L’HOMME N’EST PLEINEMENT HOMME QUE LORSQU’IL JOUE
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Le Je, Philosophie, Présence et attention, Psychologie (Saluto Psychologie)
- Date 11 décembre 2020

L’Homme n’est pleinement Homme que lorsqu’il joue.
Friedrich Schiller
Lettres sur l’éducation esthétique de l’Homme, 1794
***
Cette phrase est de Schiller[1], un dramaturge et philosophe allemand du XVIIIème siècle. L’Homme n’est pleinement Homme que lorsqu’il joue. Le jeu auquel il fait allusion n’est pas de ceux qui s’organisent en championnats. Il ne connait ni règles, ni arbitres. C’est un jeu libre. Comme au théâtre lorsque l’on improvise.
NOUS SOMMES DANS LA VIE COMME AU THÉÂTRE
Nous sommes dans la vie comme au théâtre. Des accessoires nous sont donnés et nous avons à jouer avec eux. Et c’est bien parce que nous avons à jouer sur la scène de notre vie que des accessoires nous sont donnés. Lorsque la scène d’un théâtre est mise en place, elle est mise en place parce que des acteurs viendront y jouer. Les acteurs sont la cause dans l’avenir de la mise en place de cette scène. Nous sommes, dans notre vie, la cause dans l’avenir de ce avec quoi nous avons à nous expliquer. Et les accessoires avec lesquels nous avons à nous expliquer sont faits de tout ce qui nous entoure, tout ce que nous connaissons.
Pour commencer, il y a notre corps
– l’accessoire le plus proche de nous – C’est un peu comme notre costume. Un costume que nous trouvons plus ou moins bien arrangé.
Pour compléter ce costume, il y a tout ce à quoi nous nous identifions :
notre identité civile, notre nom, nos rôles sociaux, notre date de naissance et toutes les planètes qui étaient à une certaine position du ciel à notre naissance (ça intéressera les astrologues) ; notre identité chromosomique et tout le patrimoine reçu des aïeux (ça intéressera les généticiens) ; nos valeurs, notre histoire familiale et personnelle (ça intéressera les psychologues) ; notre culture, l’histoire de notre pays, l’histoire du monde ;
Le décor est fait également fait de tout ce que nous percevons autour de nous et en nous ;
nos sentiments, nos représentations, nos pensées…
Bref, disons que le décor de notre vie est fait de tout ce qui s’est mis en place jusqu’à aujourd’hui[2].
Et que cela nous plaise ou non, tout ce qui s’est mis en place jusqu’à aujourd’hui est là parce que nous avons à jouer avec ces accessoires, le rôle de notre vie !

LE JEU DE L’ACTEUR EST LA RAISON POUR LAQUELLE UN DÉCOR EST MIS EN PLACE.
Le jeu de l’acteur est la raison pour laquelle un décor est mis en place. Si l’acteur est dérangé par l’un des accessoires du décor, il peut aller voir l’accessoiriste et essayer de comprendre pourquoi tel ou tel accessoire lui a été fourni. Il peut y mettre beaucoup d’énergie, mais tant qu’il fait ça, il n’a pas commencé à jouer.
Pour jouer, l’acteur devra découvrir que les accessoires ne le déterminent pas. Il est libre de jouer même avec les accessoires qui ne lui plaisent pas.
Jouer, c’est découvrir la possibilité de se mettre en lien avec les accessoires qui sont là, pour donner, dans une improvisation, le meilleur de nous-mêmes.
Jouer est l’expression du lien que l’on découvre avec ce qui nous entoure. Un lien engagé et librement consenti, puisque déterminé par rien.
Nous sommes alors pleinement dans la pleine expression de qui nous sommes.
L’Homme n’est pleinement Homme que lorsqu’il joue.
***
La phrase “L’Homme n’est pleinement Homme que lorsqu’il joue”, est issue des LETTRES SUR L’ÉDUCATION ESTHÉTIQUE DE L’HOMME (écrites entre 1794 et 1795).
Dans ces lettres, Schiller met en évidence cet espace de liberté.
En lisant ces lettres, on comprend que le jeu dont il est question ici, nécessite que l’on se lance, que l’on décide de se lancer. Ce jeu est celui d’un choix de chaque instant. Il nécessite que l’on cesse d’écouter le souffleur qui se cache dans les plis du rideau de la scène. Et c’est là le plus difficile, mais c’est également là que réside notre liberté la plus essentielle. Le souffleur, celui qui connaît le texte écrit par avance et qui ne veut rien savoir de notre improvisation, c’est notre peur. Nous avons à décider de lâcher la peur que l’on voudrait calmer en écoutant le souffleur. Nous avons également à lâcher la haine que l’on éprouve à l’encontre des accessoires qui nous entourent et qui nous pousse à vouloir les changer.
