“JAMAIS VOUS NE POURREZ VOUS VOIR VOUS-MÊME DANS UN MIROIR” – MAURICE ZUNDEL
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Le Je, Philosophie, Présence et attention, Psychologie (Saluto Psychologie), Temporalité
- Date 21 février 2023
Le miroir
Maurice Zundel (1897-1975)
“Jamais vous ne pourrez-vous voir vous-même dans un miroir. Un miroir peut être utile à votre toilette, voire indispensable, mais ce n’est pas dans un miroir que vous trouverez la révélation de vous-même.
Vous ne pouvez pas vous regarder priant dans un miroir, vous ne pouvez pas vous voir comprenant dans un miroir. Votre vie profonde, celle par laquelle vous vous transformez vous-même, c’est une vie qui s’accomplit dans un regard vers l’autre.
Dès que le regard revient vers soi, tout l’émerveillement reflue et devient impossible. Quand on s’émerveille, c’est qu’on ne se regarde pas. Quand on prie, c’est qu’on est tourné vers un autre ; quand on aime vraiment, c’est qu’on est enraciné dans l’intimité d’un être aimé. Il est donc absolument impossible de se voir dans un miroir autrement que comme une caricature si l’on prétendait y trouver son secret.
La vie profonde échappe à la réflexion du miroir ; elle ne peut se connaître que dans un autre et pour lui.
Quand vous vous oubliez parce que vous êtes devant un paysage qui vous ravit, ou devant une oeuvre d’art qui vous coupe le souffle, ou devant une pensée qui vous illumine, ou devant un sourire d’enfant qui vous émeut, vous sentez bien que vous existez, et c’est même à ces moments-là que votre existence prend tout son relief, mais vous le sentez d’autant plus fort que justement l’événement vous détourne de vous-même.
C’est parce que vous ne vous regardez pas que vous vous voyez réellement et spirituellement, en regardant l’autre et en vous perdant en lui. C’est cela le miracle de la connaissance authentique. Dans le mouvement de libération où nous sortons de nous-mêmes, où nous sommes suspendus à un autre, nous éprouvons toute la valeur et toute la puissance de notre existence…
Dans ce regard vers l’autre, nous naissons à nous-mêmes.”
Maurice Zundel (1897-1975) a été un prêtre suisse itinérant peu connu de son vivant, mais dont les enregistrements rassemblés par le Père Bernard de Boissière, connurent après sa mort un rayonnement important. Ils sont diffusés notamment par l’association “Les amis de Zundel” et par Paul Debains.
NOTES DE LECTURE :
Naturellement, lorsque nous pensons, nous nous reculons pour avoir une vue d’ensemble et puiser aux expériences passées. La pensée propose en effet un chemin que nous parcourons à rebours. De là où nous sommes, nous cherchons les causes, les raisons, les lois qui sont à l’origine de ce qui se présente. Cela nous permet de saisir les conséquences et de nous orienter. C’est ce mouvement naturel de recul qui nous conduit à l’introspection.
Sur-naturellement il en va tout autrement. Il est possible de ne pas suivre les pensées qui nous entrainent, de renoncer à les suivre et de faire silence. Alors, plutôt que de laisser résonner nos pensées avec ce que l’on perçoit, et de ne percevoir que ce que nous connaissons déjà, nous sommes disponibles pour l’autre, celui qui nous fait face. Toutefois, je ne dirais pas, comme Maurice Zundel, que nous nous perdons en l’autre. Je dirais qu’alors nous sommes unis à l’autre. Cela se fait sans que nous ne nous perdions. Car il faut de l’attention, une attention absolue, pour renoncer à suivre les pensées qui s’imposent et devenir disponible à ce qui est, plutôt qu’à ce que l’on aimerait qui soit.
Cette attention ne va pas sans s’y exercer, comme le funambule sur son fil s’exerce à faire un pas et à remonter sur le fil lorsqu’il en tombe. Ne pas suivre les pensées qui s’imposent, c’est ne pas suivre le mouvement de la gravité. Mais ce prodige n’est possible qu’en s’unissant absolument à la gravité. C’est dans cette union avec la Terre entière que le funambule se découvre funambule.
C’est pourquoi, avec Maurice Zundel je peux dire que ce n’est pas à travers une introspection que l’on se découvre, ce n’est pas dans un miroir que l’on se voit, mais dans l’attention que l’on offre à un autre que soi.
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