QUE FAIRE : MON ADOLESCENT N’EN FICHE PAS UNE !
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Éducation (Saluto Éducation), Exercices pratiques, Présence et attention
- Date 18 décembre 2020
Cet article de Saluto-éducation vous expose les résultats d’une démarche. La démarche elle-même, celle qui permet d’arriver à ces résultats et surtout de les mettre en pratique, s’acquière lors des formations Saluto. Bonne lecture.
QUE FAIRE AVEC UN ADOLESCENT QUI N’EN FICHE PAS UNE !
– Mon ado est d’une telle inertie ! Il n’en fiche pas une… Il ne prend aucune initiative et il reste vautré sur le canapé toute la journée comme une otarie. En fin de semaine, si je ne le réveille pas, il se lève à deux heures de l’après-midi. On dit que ce sont les hormones. Elles ont bon dos les hormones… Je veux bien qu’elles le travaillent, mais qu’il soit à ce point hors service… Aucune initiative… En plus, quand on arrive enfin à le mettre en route, il voudrait que ce soit déjà fini…
Ainsi parlait un père de famille, perplexe devant les transformations déroutantes qui s’opéraient chez son garçon.
« Les hormones le travaillent… » De toute façon, que ce soient les hormones ou autre chose, les explications biologiques que l’on peut donner aux manifestations psychiques de l’adolescence ne sont pas très satisfaisantes : elles ne permettent pas de savoir quoi faire pour que la situation change.
– Il a rencontré le psychologue scolaire pour voir s’il y a quelque chose qu’il ne dit pas. C’est très bien, mais en pratique, ça ne change rien, continue le père.
Lorsqu’un problème survient, on cherche la cause pour la lever. Tant que l’on a à faire à du matériel, la démarche est non seulement logique, mais également indispensable.
Par exemple, si de l’eau coule sous la machine à laver, on cherche d’où elle provient afin de réparer la fuite.
Mais lorsque l’on agit de la même façon avec un être humain, on risque de passer à côté d’un élément essentiel. En effet, en cherchant les causes censées expliquer un changement de comportement (que ce soit une cause biologique, une addiction, un problème relationnel…) on présuppose que ce comportement n’est que la conséquence d’un contexte ; le produit d’un contexte… On présuppose qu’il n’est donc pas fondé en lui-même.
Doit-on administrer un médicament, une thérapie ? On se demande sur quelle manette agir pour que l’adolescent « fonctionne » correctement.
SEULEMENT ON SE HEURTE ICI À UN PARADOXE :
On voudrait que l’adolescent devienne autonome, c’est-à-dire qu’il soit fondé en lui-même et on pense y arriver en explorant avec lui la façon dont il éprouve son contexte de vie. Pourtant, en s’adressant à ce qui chez lui est soumis à ce contexte de vie, on s’adresse à ce qui justement en lui n’arrive pas à se saisir de lui-même…
On imagine parfois qu’en supprimant ou en compensant ce à quoi l’adolescent est soumis, on l’aide à trouver l’autonomie. Mais ce n’est pas en supprimant ce qui affaiblit que l’on rend quelqu’un plus fort. Certes, on protège ainsi cette personne du pire et ça peut être très important de le faire (on ne va pas laisser l’adolescent s’esquinter avec des addictions par exemple), mais aura-t-on ainsi offert un chemin vers l’autonomie ? Non. On aura agi sur le contexte, espérant que le jeune « se réveille », « qu’un déclic se fasse » et qu’il découvre enfin l’autonomie.
En ne prenant en compte que ce qui dans le contexte péjore la situation, on ne voit chez le jeune que ce qui est passivement soumis à ce contexte et on prend, comme éducateur, la même attitude passive… non pas que nous ne fassions rien. Nous pouvons même beaucoup faire et pester et poser des cadres toujours enfreints… Mais nous restons passifs quant à l’éveil de ce jeune qui ne dépend pas de nous…
Or il est possible d’accompagner activement cet éveil.
