DES RUCHES À L’ÉCOLE ! Comment les abeilles éduquent les enfants.
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Éducation (Saluto Éducation), Présence et attention
- Date 31 juillet 2020
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Aujourd’hui, je voudrais évoquer une belle initiative ayant débuté au printemps 2019. Des ruches ont trouvé leur place à l’école ! Cette école est celle de Waterville au Québec. Pour que cela devienne possible, une dizaine de parents, dont certains avaient déjà des ruches chez eux, ainsi que l’enseignante responsable du projet, ont reçu une formation de 40 heures en apiculture. Il s’agit d’une première dans les écoles primaires de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke (CSRS).
En fouillant les articles trouvés sur internet, je constate que bon nombre d’écoles en Europe ont fait de même. Mais si ces initiatives me réjouissent, ce n’est pas parce que les élèves seraient amenés, à travers elles, à poser des actions concrètes en faveur de la protection des abeilles et de la biodiversité. Cet argument est certes très important, mais c’est un argument d’adultes. « Au secondaire, (…) peut-être qu’on peut entrer dans ces éléments-là ».
En réalité, ce qui est réjouissant dans de telles initiatives, c’est qu’elles sont riches d’un aspect pédagogique central pour les enfants des écoles primaires.
En effet, quel est l’enjeu pédagogique fondamental pour les enfants des écoles primaires ?
Quelle ressource les pédagogues ont-ils à rendre possible à cet âge, de façon à ce que le développement se fasse sainement ?
Pour répondre à cette question, il suffit d’observer les petits enfants lorsqu’ils arrivent à l’école primaire.
Durant toute la durée du jardin d’enfant, leur conscience s’est naturellement focalisée sur les détails du monde. Depuis le moment où ils reconnaissent la petite fourmi ou l’abeille sur la fleur, la somme de leurs représentations s’est étendue considérablement, au point qu’ils ont désormais tout ce qu’il faut pour être scolarisés.
Mais si ce processus de focalisation était laissé à son cours naturel, il irait si loin, qu’une limite serait bientôt atteinte : l’accumulation de savoir engendrerait un tel chaos d’informations variées, que plus rien n’aurait de lien avec rien. Le monde deviendrait un fouillis sans aucune profondeur. Tout serait sur le même plan. Il deviendrait urgemment nécessaire de trier les informations et de suivre un classement permettant d’agencer d’une façon ou d’autre autre, ce chaos.
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Naturellement, les enfants qui arrivent à l’école, ont cette tendance au classement.
Tels de petits encyclopédistes, ils font des listes de « savoirs inutiles », tels des noms et des particularités des dinosaures, des noms des joueurs de football, des noms de cétacés et de leurs capacités physiques… etc.
Ces intérêts d’encyclopédistes sont le corolaire naturel de la conscience focale parvenue à son sommet.
Ils sont l’expression de la nécessité qu’il y a d’agencer le monde. Et cet agencement ne peut se faire naturellement que selon des critères personnels, puisque le monde lui-même n’apparait qu’à travers une somme de détails sans rapports les uns avec les autres.
Les critères personnels qui guident naturellement le processus d’agencement, ce sont les sentiments : selon que l’enfant aime ou n’aime pas ce qu’il perçoit, la chose perçue est vraie et bonne et peut être gardée, ou fausse et mauvaise et doit être écartée.
Certains enseignements suivent cette ligne et forment les enfants à la quantité de savoir allant vers le toujours plus petit et le toujours plus précis, mais au détriment forcément d’un lien avec le monde, car ne connaissant que les critères personnels d’agencement. On apprend à donner son ordre au monde (bonne chose évidemment), mais sans pouvoir percevoir la sagesse qui préside à l’ordre du monde lui-même.
Par exemple, la beauté est alors conçue comme le résultat d’un agencement original et non comme l’expression d’une réalité transcendante. Il n’y a pas de transcendance quand tout est sur le même plan. Il n’y a rien d’autre que soi aux prises avec un chaos à maîtriser.
On conçoit donc que durant l’école primaire, l’enjeu au centre de l’éducation des enfants soit de défocaliser la perception naturelle.
Il ne s’agira pas de soutenir ce que la nature fait déjà toute seule, mais de permettre aux enfants de devenirs présents à la nature, qui sinon leur échappera.
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Que veut dire défocaliser la perception naturelle ?
On défocalise lorsque l’on parvient à tenir en conscience un aspect du monde avec un autre aspect du monde. Focaliser à deux endroits à la fois… Non pas en additionnant ces divers aspects du monde dans une liste, mais en les juxtaposant alors qu’ils n’appartiennent pas à la même liste. Bref, on focalise avec attention sur deux sujets en même temps et ces deux sujets entrent en synergie. L’intervalle qui se forme entre eux, ouvre un espace. Ce sont les liens que l’on tisse entre deux aspects du monde qui donnent au monde sa profondeur. De même, c’est dans l’intervalle qui se forme entre deux notes que résonne la musique.
