LA CITATION DU MARDI – Sénèque
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Philosophie, Présence et attention, Psychologie (Saluto Psychologie)
- Date 29 septembre 2020
« Si c’est l’intérêt et un vil calcul qui me rendent généreux,
si je ne suis jamais serviable que pour obtenir en échange un service,
– je ne ferai pas de bien à celui qui part pour des pays situés sous d’autres cieux, éloignés du mien, qui s’absente pour toujours;
– je ne donnerai pas à celui dont la santé est compromise au point qu’il ne lui reste aucun espoir de guérison;
– je ne donnerai pas, si moi-même je sens décliner mes forces, car je n’ai plus le temps de rentrer dans mes avances.
Et pourtant (ceci pour te prouver que la bienfaisance est une pratique désirable en soi) l’étranger qui tout à l’heure s’en est venu atterrir dans notre port et qui doit tout de suite repartir reçoit notre assistance : à l’inconnu qui a fait naufrage nous donnons, pour qu’il soit rapatrié, un navire tout équipé. Il part, connaissant à peine l’auteur de son salut : comme il ne doit jamais plus revenir à portée de nos regards il transfère sa dette aux dieux mêmes et il leur demande dans sa prière de reconnaître à sa place notre bienfait : en attendant nous trouvons du charme au sentiment d’avoir fait un peu de bien dont nous ne recueillerons pas le fruit.
Et lorsque nous sommes arrivés au terme de la vie, que nous réglons nos dispositions testamentaires, n’est-il pas vrai que nous répartissons des bienfaits dont il ne nous reviendra aucun profit ?
Combien d’heures l’on y passe ! Que de temps on discute, seul avec soi-même, pour savoir combien donner et à qui ! Qu’importe, en vérité, de savoir à qui l’on veut donner puisqu’il ne nous en reviendra rien en aucun cas ?
Pourtant, jamais nous ne donnons plus méticuleusement :
jamais nos choix ne sont soumis à un contrôle plus rigoureux qu’à l’heure où, l’intérêt n’existant plus, seule l’idée du bien se dresse devant notre regard. »
Sénèque, Les Bienfaits
Note de lecture :
Lorsque l’on agit pour l’autre sans attendre de notre action un quelconque bénéfice ou un retour sur investissement, le bien qui sera accompli n’a rien de personnel. Il nous dépasse absolument. Il revêt une qualité universelle. D’aucun appelle ce bien, amour.
La présence nécessaire pour y parvenir demande un accueil absolu de ce qui est. Elle nécessite un absolu désintéressement. Si l’on espère autre chose que ce qui est, c’est que l’on a placé un intérêt personnel dans le monde et l’action qui nous guide retombe au rang des biens personnels.
Illustrant magnifiquement ce texte de Sénèque, vous pourrez découvrir en suivant ce lien, ce que Line a dit avant de mourir.
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3 Commentaires
Texte extraordinairement puissant.
Toutefois, quelques observations sont à formuler. Le texte pourrait se traduire en “donner sans rien attendre en retour”. Mais est-ce vraiment possible ? Qui peut aujourd’hui affirmer être en possibilité de donner sans jamais attendre un retour ?
Dès la naissance, on se structure dans l’échange. Je suis fais une chose, c’est que j’en attends un retour (obéir au parents pour obtenir leur considération, apprendre à l’école pour avoir une bonne situation matérielle, respecter les lois pour que ma liberté définie par elles ne puissent également pas être entravée par un autre etc. Nous est-il possible de sortir de ce cadre?
Si tant est que nous arrivions à le faire(donner sans rien attendre). Ne serait-ce pas là également une forme de satisfaction en soi visant à apaiser un ego (donner sans rien attendre me place au dessus des autres), et donc un retour, un intérêt, celui de se penser meilleur que l’autre.
je sais si mes propos sont clairs. Toujours est-il que c’est un beau texte.
Merci Danilo pour ce commentaire. Peut-être bien que l’égo peut se nourrir en donnant, mais alors il me semble qu’il a besoin d’être identifié comme donateur, et que la satisfaction est celle de la bonne action accomplie. Par amour, il n’est pas même besoin de s’identifier comme donateur. Se pourrait-il alors que le contentement vienne non pas d’être au dessus, mais au service de celui qui était dans le besoin ?
Merci pour ta réponse.