TROIS ÉTAPES DE L’ALCHIMIE DE LA RENCONTRE
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Le Je, Présence et attention, Psychologie (Saluto Psychologie), Temporalité, Travail biographique (Saluto Biographie)
- Date 20 novembre 2020
UNE ALCHIMIE DE LA RENCONTRE
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La rencontre est le lieu possible d’une alchimie… lorsqu’elle se fait.
Et c’est même le seul lieu où cette alchimie puisse se réaliser. Par alchimie, entendez transmutation, changement d’une substance en une autre. Mais de quelle nature est cette transmutation ?
Rencontrer quelqu’un n’est pas aussi aisé que l’on pourrait le croire. Car, lorsque quelqu’un se présente, que rencontre-t-on ?
La plupart du temps, nous sommes occupés par toutes sortes de projections.
Nous déversons dans la rencontre tout ce que nous avons déjà vécu, des souvenirs qui vont se réveiller au fil de la discussion, des idées qui vont s’imposer d’elles-mêmes, des sentiments, des besoins, des envies, des peurs également. Peur de ne pas être à la hauteur, peur de trop se livrer, d’être repoussé, de ne pas être aimé. Dans un contexte professionnel, la peur de ne pas y arriver, de ne pas pouvoir aider, etc.
Si bien qu’en général, nous ne rencontrons pas l’autre mais la façon dont notre vis-à-vis satisfait les désirs que nous portons. Et nous nous en accommodons aussi longtemps que cette satisfaction se fait.
Et puis un jour, lorsque ce n’est plus le cas, la sympathie se retourne en antipathie et la vénération en dénigrement…
On trouvera facilement de quoi expliquer ces retournements par le changement d’attitude de l’autre, alors qu’en réalité, c’est notre insatisfaction qui dicte les jugements que nous lui portons. L’avons-nous réellement rencontré, ou sommes-nous en train de réagir aux manques qu’il n’est plus capable de satisfaire ? Nous avions des attentes. Elles n’ont pas été exaucées…
S’il était possible de remarquer ces attentes, si nous pouvions, en la présence de ce vis-à-vis remarquer le discours intérieur qui nous habite et nous aveugle, alors, peut-être, pourrait-on faire quelque chose pour qu’une réelle rencontre devienne possible.
Si nous pouvions laisser de la place à l’autre en cessant de projeter sur lui des attentes qui ne lui appartiennent pas… la rencontre pourrait se faire.
Laisser de la place à l’autre demande de porter une attention particulière aux pensées qui se présentent en nous sans que nous n’y fassions rien. Les jugements qui tombent, les conclusions que l’on tire, les hypothèses que l’on vérifie, les idées qui nous viennent. Ce corpus mental qui pense en nous pour son propre compte et dont on croit avoir la maitrise, mais qui en fait à sa tête et nous aveugle. Nous pensons penser, alors que cela pense en nous et précède notre volonté. En réalité, ce sont les sentiments nés de nos déceptions ou de nos plaisirs qui conduisent les pensées qui nous habitent.
Ainsi, laisser de la place à l’autre passe forcément par un renoncement. Renoncer à suivre les pensées qui s’imposent à nous.
Dans l’alchimie de la rencontre, nous pourrions appeler cela l’œuvre au noir.
La première étape de la rencontre consciente.
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Essayez un instant ! Soyez attentifs à la prochaine pensée qui pourrait surgir en vous. Si vous êtes attentifs, vous remarquerez qu’aucune pensée automatique ne vient plus. Et vous remarquerez que vous êtes alors présent à l’autre comme jamais. Cela s’exerce bien sûr. Ça ne va pas tout seul. Mais il est possible de développer cette attention au point de pouvoir la retrouver lorsque soudain on se retrouve pris dans des peurs et des frustrations.
Renoncer à suivre les pensées qui s’imposent à nous, permet de découvrir un calme intérieur qui peut s’offrir à l’autre. C’est comme si on éteignait un bruit de fond et que l’on pouvait ainsi mieux entendre notre partenaire.
Évidemment, ce travail intérieur, ce processus intime est essentiel si l’on aspire à vivre des rapports justes avec les gens qui nous entourent.
Et il ne va pas sans l’apprivoisement de la solitude dont parle R. M. Rilke (ici). Car en trouvant le calme, on cesse de faire de l’autre ce qui comble cette solitude.
