MANDAT REPRÉSENTATIF OU MANDAT IMPÉRATIF ?
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- Catégories Articles, Chroniques Contemporaines et Pensées, Démarche Saluto, Droit et société
- Date 20 mai 2022
MANDAT REPRÉSENTATIF OU MANDAT IMPÉRATIF ?
par Romain Wargnier
Lors d’un précédent article j’ai tenté de caractériser, à travers le regard qu’offre la démarche Saluto, la nature de l’élection.
Ma conclusion fut que cette procédure, qui de notre point de vue est souvent la seule envisagée dans une société que l’on nomme démocratique, contient en elle-même les germes du culte de la personnalité, de la manipulation des masses et de la corruption généralisée. Elle favorise l’égoïsme et l’affirmation personnelle, au détriment de l’abnégation pour le bien public.
Bien sûr, et je n’ai pas manqué de le rappeler, l’élection peut constituer un formidable lieu d’exercice pour trouver cette faculté d’abnégation. Plus les obstacles sont grands, plus la victoire est belle ! Mais, en ce qu’elle s’adresse principalement à l’égoïsme du candidat et à l’attente messianique des foules, elle est un défi de tous les instants, même pour le plus vertueux, qui se trouvera de facto obligé de jouer au moins un peu le jeu de la persuasion et de la constitution de réseaux d’influences.
Dans le présent article, j’aimerais m’attarder sur deux manières distinctes de concevoir l’attribution d’un mandat électoral.
Montesquieu, dans son traité De l’esprit des lois, parlait ainsi : « Il y avait un grand vice dans la plupart des anciennes républiques: c’est que le peuple avait droit d’y prendre des résolutions actives, et qui demandent quelque exécution, chose dont il est entièrement incapable. Il ne doit entrer dans le gouvernement que pour choisir ses représentants, ce qui est très à sa portée ».
L’abbé Siéyès, dans son discours à l’assemblée constituante du 7 septembre 1789, prononçait quant à lui cette tirade :
« Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi. Ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet état représentatif ; ce serait un état démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »
La chose est claire ! Claire et assumée : aujourd’hui, dans la plupart des pays dits « démocratiques » les mandats des élus sont représentatifs. Cela signifie, pour faire simple et pour reprendre ce qu’en dit la notice Wikipédia, que le représentant peut agir en tous domaines à sa guise car il n’est pas tenu de respecter les engagements qu’il aurait éventuellement pris devant ses mandants.
Nous arrivons à la notion clé de cet article. Dans un mandat représentatif, l’élu fait ce qu’il veut.
Il dispose d’une très importante liberté, et sa responsabilité est quasiment nulle. La seule sanction encourue est éventuellement sa non réélection à l’issue de son mandat. Dans cette configuration, il n’y a donc rien qui oblige le mandataire. Il n’a aucun réel devoir, son vote est personnel lorsqu’il fait les lois. Il n’a, au fond, quasiment que des droits.
Tout autre serait la situation dans le cadre d’un mandat impératif. La définition de ce dernier peut faire débat et il en existe de nombreux types, mais grosso-modo, le mandat impératif a deux caractéristiques : d’une part le mandataire est lié par la volonté de ses mandants. Il n’est plus un représentant au sens strict des citoyens qui l’ont élu, mais un commis, ainsi que l’expliquait déjà Jean-Jacques Rousseau en 1762 dans son livre Du Contrat Social : « La souveraineté ne peut être représentée par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point. […] Les députés du peuple ne sont donc ni ne peuvent être ses représentants, ils ne sont que ses commissaires ; ils ne peuvent rien conclure définitivement. »
Cela revient à dire que les commissaires, comme Rousseau les désigne, n’ont pas à avoir de volonté propre, n’ont pas ou peu de liberté, mais sont là pour exécuter les termes d’un mandat défini par avance. Ils doivent s’y tenir, ce mandat les oblige, et ils seront comptables de leur attitude. Cela ne signifie pas forcément qu’ils ont une obligation de résultat, ni qu’ils n’ont aucune marge personnelle de manœuvre (pour le coup Rousseau n’en envisage aucune mais il existe des acceptions plus souples), mais ils doivent se plier à la volonté de ceux qui les ont porté à des fonctions représentatives. Cette volonté leur confère un cadre d’action. La deuxième caractéristique découle de la première : les élus seront, en cas de manquement, révocables à tout moment durant leur mandature.
Ainsi le mandat impératif est le contraire du mandat représentatif en ce qu’il confère peu de droits, et beaucoup de devoirs.