Le premier cours dans les écoles Waldorf est par exemple dédié à la courbe et à la droite. Deux formes particulières que l’on exerce pendant ce premier cours. Deux formes différentes, que l’on juxtapose. C’est la juxtaposition qui est importante, l’expérience de deux choses différentes que l’on met en relation.
Ainsi, durant l’école primaire, ce qui est capital, c’est de créer des liens. Ce qui va se raconter dans un cours, trouve un écho dans un autre cours. Bien plus que l’acquisition des matières fondamentales, c’est la mise en relation de ces apprentissages fondamentaux entre eux et avec divers aspects du monde qui est fondamental !
Le professeur de classe sera celui qui tisse des liens : les liens que l’on peut faire entre les choses, entre les différents cours, entre les classes.
Par exemple, les enfants de la quatrième classe plantent et récoltent des céréales et les offrent aux enfants de la troisième classe. Et à ce moment les enfants de la troisième classe font le jardin, tirent la charrue et préparent les semences de l’année prochaine… Cela fait du lien entre les classes, du lien avec les saisons, et donc avec la géographie et la perception de rythmes plus larges.
De même, l’attention que le professeur offre aux relations avec ses collègues et avec les parents d’élèves, même s’ils ne sont pas manifestés aux enfants, est tout aussi importante.
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Les ruches à l’école procèdent de cette dynamique essentielle.
« Le monde des abeilles s’intégrera de différentes façons dans l’apprentissage des élèves, en fonction de leur âge et de leur niveau. La récolte du miel pourrait notamment servir aux activités de financement des enfants. [encore un lien avec le monde. n.d.l.] (…) On a tout un programme de jardinage. C’est une belle synergie avec ce qu’on va monter avec les abeilles, comme de mettre des plantes mellifères », souligne l’enseignante responsable du projet.
Effectivement, on peut inviter les ruches et les abeilles lors des cours de géométries (l’hexagone), d’histoire (les pratiques de l’apiculture égyptiennes, romaines, grecques), de français, de botanique (les plantes mellifères), d’art, etc. On peut donc les mettre en relation avec bien des aspects du monde.
La défocalisation, c’est-à-dire la mise en relation d’éléments focalisés différents, offre aux enfants de pouvoir s’approfondir dans les perceptions (l’approfondissement se fait dans la relation que l’on établit entre les choses et non sur les détails).
De même, les soins apportés aux ruches mettent en relation plusieurs classes entre elles, les classes avec les parents, les parents avec les professeurs, etc.
Au cours de ces années d’école primaire, ce sont précisément ces synergies qui permettent de ne pas rester accroché au tapis des perceptions sensorielles, mais de se faire en soi des images du monde.
Tout comme le peintre qui pose une touche de couleur, se recule, forme une image en-dedans et se tient entre l’image dehors et l’image dedans et pose la prochaine touche de couleur.
D’ailleurs, on n’admire pas un tableau de Rembrandt en restant focalisé sur un coup de pinceau que l’on étudierait de près, mais en prenant en soi l’ensemble du tableau, les relations entre les formes, les couleurs…
De même, c’est à la mesure de l’attention que l’on porte aux liens entre les choses, les matières, les gens, que la mémoire se développe. C’est ainsi que l’on peut prendre en soi une réalité du monde, et non pas en se focalisant sur les détails. (La mémoire focale est celle d’une machine. Elle ne permet pas l’assimilation d’un phénomène, mais l’emmagasinage d’une information).
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Avoir des ruches à l’école, c’est permettre du lien.
Les abeilles, par nature, font du lien. Elles vont aux fleurs, les pollinisent, produisent le miel. La société des abeilles en rapport avec celle des Hommes qui les ont domestiquées depuis tant de siècles, est l’expression d’un tel lien. Le vivre à travers une telle expérience, est un cadeau pour les enfants. Ils découvrent ainsi ce qui plus tard leur permettra de se tenir entre deux mondes, deux continents, deux cultures, deux êtres, deux époques… et de goûter, de vivre, ce qui les relient au monde du fait même qu’ils sont différents de ce qu’ils rencontrent.
Les synergies que l’on a la chance de vivre à l’école primaire, offrent cette richesse-là. Elles permettent de vivre un jour que nous sommes en relation du fait de nos différences.
Autrement dit, ce sont nos différences qui nous relient.
C’est cela le message des abeilles. Et c’est là l’enjeu pédagogique de l’école primaire.
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Guillaume Lemonde
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2 Commentaires
Bel article, merci à toi, ça illustre bien les impulsions pédagogiques concrètes que l’on peut avoir, en liens avec la saluto.