En somme, en calmant le mental, on devient présent. En effet, le mental est toujours ailleurs qu’au présent. Il associe des pensées les unes aux autres dans un ordre logique, faisant de coïncidences des corrélations et de corrélations des causes qu’il projette pour découvrir des conséquences. Bref, le mental joue à saute-mouton avec le moment présent. Il laisse résonner ce qui était avec ce qui pourrait être, nous fait agir pour obtenir un effet. Il est dans l’attente d’un effet. En suivant notre mental, nous ne sommes pas avec ce qui est mais avec ce qui pourrait être. Nous espérons ou nous redoutons ce qui pourrait être et agissons en conséquence pour favoriser ce que nous espérons et éviter ce que nous redoutons. Avec le mental, nos actes s’orientent d’après nos peurs et nos désirs.
En découvrant cet espace intérieur à partir duquel il est possible de renoncer à suivre le flux discontinu du mental, en s’insérant dans ce flux, on découvre le présent. Le présent est un endroit sans chronologie. C’est un endroit sans attente, ce qui d’ailleurs ne signifie pas que ce serait un endroit sans projet. On peut très bien avoir des projets sans être aveuglé par l’attente d’un résultat particulier. Il est pour cela nécessaire de ne pas focaliser sur « le comment », « le quand », « le où »… En rester au quoi de notre affaire et au pas qu’il est important de poser maintenant afin de la rendre possible. Elle est complètement présente dans le pas que l’on fait en ce moment.
En tout cas, l’endroit à partir duquel on peut être présent s’offre à l’autre. Il est comme une coupe que l’on tend à l’autre pour boire. C’est un espace de liberté absolue. L’autre n’est alors plus celui dont dépendrait notre satisfaction. Il est pour lui-même, fondé en lui-même. Il peut se révéler. Puisque nous ne l’envoilons plus avec nos attentes, il peut se dévoiler.
C’est l’œuvre au blanc de l’alchimie de la rencontre.
Cette qualité de rencontre, le fruit d’un chemin individuel, ne dépend pas de ce que l’autre fera. Elle n’attend pas de l’autre une réciprocité. Elle n’attend rien d’ailleurs. Elle est, simplement, et suppose l’amour puisqu’il n’y a pas d’attente.
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Maintenant, si les deux partenaires se découvre la volonté de prendre soin ensemble de la rencontre qu’ils forment, de s’engager pour elle, quelque chose de nouveau va se passer.
C’est l’œuvre au rouge de l’alchimie de la rencontre.
Souvenez-vous de la rencontre du renard avec le petit prince ? Dans ce passage, Saint Exupéry caractérise au plus juste la profondeur de cet engagement. Il parle d’un apprivoisement. L’apprivoisement de deux solitudes.
Avec ce que j’ai nommé l’œuvre au noir, la solitude que l’on traverse (J’ai vécu seul, sans personne à qui parler…) a été débarrassée du besoin de l’autre. L’autre n’a pas à être ce qui comble la solitude. Un renoncement était au cœur de ce processus.
Dans ce que j’ai appelé l’œuvre au blanc, une présence se découvrait dans cette solitude et elle pouvait s’offrir à l’autre. Lui offrir un espace de rencontre.
Désormais, un lien est créé à deux.
– Tu n’es encore pour moi qu’un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n’ai pas besoin de toi. Et tu n’as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu’un renard semblable à cent mille renards. Mais si tu m’apprivoise nous aurons besoin l’un de l’autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde.
Le besoin de l’autre réapparait ici. Mais il est à l’octave, comme retourné. Il n’est plus le besoin d’un manque à combler, mais la perception intime d’un lien unique au monde.
L’attention, que l’on s’offre mutuellement, forme un intervalle plein d’une chose que l’intelligence ne peut concevoir. Il est plein d’une présence, qui se dépose. Comme une grâce qui est faite. C’est tellement peu naturel de supporter le vide sans compensation, qu’il faut bien que l’aide vienne d’ailleurs. Ailleurs que de notre nature. Et cette aide, c’est l’amour qui se dépose dans le cœur des deux, et entre les deux. (Là où deux seront en mon nom…). Cela suppose la présence du Je, l’apprivoisement de la solitude et le renoncement à faire de l’autre le moyen d’une satisfaction.
Ainsi, lorsque les deux partenaires cultivent réciproquement leur proximité, le monde s’en trouve changé. Une couleur, une saveur, des fruits d’automne, un paysage, tout dans l’univers parle de l’autre. En retour, la relation devenant ainsi une coupe pour plus grand qu’elle, enfante pour le monde de ce qu’elle a d’unique. Elle peut s’offrir à lui et grandit au-delà des partenaires qui la compose.
Guillaume Lemonde
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