontrés ne sont pas là pour être regrettés ou combattus, mais pour décider du prochain pas qui est à faire.
Bien à vous
Guillaume Lemonde
5 Commentaires
Bonjour et merci pour vos articles.
Concernant celui-ci, j’aimerais comprendre comment il est possible de ne pas y mettre de “soi-même” dans un projet comme guérir d’une maladie ?
Merci pour vos lumières
David Savelli
Pour répondre à votre question, sans prétendre en faire le tour, il faudrait pouvoir caractériser ce qu’est un projet. Un projet n’a d’abord rien à voir avec moi. Il naît d’un désir, mais, tout comme un enfant, il n’est pas moi… Il est projeté dans le monde où il n’existe d’abord pas et je vais essayer de le rendre présent, de le faire advenir. Il n’est pas moi, mais je peux avoir tendance de m’identifier à lui. Je peux en faire mon bébé, ma raison de vivre, mon identité, la valeur de ma vie. Pourtant il n’est rien de tout ça. Il est d’abord là pour les autres. Je peux en bénéficier, mais indirectement. Guérir répond à tout autre chose. Quand on veut guérir, c’est pour soi-même. C’est pourquoi guérir ne peut pas être qualifié de projet. Guérir, c’est un désir, un souhait, une volonté, un espoir pour soi-même. On a la volonté de guérir.
Cela répond d’une autre loi. Non pas de la découverte du pas à pas, mais de la confiance, c’est à dire de la disponibilité à accueillir tous les possibles, dont la possibilité de ne pas guérir… Et c’est de cette confiance que nait secondairement la possibilité de s’engager sur un chemin de guérison, où les professionnels que l’on rencontre donnent les informations avec lesquelles on décide du prochain pas.
Ce chemin est possible car la confiance est là. La confiance est première. C’est d’elle qu’il faudrait parler pour répondre à votre question. Cela pourrait se faire dans le cadre d’un autre article.
Merci pour cette question précieuse. Tout comme la réponse éclaire sur la nature du souhait de guérison. Je me rends compte que d’identifier le QUOI (qui viendrait de l’avenir ? ) est bien plus ardu que le COMMENT (qui se met en place depuis le passé?) … un article est-il aussi en projet ?
Merci pour cette belle illustration pour discerner le QUOI du bomment. Simple curiosité! Quelle est la fin de l’histoire, avec ta valise (à roulette j’espère 😉 tu as marché de Trento à Roncegno ??? C’est bien de ce trajet là dont il s’agit ?! :-)))
C’est bien ce trajet-là ! Pas de roulettes… J’ai avancé, valise sur la tête, prêt à marcher 6 heures. Après environ 3 heures de marche, une grosse Mercedes s’est arrêtée et m’a pris en stop.