En France, l’article 27 de la constitution de 1958 précise que « Tout mandat impératif est nul. Le droit de vote des membres du Parlement est personnel ». La chose est entendue, et la liste serait longue des pays où il en va de même !
Pourtant, il serait bien intéressant, ce mandat impératif !
Pourquoi donc ? Précisément parce qu’en investissant un élu de devoirs et de responsabilités dont il serait comptable, en le transformant en commis de ceux qu’il représente, nous lui offririons un contexte bien plus favorable à l’abnégation et à l’engagement pour une cause plus grande que sa propre personne, ce qui serait un contrepoids pertinent lors d’une désignation par élection.
Le devoir oblige, mais surtout, le devoir libère ! Le professeur qui oblige un enfant, lui donnant un objectif clair vers lequel il doit s’efforcer de cheminer, offre à cet enfant la possibilité de faire un chemin.
C’est une absurdité sans nom que de ne jamais vouloir obliger un enfant dans le domaine éducatif, par peur de lui faire du mal. Ce qui fait mal, ce sont les jugements de valeurs, mais l’exigence en elle-même est neutre. Elle ouvre une voie, une voie vers le courage. Parler d’abnégation ou d’engagement pour plus grand que soi, et parler de courage, c’est la même chose.
Le courage est une des quatre ressources d’avenir décrite dans la démarche Saluto. Il faut du courage pour s’engager au delà de sa valeur personnelle. Cela demande persévérance et endurance. Celui qui est courageux sait voir à chaque instant sur son chemin quel est le prochain pas à effectuer pour réaliser le projet qu’il porte. Et à chacun de ses pas, il est suffisamment présent et disponible pour renoncer, s’il le faut, à être celui qui continuera de porter le projet, ou pour renoncer à la date, à la manière ou au lieu qu’il s’était fixé pour le réaliser.
Lorsque ce courage, qui vient de l’avenir, qui n’est pas donné, nous manque, nous sommes au service de nous-mêmes. Et celui qui est au service de lui-même veut arriver, par le plus court chemin, à la réalisation du projet, sans pouvoir renoncer à quoi que ce soit. Toute embûche sur le chemin devient un obstacle là où il aurait pu y voir une opportunité. A bout de souffle, brisé par des obstacles qu’il croit devoir combattre, il finira par renoncer, même s’il se débat longtemps…
Le mandat impératif peut donc s’avérer précieux en ce qu’il définit un objectif clair.
Dans cet article, comme dans le précédent, j’insiste sur le fait que si je prends la liberté de poser des jugements de valeur comme je le fais par rapport à l’élection ou aux différents types de mandats, je ne peux préjuger en rien de ce que chaque individu fera dans tel ou tel contexte. Il pourrait arriver comme je l’ai précisé que, dans le cadre d’une élection avec mandat représentatif, émerge tout de même un individu formidable engagé pour le bien public et déjouant un maximum de pièges inhérents au mécanisme électoral, et que dans le cadre d’un mandat impératif le commis ne parvienne pas à dépasser son rapport à sa propre valeur pour se donner vraiment comme devoir de réaliser la volonté de ses commettants. Tout est toujours possible dès qu’il y a de l’humain, puisque la particularité de l’homme et des ressources d’avenir dont il peut faire l’expérience, c’est que celles-ci peuvent être rendues présentes dans n’importe quel contexte, même le plus éprouvant, et manquer dans un contexte pourtant bien plus propice.. Il n’en demeure pas moins que certains sont plus favorables que d’autres. Il n’y a ni tabou, ni panacée, mais les contextes sont comme des décors dans lesquels devra marcher le représentant.
- Dans le paysage du mandat représentatif, il n’y a pas d’effort à fournir, tout est déjà là, à portée de main… Pas de réelle direction, ni de difficulté, on est arrivé !
- Dans le paysage du mandat impératif, on se trouve au commencement d’un chemin qui pourra s’avérer long, qui grimpe, qui sera le cas échéant sinueux, pourvu de crevasses et d’aspérités.
En conclusion, si le mandat impératif est un excellent outil qui apporte une base certaine pour le développement de cette belle ressource qu’est le courage, il faudra veiller à ne pas être trop “rousseauiste” et à laisser une marge de manœuvre conséquente au mandataire sur un certain nombre d’aspects.
En définitive, le projet devra être fixé et clair quant à sa nature, son « quoi », mais inclure une possibilité de redéfinir en permanence, de concert entre le mandataire et les mandants, les autres aspects tels que le « quand », le « où », et le « comment ». Sinon, l’élu sera paralysé et ne pourra qu’échouer dans sa tâche.
Romain Wargnier