TIRAGE AU SORT EN POLITIQUE
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- Catégories Articles, Chroniques Contemporaines et Pensées, Démarche Saluto, Droit et société
- Date 24 juin 2022
En introduction à l’article de Romain Wargnier, ci-dessous, j’aimerais rappeler aux lecteurs de ce blogue que la démarche Saluto offre de percevoir les ressources qui, du fait de leur absence, nous place pour l’instant devant des épreuves. Autrement dit, les épreuves que nous vivons sont la manifestation d’une ressource encore à venir qui est en train d’être cherchée et qui permettra de traverser l’épreuve…
Or l’une de ces ressources est de pouvoir avancer pas à pas avec le projet que l’on porte. Cette ressource s’exerce. Elle offre de ne pas se projeter dans le résultat, mais de rester bien présent au pas qui est en train de se faire, et par lequel l’objectif est en train de s’approcher de sa réalisation. Chaque pas est alors l’occasion de découvrir comment l’objectif s’approche de sa réalisation. Il est déjà complètement opérant dans chaque pas que l’on fait vers lui. Quand on exerce cette ressource on remarque que l’on ne peut pas avoir idée de la façon dont cet objectif se concrétisera puisqu’il se dessine à chaque pas et qu’il est bien plus grand que ce que nous pouvons nous-même projeter.
Quand, en revanche, on ne parvient pas à avancer pas à pas, on se projette dans le résultat. On réduit le résultat à ce que l’on peut projeter. On voudrait être déjà arrivé. On voudrait que l’objectif soit déjà réalisé et l’on ne se préoccupe pas d’autre chose que de cette réalisation. On recherche la puissance qui le permettrait. Plutôt que de dégager le terrain pour que l’objectif advienne, on force le passage pour être victorieux avec son projet. On travaille pour son propre succès.
Si vous m’avez suivi jusque-là, vous comprendrez que lorsqu’une personne travaille à son succès, elle ne peut pas en même temps avancer avec un objectif plus grand qu’elle.
Romain Wargnier, dans l’article qui va suivre, note que l’élection, en proposant à chacun de concourir pour son succès, n’est peut-être pas la forme la plus favorable à servir des objectifs plus grands que ce que les intérêts personnels envisagent. Se mettre, par exemple, au service d’une nation ne passe peut-être pas au mieux par un processus électif… La question est ouverte. Le texte de Romain permet d’alimenter cette réflexion.
TIRAGE AU SORT EN POLITIQUE – par Romain Wargnier
Le tirage au sort est, avec l’élection, le principal moyen pour se choisir des représentants. Il existe d’autres procédés, issus des milieu qui travaillent sur l’intelligence collective, comme par exemple « l’élection sans candidats », mais qui sont inapplicables à grande échelle. Je vais donc considérer le tirage au sort comme le plus sérieux rival de l’élection.
Cette pratique peut faire sourire, voire inspirer la crainte. Pourtant le tirage au sort a été utilisé fort longtemps dans l’histoire humaine. Si aujourd’hui il n’occupe plus qu’une place minime dans de petits microcosmes, il demeure néanmoins en France, comme je l’évoquais dans un précédent article, le moyen de désigner les jurés d’assises, qui jugeront au nom du peuple français et pourront décider d’envoyer un de leur semblable passer sa vie entière derrière les barreaux. Ce qui est concevable dans l’ordre juridique semble peu sérieux lorsqu’on l’applique au politique. Tentons néanmoins de considérer la nature du tirage au sort, sans parti pris, en se souvenant de ce qui avait été abordé quant à l’élection.
Rappelons une fois encore, que pour tout ce qui touche au politique dans son sens le plus large, le thème est toujours le même. C’est celui de l’engagement individuel pour un projet plus grand que soi.
