LA DIABOLISATION ORDINAIRE
LA DIABOLISATION ORDINAIRE
Diabolisation… Diable… du grec διάβολος / diábolos, issu du verbe διαβάλλω / diabállô, signifie « celui qui divise » ou « qui désunit ».
Diabolique est ce qui divise et désunit.
Et comment fait-on pour diviser les gens ? Il suffit de les rassembler autour d’une valeur et de les laisser s’identifier à elle.
Une croyance, une conviction, une revendication, une opinion…
En effet, certaines valeurs peuvent être universelles, mais aucune valeur n’est universellement partagée. Vous trouverez toujours des personnes qui ne veulent pas de ce qui vous est important. Vous trouverez toujours des gens qui portent des valeurs qui ne sont pas les vôtres. De ce fait, plus on tient à cultiver ensemble des valeurs qui nous sont importantes et plus on rencontrera de détracteurs. Il y a dans chaque valeur à laquelle on s’identifie, le germe d’une discorde.
Vous l’aurez compris, le problème n’est pas la valeur. C’est l’identification à la valeur.
C’est croire qu’elle est une affaire personnelle. C’est en faire une identité que l’on défend et qui nous conduit à nous rassembler avec ceux qui ont la même valeur et à se fermer à ce qui n’est pas pareil que soi.
Les valeurs sont ce qui fédère les groupes identitaires. Elles sont à l’origine des collectifs identitaires.
Par exemple, la manie d’aujourd’hui de taxer les gens de –phobe quand ils pensent au-delà de certaines convictions dans l’air du temps, est diabolique. Cette tendance s’est d’ailleurs tellement accentuée depuis quelques temps, qu’il n’est bientôt plus possible d’énoncer une pensée si elle remet en question une opinion collectivement admise.
La pression sociale conduit à l’autocensure ; victoire diabolique du collectif sur l’individu.
On l’a vu à l’occasion récente des mesures sanitaires. Il y avait les Anti-vaccins et les Pro-vaccins ; les Anti-pass et les Pro-pass. D’aucun aura donné libre cours à ses opinions, se déchirant avec des proches aux opinions opposées, ou se sera conformé pour éviter la séparation. On aura suivi la pression sociale. On se sera fondu dans le collectif.
À présent, le même scénario se joue au sujet de l’Ukraine. On peut à loisir être contre Poutine ou contre l’OTAN qui agite la région depuis 2014.
C’est un jeu « perdant / perdant » : soit tu te déchires, soit tu perds ton originalité en ayant la même opinion que tout le monde.
Comment s’en sortir ?
Réunir ce qui est désuni en soi.
Lorsque nous nous identifions à une valeur, nous sommes séparés en nous-mêmes. Séparés de ceux qui ne la partagent pas. Séparés du monde.
Concevoir que ceux qui partagent d’autres valeurs ne sont pas moins humains que je ne le suis. Ce qui les rassemble est peut-être ignoble à mes yeux, mais eux ne sont ignobles qu’en ce qu’ils sont identifiés à cette valeur. C’est à dire en tant qu’ils ne sont pas eux-mêmes, mais membre d’un collectif.
C’est cette part d’humanité en chacun qu’il nous est appelé de découvrir.
On ne peut le faire qu’en se plaçant à l’endroit à partir duquel on peut la percevoir.
Cet endroit, c’est celui qui ne s’identifie pas à une valeur.
Comment l’exercer ?
Choisissez quelque chose qui vous parait essentiel dans la vie, une chose (une activité, une croyance, une appartenance à quelque chose…) sans lesquels votre vie n’aurait plus la même saveur.
Prenez le temps de vivre que cette chose est dans votre vie et voyez comment c’est de le vivre un instant.
Comme il s’agit de ne pas identifier la valeur de votre existence à cette chose, prenez ensuite le temps de vivre qu’elle n’est pas dans votre vie. Comment cela fait-il quand vous vous dites que cette chose n’existe pas. Représentez vous tout simplement l’univers sans cette chose.
Dans un troisième temps, prenez le temps de laisser résonner ces deux expériences ensemble. Il n’y en a pas une qui soit mieux que l’autre. Il n’y en a pas une pour compenser l’autre. Elles sont sur le même niveau et vous êtes là, en train de les laisser résonner toutes les deux ensemble.
L’endroit où vous vous trouvez pour le faire, est un endroit désidentifié de cette chose-là. Et c’est à partir de là que vous pouvez également vous lier à ceux qui ne partagent pas ce que vous portez. Vous remarquerez qu’il ne s’agit pas d’un lien sentimental, mais d’un lien au-delà des actes commis. C’est un lien en humanité, remettant ce qui est diaboliquement désuni à sa place.
Il n’est plus besoin de taxer les gens d’anti ou de pro, de -phobe ou de je ne sais quoi encore. Cet endroit que l’on découvre en faisant cet exercice, est celui à partir duquel il devient possible de s’ouvrir à l’altérité.
Ce que notre époque demande de découvrir.
Guillaume Lemonde