MA LIBERTÉ S’ARRÊTE-T-ELLE OÙ COMMENCE CELLE DES AUTRES ?
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Droit et société, Philosophie, Présence et attention
- Date 29 novembre 2019
Vous connaissez la formule :
ma liberté s’arrête où commence celle des autres. Cette sentence, que l’on cite parfois sans vraiment comprendre ce que l’on est en train de dire, est une reformulation de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 :
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »
Les rédacteurs de cet article se sont d’ailleurs probablement inspirés de Charles de Montesquieu qui affirmait que La liberté est le pouvoir de faire tout ce que les lois permettent.
Cette définition de la liberté, comme nous allons le voir, pose cependant question :
Pour les auteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, la liberté est un facteur antisocial.
En affirmant qu’elle s’arrête là où commence celle des autres, ils sous-entendent que sa pleine expression non bornée par la loi, contraint les autres. Elle est donc source de conflits, puisque si ma liberté s’arrête où commence celle des autres, elle peut commencer là où j’obtiens l’arrêt de leur liberté à eux.
Selon cette définition de la liberté, je suis libre quand je n’ai pas de contraintes et les combats que je mènerai viseront à les supprimer. Ces contraintes se présenteront sous toutes sortes de formes, comme un voisin trop bruyant, une règle administrative déplaisante, un délai à respecter, une tradition à suivre… Dans tous les cas, je chercherai à supprimer les contraintes qui se présentent, à m’émanciper d’elles, pour espérer avoir un peu de liberté.
Quand on comprend la liberté comme absence de contraintes, on va forcément lutter contre ce qui se présente et espérer qu’il soit possible de faire disparaître cette chose contraignante. Mais lutter contre ce qui se présente, c’est vouloir autre chose que ce qui est présent. On se met en porte-à-faux avec le présent et on souffre.
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Exemple n°1
« Je ne me sens pas libre d’agir comme je le voudrais, car cela ferait de la peine mes proches… »
La liberté comprise comme une absence de contrainte, nous conduirait à croire que nous serions libres s’il n’y avait pas de proches à qui faire de la peine…
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Exemple n°2
« Je ne me sens pas libre d’agir comme je le voudrais, car j’ai trop d’autres choses urgentes à faire… »
La liberté comprise comme une absence de contrainte, nous conduirait à croire que nous serions libres s’il n’y avait pas tant de choses à faire…
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Exemple n°3
« Je ne me sens pas libre d’agir comme je le voudrais, car quelqu’un s’oppose à mon projet… »
La liberté comprise comme une absence de contrainte, nous conduirait à croire que nous serions libres s’il n’y avait personne qui s’oppose à mon projet…
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Exemple n°4
« Je ne me sens pas libre d’agir comme je le voudrais, car on a toujours fait comme ça… »
La liberté comprise comme une absence de contrainte, nous conduirait à croire que nous serions libres s’il n’y avait pas de traditions à suivre…
Dans tous ces exemples, notre liberté semble contrainte par d’autres. C’est la conception des rédacteurs de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
Quand on définit la liberté par rapport aux autres, on la fait dépendre d’un contexte. On la relativise. On l’abaisse à n’être que le résultat d’un compromis absolument extérieur à la qualité de l’acte posé. Elle n’a alors pas de réalité propre.
L’acte posé est vu de l’extérieur. On ne voit pas celui qui agit. On l’oublie. Ayant oublié l’Homme, on ne voit qu’un décor impersonnel dont on peut parler en termes généraux. Par exemple on peut décréter que l’on est libre de faire du bruit jusqu’à 22 heures et qu’après quoi le bruit sera considéré comme du tapage nocturne.
