MÉDITATION SUR LA CRÈCHE
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- Catégories Articles, Démarche Saluto, Temporalité
- Date 27 décembre 2022
MÉDITATION SUR LA CRÈCHE
Un article de Romain Wargnier
Depuis plusieurs années, j’ai pris l’habitude, au sein de mon lieu de travail, mais aussi à la maison, d’installer progressivement, au fil des semaines, les divers éléments de la crèche lorsqu’approche Noël. Chaque année, la contemplation de la crèche en train d’advenir s’offre à mes yeux comme un grand tableau méditatif. Je vous livre ici quelques unes de mes réflexions, encore en chantier, et stimulées par mes lectures du moment, principalement les sermons de Maître Eckart, théologien rhénan, qui vécut à cheval sur le XIIIème et le XIVème siècle.
La crèche, c’est le tableau de l’Homme.
Qu’y trouve-t-on ? Tout d’abord un décor extérieur, peuplé de minéraux, de végétaux et d’animaux. Dans certaines tradition en effet, ne figurent tout d’abord que les minéraux, à partir du premier dimanche de l’avent. Les végétaux arrivent le deuxième dimanche, les animaux le troisième et le quatrième, ce sont les êtres humains qui font leur apparition.
Il y a donc, autour de la crèche, tout un monde. Ce monde, pour autant que nous considérons les minéraux, les végétaux, et les animaux, est soumis exclusivement à des lois naturelles. Au sein des ces trois règnes rien de nouveau ne peut réellement advenir (hormis perpétuation et recombinaison). Le déterminisme inhérent aux lois naturelles gouverne avec une loi d’airain. Ils sont les témoins d’une première création, celle qui s’origine dans le plus lointain passé.
Il ne vous aura pas échappé que ces trois règnes ne sont pas la raison d’être de l’événement de Noël.
Lorsque nous installons une crèche sur un coin de table, la crèche elle-même en constitue le point central, autour de laquelle tout le reste s’organise. Ainsi, la crèche est-elle la raison d’être de ce monde naturel extérieur.
Mais la crèche, en elle-même, qu’est-elle ? Peu importe la façon dont nous nous la représentons. Elle peut-être, ici une simple mangeoire, là une grotte, cela n’a a aucune espèce d’importance. Ce qui a de l’importance, en revanche, c’est la qualité de son vide, de son néant, tant que l’enfant ne l’habite pas encore. Dans un de ses sermons sur la purification du temple par Jésus, Maître Eckart explique que le temple de Jérusalem est une image de l’âme humaine, que celle-ci, pour que le Christ seul y règne, doit tout d’abord faire totalement le vide de ce qui, des habitudes et lois du monde terrestre, y demeure encore.
Cette pensée est à mon avis en tous points transposable à la crèche.
La crèche est une image de l’âme humaine :
en l’âme, c’est un monde naturel intérieur qui règne. La différence entre le monde naturel extérieur et le monde naturel intérieur existe depuis la chute de l’humanité, depuis que le principe duel (le diable), par son action, a donné la possibilité au monde intérieur de l’homme d’agir en contradiction avec le monde extérieur. Mais attention, si les deux mondes peuvent, et c’est bien souvent le cas, se trouver en conflit l’un avec l’autre, ils n’en demeurent pas moins soumis aux mêmes lois et aux mêmes déterminants. Car l’âme humaine aussi se fonde dans le passé, et elle-aussi contient ses propres déterminismes desquels elle ne peut seule, s’extraire. Ce sont tous nos fonctionnement, nos habitudes, nos attachements, ce qu’on désigne le plus souvent sous les termes, qui se complètent plus ou moins, de psychisme, égo(s), croyances limitantes, etc… La loi de la nature n’y règne pas moins : pour exemple, dans nos habitudes, vit quelque chose du monde végétal (aspect cyclique) dans nos sentiments et réactions s’exprime l’animal (sympathies/antipathies/) et dans nos édifices mentaux toujours fragiles, c’est le monde minéral, la structure, qui règne.
La nature se poursuit donc en l’homme, et celle-ci se fonde entièrement dans le passé. Mais avons-nous vraiment parlé de l’homme lorsque nous avons épuisé la nature ?
Car si la crèche est la raison d’être du monde naturel extérieur, quelle est la raison d’être de cette même crèche ?
C’est l’enfant.
L’enfant à venir.
Ou plutôt, l’enfant qui peut à tout moment être engendré ou ne pas l’être. Ce mystérieux enfant, ce fils dans l’âme humaine, est la cause, depuis l’avenir, non seulement de notre âme, mais du monde entier. C’est pour lui que le monde existe, c’est pour lui que la chute eut lieu, c’est pour lui encore que pour la plupart des hommes, règne dans la crèche, non le vide, mais le brouhaha, la poursuite dans le monde intérieur de l’homme, faute de mieux, des lois qui règnent dans le monde extérieur.
Tant que nous ne l’engendrons pas.
Et pourtant, nous le pouvons. Nous l’avons même tous probablement déjà fait. Simplement, il s’agit d’un bien curieux enfant, qui est toujours à la fois né et non-né. S’il était né absolument, il ne serait pas fondé dans l’avenir, mais dans le passé. Et si tel était le cas, nous ne pourrions, grâce à son secours, chasser les habitudes empruntées au monde naturel extérieur de notre propre âme, car il serait lui-même un produit de ce monde extérieur.
Et pourtant, nous pouvons les chasser, ces habitudes, ces attachements, grâce au fait que cet enfant repose dans l’avenir. Il nous permet de les chasser, non de les combattre, ni de les violenter, car j’entends par chasser trouver la capacité de renoncer à toutes ces choses, à tous ces êtres qui nous occupent avec la même illégitimité qu’une armée occupe une terre étrangère. Oui, nous pouvons les chasser en exerçant le renoncement. Ainsi se crée dans la crèche, le « néant de néant » pour paraphraser le Maître, et l’enfant peut y trouver naissance, dans toute sa nouveauté, son dénuement et sa fraîcheur. Alors il est présent. Alors nous sommes présents.
Renoncer au monde et accueillir l’enfant. Une seule et même action.
La démarche Saluto offre à chacune et chacun la possibilité de connaître et d’exercer l’endroit principal de ce renoncement.
Romain Wargnier
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1 commentaire
Admirable! Je viens de poster un commentaire sous un autre article plus récent et je me rends compte qu’il est juste un écho de ce texte. Comme quoi les aspirants gnostiques de tous horizons et de tous temps se reconnaissent et résonnent ensemble comme une symphonie.