QUELS FURENT LES DERNIERS MOTS QU’ÉCRIVIT VICTOR HUGO ?
- Posté par Romain Wargnier
- Catégories Éducation (Saluto Éducation), Exercices pratiques
- Date 4 août 2020
Vous lisez un article invité écrit par Romain Wargnier.
« AIMER, C’EST AGIR » (Victor Hugo, Œuvres complètes, 1970)
Tels furent les derniers mots qu’écrivit Victor Hugo, trois jours avant de mourir, le 19 mai 1885.
Au crépuscule d’une vie d’engagement total, on peut gager que le grand homme savait de quoi il parlait, et que ces mots, dans sa plume, exprimaient la quintessence de toute son existence.
Mais comment les comprendre ? Ne sont-ce pas là tièdes paroles et creux verbiage ?
La plupart du temps, lorsque nous parlons d’amour, nous voulons signifier que nous avons de la sympathie, de l’affection, ou de l’attirance pour quelqu’un ou quelque chose. Dans ce geste d’âme, nous ne sommes absolument pas libres.
En effet, nous ne choisissons pas nos sympathies ou nos attirances, celles-ci s’imposent à nous en vertu d’une nécessité inhérente à notre vie psychique. Si nous souhaitons trouver les causes de nos sympathies, nous devrons obligatoirement nous tourner vers le passé. Il résulte nécessairement, d’après tout notre passé, que nous aurons de la sympathie pour telle chose et non pour telle autre.
Si c’était ça l’amour, cela voudrait dire qu’il serait conditionné par le passé de tout un chacun. Il ne serait donc pas choisi ni voulu, mais subit.
D’ailleurs, il en va de même pour toutes nos antipathies et répulsions. Elles aussi sont un produit du passé ; elles sont un donné qui s’impose à nous et face auquel nous ne pouvons tout d’abord rien.
Sympathies et antipathies constituent la trame même de notre vie de sentiment.
L’observateur attentif remarquera d’ailleurs qu’il est impossible d’avoir tout le temps de la sympathie pour un être cher. Même l’être le plus important au monde peut de temps à autre générer en nous de l’antipathie par ses comportements ou habitudes.
Ainsi, si l’amour est égal à la sympathie que nous éprouvons en notre âme, nous avons un sérieux problème : nous aimerons notre prochain à condition que son attitude corresponde à ce pour quoi nous éprouvons naturellement de l’inclination, et nous cesserons de l’aimer chaque fois que ça ne sera plus le cas. L’amour que nous dirons alors éprouver sera déterminé par les circonstances de la vie. Il sera totalement réactif.
Si l’amour est égal à notre sympathie, nous pourrons alors écrire contre Victor Hugo que « Aimer, c’est réagir ».
En règle générale, nous vivons mal cet état naturel de la vie intérieure qui, dans son essence même, alterne entre des sentiments positifs et agréables et d’autres dits « négatifs », que nous voudrions ne pas éprouver.
Nous autres humains aimons nous sentir en sympathie, mais nous répugnons à vivre l’antipathie. Dès qu’un sentiment négatif se profile à l’égard d’une personne ou d’une situation, nous éviterons si possible de le ressentir par diverses réactions. Celles-ci pourront être très différentes selon les personnes mais auront toutes pour objet de supprimer le vécu de quelque chose qui nous déplaît. Nous tenterons, par ces réactions, de sauver la sympathie qui par nature ne peut pourtant pas demeurer éternellement. Encore une fois, pour continuer d’aimer, il nous faudra réagir.
Je suis professeur. Les sympathies et antipathies, je connais bien.
Certains élèves me sont naturellement sympathiques, d’autres franchement moins. En tant qu’enseignants, lorsqu’un élève nous cause des difficultés, de telle sorte que nous éprouvons, ce qui est bien normal, de l’antipathie pour lui, nous tentons de la faire taire au plus vite. Les moyens les plus usités sont la colère, la menace et la punition. Ces moyens, en agissant sur l’élève, tendront à empêcher, chez lui, la manifestation de ce qui nous pose problème.
Il n’aura échappé à personne que ces moyens ne sont que des réactions visant, non à faire grandir l’élève dont nous avons à nous occuper, mais à nous préserver nous-mêmes de la situation négative qui ne nous convient pas. C’est d’ailleurs le propre d’une réaction que d’être au service de celui qui la commet. Le plus vite les choses seront rentrées dans l’ordre, et le mieux ce sera.
Et si nous tentions une autre voie ?
Si tout d’abord, au lieu de réagir contre quelque chose que nous éprouvons au-dedans, nous nous tenions simplement là, en face d’un élève ou de toute autre personne, en considérant tout ensemble ce que nous appelons ses bons et ses mauvais côtés ? Faire cela ne signifierait rien d’autre qu’unir en notre âme sympathie et antipathie.
Comment fait-on ça ? Un article pour aller plus loin.
Si nous tentions l’expérience, il se pourrait bien que quelque chose de surprenant se produise. Ne luttant plus contre l’autre car il nous pose problème, nous le verrions finalement tel qu’il est. Nous pourrions nous lier à lui, au-delà des sympathies et antipathies que nous éprouvons naturellement. L’instance qui permet de se tenir dans cette expérience est la même que celle qui s’affranchit de tous les déterminismes. Elle n’est pas conditionnée par le passé, elle est libre.
Et dans cette liberté, elle éprouve la véritable attention pour ce qui est, le véritable intérêt, ou si vous préférez, le véritable Amour. Ce n’est qu’à partir de ce vécu qu’elle pourra cesser de réagir pour se sauver elle-même. Ses paroles et ses actes prendront une autre dimension, ils se mettront entièrement au service de l’autre.
Alors elle pourra proclamer, avec Victor Hugo que oui, Aimer, c’est agir.
Un article de Romain Wargnier
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