Expérimenter la peur, expérimenter la haine, les vivre, être témoin du joug sous lequel elles nous placent et ôter ce joug.
C’est au moment où l’on décide de ne rien vouloir changer à la scène sur laquelle nous nous trouvons, que nous devenons libres de jouer notre jeu.
C’est au moment où nous décidons de ne plus refuser les figurants et les accessoires qui nous sont donnés, que nous commençons à pouvoir improviser.
Les situations difficiles que nous pouvons rencontrer deviennent alors l’occasion de faire ce que l’on n’aurait jamais oser faire. Si la peur ne nous bloque plus, nous pouvons décider de quitter une situation dans laquelle nous restions par peur des conséquences.
C’est au moment où nous nous lions intimement à ce qui est et avec ceux qui sont dans notre histoire, que nous devenons libres d’agir d’après nous-mêmes et non d’après ce que la peur ou la haine décident pour nous.
Ce lien qui rend libres, ce lien qui élève à quelque chose de nouveau, est l’expression la plus aboutie de l’amour.
LES RESSOURCES NÉCESSAIRES POUR PARVENIR À CETTE IMPROVISATION LIBRE
Les ressources nécessaires pour parvenir à cette improvisation libre sont mentionnées dans l’article : la Saluto et les quatre vertus platoniciennes.
C’est en les exerçant que l’on parvient à ces moments d’improvisation. Et, paradoxalement, c’est en improvisant que l’on acquière ces ressources.
Voilà pour aujourd’hui.
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Guillaume Lemonde
[1] Extrait de la note Wikipédia : Johann Christoph Friedrich Schiller est un poète, écrivain et théoricien de l’esthétique, né le 10 novembre 1759 à Marbach am Neckar et mort le 9 mai 1805 à Weimar.
Il fait partie des grands classiques de la langue allemande. D’abord célèbre pour ses pièces de théâtre, il est aussi l’auteur de nombreux poèmes et ballades devenus des incontournables du patrimoine littéraire allemand. À cette œuvre poétique et théâtrale s’ajoutent des essais philosophiques traitant de questions esthétiques et sociales, en particulier La Grâce et la Dignité et les Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, qui influenceront l’idéalisme tout autant que le romantisme allemand.
Il enseignera aussi l’histoire, mettant en avant d’idée d’une « histoire universelle ». Son amitié avec Johann Wolfgang von Goethe, autre figure centrale de la culture allemande, marquera fortement la fin de sa vie et de son œuvre.
[2] D’ailleurs, si nous nous croyons le produit de ce qui nous a précédé (le produit de notre génétique, de notre éducation), alors nous nous identifions à ce qui ne sont que des accessoires du décor de notre vie.
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5 Commentaires
Bonjour Guillaume, je voudrais bien comprendre ton exemple de l acteur. J entends aussi une grande responsabilisation individuelle en tant que acteur. Pour un côté cela peut donner la force d arrêter de se plaindre et de jouer, être actif. Cela fait du bien. Mais d un autre côté ça peut déresponsabiliser aussi les responsables du contexte, je pense aux inégalités sociales, les intérêts de pouvoir politique, les choix économiques… ça peut créer une certaine culpabilité chez moi… si ça ne tient que à moi de savoir improviser… est ce que ne tout dépende de l individu??? comment tu vois cet aspect ci??
Merci beaucoup pour cette remarque qui permet d’aller plus loin.
Effectivement, le propos n’est pas de dire que tout dépend de l’individu. Ça, c’est ce que voudrait faire croire certaines personnes qui proposent du développement personnel… C’est culpabilisant au possible.
En réalité, à tout moment, une rencontre se fait entre l’individu et le contexte social. L’un agit sur l’autre et réciproquement. Devenir acteur de sa vie, c’est-à-dire se lancer en découvrant le courage de le faire (la persévérance du pas-à-pas), la confiance pour le faire (être prêt à toutes les issues mais sans aucun fatalisme), ne signifie pas qu’il faille faire avec ce qui est, mais que l’on peut jouer, c’est-à-dire inventer avec ce qui est. En pratique, cela signifie que l’on devient responsable non pas de la situation (culpabilisation si on s’en tient là) mais de ce que l’on va en faire. Comment cela te parle-t-il ?
Merci beaucoup, l espace de cette rencontre avec le scénario me parle… comme s il n y avait pas opposition mais lien …. du coup une action plus libre une réponse plus vraie … je comprends mieux?? Merci et une belle journée
“Comme s’il n’y avait pas opposition mais lien”…
Je ne l’aurais pas mieux dit !