LE PRÉSENT EST-IL IMPOSSIBLE ?
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Exercices pratiques, Le Je, Présence et attention, Psychologie (Saluto Psychologie), Temporalité
- Date 19 avril 2021
Cet article fait suite à
COMMENT EXERCER LA VIGILANCE DU CHAT
L’IMPOSSIBLE PRÉSENT ?
Tandis que je suis attentif aux pensées qui me traversent, une pie se met à jacasser du côté de la rivière. Notez qu’en réalité cela fait plusieurs jours que cette pie jacasse, mais je ne la remarque que depuis que j’essaie d’être présent à mes pensées. Lorsque le moteur d’un appareil électroménager s’arrête, on remarque à travers le silence qu’il laisse, que son bruit dérangeait depuis un moment, sans pouvoir l’identifier. Pareil pour la pie : elle jacasse depuis plusieurs jours, je fais silence en moi et je la perçois. La vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher, ne sont pas plus impressionnés par le passé que par le futur. Ils sont au présent. C’est pourquoi lorsqu’on essaie d’être présent aux pensées qui pourraient nous traverser, la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher, semblent s’éveiller.
Et voilà qu’à présent je pense à la pie. Je revois celle qui lorgnait sur les semis du potager de notre grand-père. Il l’avait aperçue par la fenêtre du salon. Il avait poussé un juron et dare-dare était allé chercher son fusil. Il avait ouvert la fenêtre sans bruit et mis la pie en joue. Il lui avait tiré dessus sans scrupule. Légitime défense potagère. Elle était tombée raide à vingt mètres, au pied du peuplier. Son aile déployée et ses plumes noires au reflets verts et bleus métalliques, m’avait fasciné un long moment. J’avais ensuite sorti une bêche pour une inhumation en règle au fond du jardin. C’est incroyable comme un jacassement suffit à faire surgir un souvenir. J’essaie d’être présent à mes pensées et la pie du grand-père s’impose. Tant que mes yeux demeuraient fermés et ma chambre silencieuse, j’arrivais à rester attentif à la prochaine pensée. Je pouvais percevoir cette paisible vacuité intérieure. Mais ce n’est pas facile de rester attentif lorsqu’une pie jacasse. Les pensées semblent soudain faire ce qu’elles veulent et l’on se souvient d’un coup de feu tiré autrefois sur une pie depuis la fenêtre du salon.
Le chat, lui, à l’affût dans la cour du château, n’était pas perturbé par le jacassement des pies. Il orientait à peine une oreille vers la source du bruit. Il la ramenait aussitôt à sa place. Il restait attentif à ce qu’il faisait.
En réalité, le problème n’est pas qu’une pie jacasse. Ce n’est pas elle qui est responsable de mon inattention. Le problème est qu’au présent, il n’y a que le présent : les souvenirs par lesquels nous conservons une certaine conscience de nous-mêmes, ne s’y trouvent pas. Du coup, en essayant d’être présents, sans préparation, nous perdons le contact avec ce qui en nous est capable de se souvenir. La conscience que nous avons de nous-mêmes s’envole, et avec elle, notre attention. Nous ne pilotons plus rien. Nous laissons notre activité mentale reprendre le dessus. Nous suivons d’obscurs enchainements qui nous conduisent à nous souvenir passivement de toutes sortes de choses.
Nous avons besoin de nos souvenirs. Nous avons besoin de garder un lien avec le passé pour conserver la conscience de nous-mêmes et une continuité dans nos actes. Si nous n’étions qu’au présent, nous irions tels des amnésiques à travers le monde, suivant nos perceptions au gré de ce qui se présente. Alors comment, dans ces conditions, parvenir à être attentifs à nos pensées et à nos perceptions, sans pour autant oublier ce que nous avons à faire ? Une réponse s’impose : il va être nécessaire d’apprendre à introduire du souvenir dans l’instant présent !
L’EXERCICE DU SOUVENIR IMMÉDIAT
Je me souviens qu’hier matin, le soleil éclaboussait d’une frise rose le sommet enneigé du Gramont. Le ciel était clair et la lune, pleine à demi, répondait au jour naissant. Je prenais mon petit déjeuner, soufflais sur l’eau chaude dans le bol de thé. Avec un petit effort, il est possible de me remémorer tout le tableau. Et puis, je peux, de la même façon, me souvenir d’il y a une heure. J’attendais le train sur le quai de la gare. À cette évocation, certaines images s’imposent d’elles-mêmes. Mais je dois aller chercher tout le reste : la façon dont la lumière glissait sur le bâtiment de la gare, le vol des mouettes au-dessus, le sentiment paisible dans mon cœur. Je peux également décider de me souvenir d’il y a cinq minutes. Que s’est-il passé il y a cinq minutes ? Là aussi je perçois l’activité qu’il faut déployer pour se souvenir d’il y a cinq minutes. Ce n’est pas si facile, mais c’est justement ça qui importe : je me remémore les images, les sons, les odeurs d’il y a cinq minutes et je perçois l’activité qui s’efforce de se souvenir. À présent, je décide que cette activité du souvenir s’exerce sur le moment le plus immédiat. Je veux me souvenir de maintenant. Je me souviens, alors même que les souvenirs ne sont pas encore là.
Lorsque l’on s’exerce à cela, on s’aperçoit que l’activité du souvenir est ce qui veille dans l’instant présent. Je suis attentif, en train de veiller. Et cela ne demande plus aucun effort de rester attentif aux pensées, avant même qu’elles ne surviennent. Si une pie jacasse, je ne me laisse pas prendre par ce jacassement. Je perçois la pie qui jacasse et la laisse jacasser sans que les pensées n’aient elles-mêmes à accompagner ce jacassement.
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