Si je ne trouve pas en moi cette force, cette persévérance qui me permet de m’engager et d’être concerné par la société au sein de laquelle se déroule mon existence, ce sont toujours des questions de valeur personnelle qui occuperont le devant de la scène. Ou bien je considérerai que je suis incapable de m’occuper de la « polis », que ma valeur n’est pas assez haute, et je remettrai donc la puissance que j’estime ne pas posséder à quelqu’un d’autre en glissant un bulletin dans une urne et en lui prêtant des qualités de sauveur (ma valeur est basse et la sienne est haute) ou bien j’arguerai de ma haine contre la société et mes semblables, haine que je prendrai comme prétexte de mon incapacité à m’engager vraiment, et je me désintéresserai de tout (la société ne vaut rien, je me pense supérieur), ou bien encore je candidaterai moi-même à une élection en déployant toute ma capacité de persuasion pour prouver à tous que je suis bien meilleur que les autres, ce qui montrera là aussi que ma persévérance manque, car je chercherai à m’imposer, à m’affirmer, pour parvenir le plus rapidement possible au but fixé, sans envisager une seconde que je ne suis peut-être pas la personne la plus désignée pour me présenter. (ici ce qui compte n’est plus que le projet se fasse, mais que ce soit moi qui décroche le poste). Je pourrai multiplier les cas de figure…
Que se passe-t-il avec le tirage au sort ?
Tout d’abord, il désigne quelqu’un qui ne candidate pas. C’est un fait singulier. L’élection donne le pouvoir à ceux qui le veulent, pas le tirage au sort. Imaginons une seconde tout ce qui n’a plus lieu d’être par ce simple fait. Plus de nécessité de convaincre, manipuler, séduire, plus de recours à des cabinets de conseils et de communications à des prix exhorbitants, etc…plus rien de tout cela. Et oui, car le tirage au sort déconnecte totalement la représentation de la valeur personnelle. Celle-ci n’a donc plus besoin d’être gonflée artificiellement. Le culte de la personnalité disparaît du même coup…
Pour le dire autrement, le tirage au sort repose sur la conviction que toute personne est capable de représenter la communauté. La valeur d’un individu vaut celle d’un autre, et ce n’est d’ailleurs pas cela qui va compter.(Bien sûr on pourrait discuter de la question de savoir si une pré-sélection doit être établie, et sur quels critères, etc..mais cela nous emmènerait trop loin. Je souhaite en rester au phénomène essentiel). Le sort désigne donc une personne pour occuper une charge pendant un certain temps. Admettons que, comme pour le cas des jurés d’assises, cette personne ne puisse pas se dérober. Elle a été désignée et va devoir rendre ce service à sa communauté. Quelle pourra en être la conséquence ? Là encore, personne ne peut le dire, mais ce qui est certain c’est qu’elle ne sera pas une élue, qu’on ne l’aura pas désignée parce qu’elle est formidable, mais parce qu’on considère que l’intérêt général doit être l’affaire de tous. Il est dans ce contexte plus simple d’accomplir des actions désintéressées, d’autant plus lorsque les mandats sont cours, et tournants. Pendant 6 mois c’est moi, puis ensuite ça sera mon voisin, et ainsi de suite. Les questions de valeur étant évacuées, l’engagement sera facilité. Bien sûr, telle personne pourra faire preuve de mauvaise volonté car elle ne souhaitera pas s’impliquer, mais ce qui se passe en réalité dans les petits milieux qui pratiquent encore ce mode de désignation, c’est que la quasi totalité des désignés prennent leur rôle au sérieux, et tentent de satisfaire au mieux à leur tâche. Ils devront souvent se former, s’informer, consulter, et à la fin, lorsqu’ils rendront leur mandat, ils auront grandi. Ils seront devenus plus adultes politiquement, plus responsables aussi. En bref, ils auront fait un chemin, un chemin qui aura été rendu possible parce que les questions d’égos auront été confinées au strict minimum.
Là encore, pas de recette miracle, mais si nous réfléchissons bien à ce que qu’induit l’élection, et que nous mettons le tirage au sort en face, il me semble qu’il y a matière à penser…
Romain Wargnier