Mais si la liberté est une réalité fondée en elle-même, elle ne peut pas résulter d’un contexte, ni de rien. Au contraire, elle est elle-même à l’origine de l’acte posé. Et c’est donc l’endroit, à partir duquel celui qui agit pose son acte, qu’il va être essentiel de considérer. Est-ce un endroit de liberté ou non…
Ce ne sont donc pas les contraintes extérieures contextuelles qu’il s’agit de regarder mais ce qui intérieurement nous contraint, comme la peur, la haine ou le doute.
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Exemple n°1
Si je ne me sens pas libre d’agir comme je le voudrais, du fait de la peine que ça ferait à mes proches, puis-je réellement rendre mes proches responsables de mon incapacité à réaliser ce qui m’est important ? Ce qui me contraint, ce ne sont pas mes proches, mais ma difficulté à rester stable intérieurement. Je vois mes proches un peu déçus et je ne parviens pas à garder mon cap. Je voudrais que mes proches soient en sympathie avec moi et non en antipathie. J’ai peur qu’ils soient en antipathie. Ma liberté dépend donc de ma capacité à être stable entre ces deux sentiments opposés. Et cela n’est possible que si je peux être présent tout à la fois à la sympathie, comme à la possible l’antipathie. Ainsi, la liberté passe par la capacité à se mettre en lien avec ce qui est, et non en évitant les sentiments qui dérangent.
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Exemple n°2
Si je ne me sens pas libre d’agir comme je le voudrais, du fait de tout ce que j’ai à faire, puis-je réellement rendre ceux qui me demandent de faire tout cela, responsables de mon incapacité à réaliser ce qui m’est important ? Ce qui me contraint, ce ne sont pas ces personnes-là, mais ma difficulté à garder un peu de recul devant cette somme d’obligations. Je vois la somme de choses à faire et je ne parviens pas à garder mon calme. Je m’agite. J’ai l’impression de manquer de temps. Or ma liberté dépend de ma capacité à trouver le temps. Et cela n’est possible que si je peux être présent tout à la fois à l’ordre comme au possible désordre. Ainsi, la liberté passe par la capacité à se mettre en lien avec ce qui est et non en voulant éviter ce qui dérange.
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Exemple n°3
Si je ne me sens pas libre d’agir comme je le voudrais, du fait de personnes qui empêchent mon projet, puis-je réellement rendre ces personnes responsables de mon incapacité à réaliser ce qui m’est important ? Ce qui me contraint, ce ne sont pas ces personnes, mais ma difficulté à réinventer mon chemin selon les obstacles que je rencontre. Ma liberté dépend donc de ma capacité à avancer pas à pas, plutôt que de me voir déjà arrivé quelque part. Ainsi, la liberté nécessite que l’on se mette en lien avec les obstacles qui se présentent et non de les combattre au prétexte qu’ils dérangent.
un article à ce sujet : une-chose à faire absolument quand votre projet est empêché
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Exemple n°4
Si je ne me sens pas libre d’agir comme je le voudrais, du fait de traditions contraignantes, puis-je réellement rendre ces traditions et ceux qui les suivent, responsables de mon incapacité à réaliser ce qui m’est important ? Ce qui me contraint, ce ne sont pas ces gens, mais ma difficulté à m’ouvrir à ce qui est. Si je me sens contraint par ces traditions, c’est qu’elles me déterminent et que ma vie sans elles serait vide. Puis-je accueillir ce vide ? Et puis-je accueillir, dans ce vide, ce qui advient, sans le juger comme négatif ou positif ?
Je vous invite à ce sujet de relire l’article : chance ou malchance
EN CONCLUSION
Quand je dis ne pas être libre d’agir comme je le veux à cause des autres, qui ne comprendraient pas mon acte, ce ne sont pas les autres qui me contraignent, mais ma peur qu’ils ne comprennent pas. Quand je dis ne pas être libre d’agir car les autres m’empêchent d’agir, c’est la peur de l’obstacle qu’ils représentent pour moi qui me contraint. Je crois devoir faire quelque chose pour supprimer le problème, mais le problème est que je suis en lutte avec la situation qui se donne. En lutte avec ce qui est. Et donc en lutte avec le présent, absent à moi-même et à ce qui se donne.