NOUS SOMMES D’UNE NATURE DOUBLE
Nous sommes d’une nature double : d’un côté il y a le contexte qui fait de nous un produit biologique, éducatif, culturel. Nous sommes le fruit de tout ça et de plus encore. De ce côté nous ne sommes pas fondés en nous-mêmes. De l’autre côté, il y a ce que nous sommes nous-mêmes, en train de nous expliquer avec le contexte.
C’est comme regarder d’un côté le décor d’un théâtre et apercevoir tout ce qui pourrait gêner l’acteur, et de l’autre, l’acteur lui-même qui apprend à jouer son rôle quelles que soient les contraintes du décor. Comment aider l’acteur à se saisir de ce qui lui permettra de traverser ces contraintes ? C’est là le point essentiel. On peut essayer longtemps d’améliorer le décor. Mais à un moment l’acteur devra se saisir de lui-même et se lancer dans son jeu, quel que soit le décor.
Tant qu’il ne se lance pas, l’acteur trouvera toujours quelque chose à redire des accessoires qu’on lui a donné pour son jeu. En se lançant, il aura saisi en lui ce qui fait des accessoires les éléments de son jeu.
Alors comment aider l’adolescent à faire advenir les ressources qu’il cherche à rendre présentes dans ce contexte difficile ? Telle est la question.
Les problèmes que nous rencontrons dans le décor de notre vie sont là tant que nous n’avons pas découvert la ressource permettant de les traverser. Si je cherche à devenir stable dans mes sentiments, je vais souffrir des aléas relationnels et chaque petite ingratitude sera perçue comme une tempête qui me mettra à terre. J’aurai beau aller discuter des comportements de ceux qui me font du mal, tant que je n’aurai pas exercé cette stabilité, rien ne sera résolu.
De même, si je cherche à devenir présent à ce que je veux vraiment et à m’y tenir pas à pas, sans me projeter trop loin, je vais souffrir de justement ne pas y parvenir : je vais me projeter trop loin dans des rêves que je prendrai pour réel et rencontrer sur le chemin, que j’aimerais le plus rapide possible jusqu’à mon but, de multiples obstacles. Je vais être tout à la fois impatient et découragé. C’est comme vouloir être arrivé en haut de la montagne et oublier qu’il faut monter pas à pas. La montagne elle-même devient l’obstacle alors qu’elle est le chemin.
L’ADOLESCENT APPREND LE PAS-À-PAS.
Développer une pensée, développer un discours, une action, se tenir à cette action avec persévérance, même quand des obstacles se dressent. Continuer le chemin en y allant un pas après l’autre. Ne pas se projeter trop loin.
L’adolescence est une phase de la vie dans laquelle on est en train d’apprendre le pas-à-pas. C’est sans doute la meilleure définition que je puisse donner à cette période. Toutes les manifestations de l’adolescence sont le décor de ce jeu d’acteur en devenir. C’est parce que l’adolescent apprend à progresser dans la vie pas-à-pas, qu’il manifeste tout ce qu’on lui connait. En effet, cette ressource encore à venir, c’est-à-dire non présente, projette dans la vie une ombre qui est le contexte de l’adolescence. Un contexte à problème.
C’est parce qu’il est difficile de se saisir d’un objectif dans le monde que l’on s’occupe de soi. S’ouvrir au monde et agir pour lui, pour les autres est le premier pas du pas-à-pas. Tant que l’on cherche encore à faire ce premier pas, on reste occupé par soi-même. On s’examine, on se met en valeur, on se regarde dans le miroir.
Ainsi, le complexe d’infériorité est l’ombre portée de cette ressource encore venir. On voudrait valoir quelque chose et l’on repousse tout ce qui n’est pas nous-mêmes pour trouver la valeur que l’on a. Cela conduit aux conflits les plus variés, Mais tout en mettant les parents à distance, on ne voudrait pas perdre leur affection.
Le chemin vers soi-même étant autrement plus court que vers les autres, on rêve d’être déjà arrivé au sommet, sans effort, et tout peut nous sembler dû.