En découvrant cet endroit silencieux sur lequel la peur et la haine n’ont pas de prise, ( et c’est possible en renonçant à suivre les pensées qui s’imposent, sans lutter contre elles pour autant, juste les laisser passer… ), je deviens présent à ce qui est, présent à ceux qui sont là.
En lien avec ceux qui sont là.
Et ce lien n’a rien à prouver, à compenser, à obtenir, à espérer, à calmer ou à assouvir.
Je découvre alors que la liberté ne s’arrête absolument pas là où commence celle des autres. Elle n’est pas secondaire à une absence de contrainte. Bien au contraire, elle est pleinement et entièrement présente au cœur de ces moments où l’on est en lien avec ce qui est. Ces moments où l’on peut agir en cohérence avec ce qui est et donc avec les autres, au point que le respect de leur liberté à eux, nous devienne essentielle.
Et que cela ne vous empêche pas de vous déterminer par rapport aux agissements des autres. Simplement vous remarquerez que vos actes n’auront pas la même portée s’ils ne font que réagir à la peur ou à la haine, ou s’ils sont posés à partir d’un espace de liberté intérieure.
Je vous laisse méditer cela et me réjouis de vos commentaires.
Bien à vous
GL
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5 Commentaires
Liberté suprême : être en lien avec mes émotions, les événements actuels, les personnes qui m’entourent, sans jugement de valeur, simplement présent et accueillant à ce qu’il m’est donné de vivre.
Bonjour!
J’ai écouté votre vidéo sur le sujet puis commencé la réécoute puis enfin découvert la possibilité de LIRE le texte. Du coup, merci pour cette mise en ligne écrite qui permet de voir votre pensée se dérouler à notre propre vitesse de compréhension.
Il me semble qu’il y a quelques raccourcis (sophismes?) dans votre exposé et j’en relève ici deux.
1- je cite: “Selon cette définition de la liberté, je suis libre quand je n’ai pas de contraintes et […] je chercherai à supprimer les contraintes qui se présentent, à m’émanciper d’elles, pour espérer avoir un peu de liberté.”
Il me semble assez sophiste de présenter la liberté citée dans un contrat SOCIAL comme un concept philosophique ayant une réalité “en soi”. La liberté ontologique de l’être, absolue (si on y croit), ne saurait être confondue avec la notion de liberté RELATIVE liée à une organisation de la vie en société. Nous vivons incarnés dans un monde où, de partout, s’imposent à nous des limites (physiques, physiologiques, psychologiques, sociales, économiques, etc). À ce titre, l’interaction sociale suppose le respect d’un minimum de règles qui sont autant de contraintes _extérieures_ pour l’enfant-roi mais sont un cadre bienvenu et assumé comme nécessaire par l’adulte qui a appris que “si chacun fait comme moi je souhaite faire”, la vie sociale est impossible. Donc non, en tant qu’être spirituel incarné, social ET adulte, JE ne souhaiterai pas ni ne chercherai à supprimer TOUTES les contraintes qui se présentent ni à m’émanciper d’elle car je sais que la liberté de mon être social est conditionnée par la liberté d’autrui et que supprimer ces contraintes, c’est nier pour l’autre le droit voire la possibilité d’interagir lui-même en être incarné social libre. La liberté ici (et on peut décliner cela ailleurs) n’est donc pas dans l’omnipotence extérieure, mais dans l’acceptation intelligente et donc l’intériorisation de la soumission aux contraintes du contexte dans une omnipotence vécue _intérieurement_. Cela rejoint totalement les grands enseignements de spiritualité qui nous préviennent que la soumission au réel est le début de la véritable liberté.
2- je cite encore: “Ayant oublié l’Homme, on ne voit qu’un décor impersonnel dont on peut parler en termes généraux. Par exemple on peut décréter que l’on est libre de faire du bruit jusqu’à 22 heures et qu’après quoi le bruit sera considéré comme du tapage nocturne.”
Là encore, il est facile de faire “comme si” la vie sociale était une vie désincarnée. Les besoins de chacun vis-à-vis du repos (et particulièrement du repos nocturne pour reprendre l’exemple) sont des données physiologiques universelles (à l’échelle terrestre de ce mot). Le contingentement du bruit en période diurne (et sous condition) ne résulte donc absolument pas d’une décision arbitraire individuelle mais du désir commun, codifié dans un texte de rapport social appelé loi, de l’observance d’un respect minimal pour l’autre vu comme un autre soi-même avec les mêmes besoins fondamentaux, qu’il soit nécessaire ou pas pour cet autre de faire à un moment l’expérience de violer les lois de la vie et en particulier les lois physiologiques ou les lois de la vie sociale. La liberté dont il est question dans le texte de référence n’est donc pas un concept abstrait, un objet ayant une réalité en soi dans le domaine des Idées platoniciennes, mais une propriété d’être incarné, en prise avec un environnement incluant d’autres êtres incarnés -et sans lesquels d’ailleurs il ne pourrait guère longtemps survivre et encore moins expérimenter la séparation. Et cette propriété se définit en opposition à l’arbitraire (que nous expérimentons tant et plus en ce moment de la part des gens “en responsabilité”) et au dé-raisonnable (même chose). Ce n’est que parce que j’intègre en moi l’existence de l’autre comme individu séparé que je peux in fine retrouver le bien commun qui nous unit et nous fonde tous deux. Cette intégration se fait dans la vie sociale et suppose de justement ne pas céder à l’arbitraire (ce que je veux quand je veux) ni au dé-raisonnable (l’oubli des lois de la vie), que ce soit en moi ou en l’autre.
Ensuite, il est tout à fait loisible de prendre d’autres acceptions du mot liberté, et notamment de parler de la liberté ontologique de l’être qui s’est incarné en ce que j’appelle “moi”. Mais mêler les deux définitions est sophiste, manipulateur sinon malhonnête. Et le fait que la liberté intérieure de cet être qui s’exprime à travers “moi” puisse se manifester par le respect de ce qui est (dans la réalité incarnée) n’enlève rien -selon ma conception- à la distance entre les plans que concernent les différentes acceptions du mot.
Je prendrai volontiers les commentaires à ce commentaire.
Bonjour Philippe, merci beaucoup pour votre commentaire. Il me semble que nous sommes d’accord. J’arrive à suivre en tout cas le fil de votre pensée et à penser avec vous ce que vous écrivez. Lorsque vous dites : “Ce n’est que parce que j’intègre en moi l’existence de l’autre comme individu séparé que je peux in fine retrouver le bien commun qui nous unit et nous fonde tout deux”, vous résumez exactement ce que je voulais transmettre dans ce petit article en écrivant que la liberté est pleinement et entièrement présente au cœur de ces moments où l’on est en lien avec ce qui est (être en lien avec l’autre implique l’intégration de l’existence de l’autre comme individu séparé, sinon il y a fusion et non lien). Alors on peut agir en cohérence avec ce qui est et donc avec les autres, au point que le respect de leur liberté à eux, nous devienne essentielle (ce qui n’implique pas que l’on n’ait pas à se déterminer par rapport aux agissements des autres.)
Grand merci pour ce mot de réponse.
J’ai le sentiment d’une sororité d’âme et d’un élan commun vers cet à-venir qui se situe dans le temps mais procède fondamentalement d’une intemporalité essentielle.
Au plaisir d’un prochain échange.
Wiedza i kompetncja płynie z twoich postów inspirują i zmuszają do refleksji. Dzięki Ci za tak bogaty wkład w społeczność blogową. Trzymaj tak dalej Cześć!
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