« QUEL ADULTE ME MONTRERA COMMENT TROUVER UN OBJECTIF DANS LE MONDE ? »
« Sans objectif, je reste occupé avec moi-même… »
Sans objectif, on s’intéresse à sa propre valeur que l’on mesure à celle des autres. Voient le jour des rapports de forces, qu’ils soient violents ou exercés à travers la séduction investie comme une stratégie de conquête. On se soulève contre le monde, contre les incohérences que l’on perçoit, contre la bande rivale, contre ceux de l’autre village, de l’autre équipe de foot, contre le gouvernement, contre la police, contre les grandes entreprises pollueuses, contre les traditions… Peu importe contre quoi. On est forcément contre quelque chose lorsqu’il est difficile de s’engager pour les autres.
Et comme c’est exactement dans cet engagement que se trouve l’enjeu de cet âge, il serait absurde d’imaginer qu’il se découvrira tout seul. Les éducateurs que nous sommes ont une responsabilité à cet égard : celle de pouvoir se présenter devant ces jeunes comme des personnes engagées pour la tâche qu’elles se sont données dans le monde, quels que soient les obstacles qui se présentent.
Croire qu’il faille lutter contre ce qui fait obstacle pour que de belles choses adviennent dans le monde, est une illusion de l’adolescence. Car lorsque l’affrontement à l’obstacle devient le but, c’est qu’on n’a pas encore découvert ce que l’on peut apporter au monde, quel que soit ce monde…
Comme c’est entièrement que l’on a à s’engager, ce que l’on peut apporter au monde est à découvrir dans ce que l’on peut assumer tout seul. Les autres viendront après, en cadeau. Mais seul on décide de ce que l’on veut donner, sans mettre la contribution des autres dans l’équation. Ce n’est pas le nombre qui donne l’objectif, ni qui permet le changement. Le nombre ne fait que rassurer sur la force que l’on pense devoir développer pour vaincre l’obstacle. Le nombre permet de se défausser sur la contribution des autres.
– Oui, mais quand même, parfois il faut aller au front et se battre en masse contre un ennemi. Manifester, se révolter, s’indigner…
– Cependant, une manifestation ou une révolution sans autre objectif que de vaincre un obstacle n’a pas d’issue. Quand on avance avec un projet, l’obstacle devient au contraire l’occasion de préciser le chemin qui rend ce projet possible. Ce n’est pas parce que les conditions extérieures sont difficiles que nous ne savons pas comment avancer dans la vie. C’est au contraire parce que nous ne savons pas comment avancer que les conditions extérieures nous paraissent difficiles… Si nous luttons contre ce que l’on identifie comme l’ennemi, sans découvrir la persévérance qui inlassablement fait de l’obstacle un contour du chemin, on se perd en luttes stériles. Voyez de Gaulle en 40… A-t-il attendu que des milliers de personnes défilent dans la rue ? Voyez Gandhi… Voyez Mandela… Mandela en prison qui n’a jamais oublié son objectif de faire disparaitre l’apartheid. Il n’a pas mis son énergie à lutter contre un ennemi, mais à avancer avec son objectif chaque jour… Ce n’est pas le nombre qui initie le changement. Le nombre n’est là que pour nous rassurer lorsque l’on ne sait pas comment s’engager individuellement pour une tâche dont on se saisit dans le monde.
À ce sujet : pour changer le monde faut-il faire comme le colibri ?
“QUEL ADULTE ME MONTRERA COMMENT ME TENIR À MON OBJECTIF ? “
Lorsque lentement advient cette ressource de l’engagement, on voit le jeune passer d’une phase d’opposition à une phase de revendication. Le Je veux succède à un je ne veux pas.
L’éducateur est celui qui incarne pour l’adolescent la tenue de l’objectif dans le temps. Quelque chose est à faire ? Cette chose se fait dans le temps. C’est un processus. Il y a des étapes. Ces étapes, quand on n’a pas encore découvert le pas-à-pas dont il est question ici, sont insupportables. Elles dérangent, car on se projette au résultat final que l’on voudrait voir arriver le plus vite possible. Réussite facile. Argent facile. Plaisir facile, etc. Définir le projet clairement et aller d’étape en étape.
L’éducateur étant celui qui incarne pour le jeune ce processus, ne peut pas se sentir autrement que co-responsable de ce qui est accompli.
Ce qu’il témoigne au jeune, quelles que soient les circonstances, quelles que soient les conflits que ce dernier immanquablement provoquera, c’est : « Je ne te laisserai pas tomber ».
Cette évidence, demande à l’éducateur le même pas-à-pas, c’est-à-dire la conscience que l’éducation n’a pas à se figer sur un but éducatif, mais à se vivre dans un jour le jour où l’on rencontre des hauts et des bas. Ne pas oublier l’objectif à atteindre sans pour autant le vouloir réalisé tout de suite. Si l’éducateur ne parvient pas à découvrir cette ressource éducative, il va entrer en conflit avec l’adolescent, passant à côté de ce qui est nécessaire à ce dernier pour en sortir lui-même.
ALORS QUE FAIRE AVEC UN ADOLESCENT QUI N’EN FICHE PAS UNE ?
Découvrir cet endroit où l’on ne s’attend pas à une transformation immédiate de ce jeune. C’est ce qui est demandé pour ne pas jouer au même jeu du “tout tout de suite” que lui… Nous sommes en chemin… Pas-à-pas.
C’est vrai, on se sent impuissant avec lui.
Et parfois, on se sent tout puissant. On a envie de le secouer.
Mais l’impuissance et la toute puissance que l’on ressent nous renseignent sur notre difficulté à rester conscients que l’éducation est un processus. La puissance et l’impuissance sont les reliquats des difficultés adolescentes.
Si l’on pouvait être ni dans l’une, ni dans l’autre et ne pas oublier le chemin…
Pour en sortir il est possible de se plonger dans les deux expériences en même temps. C’est une façon de les neutraliser. Les laisser résonner ensemble, sans les mettre en balance. Sans les juger non plus. Sentir comment me fait l’une, puis l’autre, puis les deux ensemble.
Ce faisant, on peut découvrir que l’essentiel n’est pas dans une victoire à remporter sur l’inertie de ce jeune. L’essentiel, c’est d’avoir des objectifs clairs qui ne soient pas nés de notre arbitraire (résultat de notre toute puissance ou de notre impuissance) mais des nécessités de la vie commune; et de rester avec ce qui est à faire pas-à-pas, comme si l’on devait le faire soi-même. Au besoin commencer ce qui est à faire, pour demander au jeune de venir aider à faire ce qui est à faire, avec nous (aider c’est déjà se saisir d’une tâche dans le monde) et recommencer sans cesse avec les tâches les plus variées.
Il n’y a de toute façon pas de recette.
Le point le plus essentiel est de découvrir ce pas-à-pas dans toute chose et de remarquer que tout est en processus. Un passage difficile, pour l’adolescent comme pour l’éducateur, n’est qu’un passage dans le processus.
Je ne te laisserai pas tomber…
Vos commentaires sont bienvenus.
Guillaume Lemonde
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4 Commentaires
Une fois encore je suis très touché de vos écrits. Merci.
Ça semble si simple – quand ça l’est !
Mais pour arriver à cette évidence, ce simple « je ne te laisse et ne te laisserai pas tomber », je crois qu’il nous faut prendre conscience de nos jeux… Des mouvements familiaux (parfois infernaux) que nous nous transmettons…
Le triangle de Karpman revu par vous Guillaume me fait envie (à lire !). Une idée d’article ?
Entre la victime, le bourreau, le sauveur (et le profond dément) quelle (s) profondeur résonne en nous ?
Comment être et devenir plus assertif, selon vous ?
Encore merci,
Merci pour cette idée d’article. Cela m’a permis de me pencher sur les travaux d’Eric Berne, avec grand bonheur. J’ai préparé un article sur le triangle de Karpman. Il paraitra le 8 janvier. Bien à toi
Merci pour cette idée d’article. Cela m’a permis de me pencher sur les travaux d’Eric Berne, avec grand bonheur. J’ai préparé un article sur le triangle de Karpman. Il paraitra le 8 janvier. Bien à toi