LES QUATRE ÉTAPES POUR S’IMMUNISER AUX FAKE NEWS
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Actualité, Articles, Exercices pratiques, Présence et attention, Psychologie (Saluto Psychologie)
- Date 10 avril 2020
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LES FAKE NEWS, EN FRANÇAIS INFOX OU FAUSSES NOUVELLES, sont des informations mensongères délivrées dans le but de manipuler ou de tromper un public et d’obtenir un avantage (financier, idéologique, politique, etc.). Parfois, cet avantage est juste la satisfaction personnelle d’un buzz couronné de nombreux « j’aime » sur FB, Twitter ou LinkedIn…
À l’occasion de l’épidémie qui nous occupe actuellement (avril 2020) et de l’extraordinaire mesure de confinement qui a été décrétée dans bon nombre de pays, les nouvelles de toutes sortes vont évidement bon train. C’est à celui qui aura le scoop le plus retentissant. Les réseaux sociaux sont envahis d’articles et de vidéos exposant toutes sortes de théories, comme par exemple l’origine artificielle du virus, son activation via la 5G, les agissements en sous mains des grands argentiers de la planète, les mensonges chinois sur le nombre de morts, etc. D’autres nouvelles, plus réjouissantes, se mélangent aux précédentes, comme celles qui évoquent la réapparition des dauphins en baie de Venise ou la restauration de la couche d’ozone.
Ces informations sont-elles vraies ou fausses ? factuelles ou inventées à des fins de manipulation ? Comme elles s’adressent à nos espoirs ou à nos peurs et qu’elles confirment ce que nous pensons tout en confortant notre méfiance de l’autorité et de ses experts, elles ne nous laissent pas indifférents et se partagent sur internet d’une façon virale.
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Il est très facile de se retrouver sous influence de fake news.
On sait que la moindre des choses, pour éviter cette propagation virale de fake news, est de vérifier ses sources, de Googler le nom du journaliste ayant écrit l’article, de faire une recherche pour trouver l’origine de l’image ou de la vidéo mise en avant. Cela devrait être enseigné aux élèves, si ce n’est pas déjà le cas.
En matière de viralité, vérifier ses sources, c’est comme se laver les mains et ne pas porter à la bouche ou aux yeux, ce que l’on a ramassé dehors.
Mais si les fake news sont virales, il est également important de renforcer l’immunité du lecteur.
En effet, un virus ne se propage que si l’immunité l’y autorise, ou plus exactement si elle ne s’oppose pas à ce qu’il nous envahisse.
Si l’on considère que notre immunité est l’empreinte biologique de notre présence dans le corps et de ses rapports avec le monde, renforcer l’immunité du lecteur consistera à l’aider à être présent à sa relation au monde.
Cela pourra être exercé, tout comme l’immunité s’éduque avec le temps. L’immunité, dite « naïve » au début de la vie, s’exerce au contact du monde. De même, de façon à ne pas rester vulnérables aux fake news, nous aurons à nous exercer à être présents. Et cela ne sera jamais gagné puisqu’être présent est une affaire qui est valable au présent, donc à recommencer toujours.
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ÊTRE PRÉSENT…
Ce que cela signifie ? Dans le cadre de cet article, la réponse sera brève.
Mais à ce sujet vous pouvez lire : À quel point sommes-nous présents ?
Être présent, c’est, on s’en doute, être au présent… c’est-à-dire en lien avec le présent et non pas en opposition avec ce qu’il propose. Quand on se met en opposition avec ce qu’il propose, quand on voudrait que ce qui est soit autrement, on n’est déjà plus présent à ce qui est, mais projeté dans un ailleurs qui, nous le croyons, nous irait mieux. On repousse, voire on haït ce qui est ici et on se projette ailleurs, ce qui rend possible toutes les peurs, puisque les peurs résultent de projections. Bref. On se fait des films, pour le meilleur et pour le pire.
Ainsi, les fake news nous atteignent à travers ce que nous espérons et aimerions croire, à travers nos peurs et nos haines… J’oserais même dire qu’elles se nourrissent de nos espoirs, de nos peurs et de nos haines : elles les valident et se propagent ainsi…
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S’EXERCER À ÊTRE PRÉSENT
S’exercer à être présent consistera donc à ne pas se mettre en lutte avec une partie du monde.
Cela peut sembler paradoxale, car en matière de Fake news on pourrait se dire qu’il faille au contraire exercer son esprit critique afin de repousser une partie des informations proposées. Mais si l’esprit critique requière l’analyse de faits pour formuler un jugement, un problème se pose : il est possible de prouver que les chevaux existent, mais il n’est pas possible de prouver que les licornes n’existent pas. Il restera toujours un doute. Jusqu’à preuve du contraire.
Si l’on s’en tient à notre seul esprit critique ( comme ce qui requière l’analyse de faits pour formuler un jugement ),
- repousser l’idée que les licornes existent, faute de preuve, et plus généralement repousser ce que l’on ne peut pas prouver, c’est peut-être fermer une porte à une nouvelle connaissance. Ce doute va ouvrir chez certains le besoin de rouvrir la porte coûte que coûte. C’est une faille dans laquelle les fake news s’immisceront.
- À l’inverse, adhérer à l’existence des licornes, (et donc repousser la possibilité qu’elles n’existent pas) même sans preuves réelles, c’est basculer dans la croyance, qui est la nature même des fake news.
Quand on repousse la possibilité que les licornes existent du fait de l’absence de preuves, ou celle qu’elles n’existent pas, bien qu’il n’y ait aucune preuve, on fait le jeu de la fake news…
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Alors, les licornes existent-t-elles ou non ?
Un esprit scientifique ne se met pas en lutte avec ces deux propositions : il se tient entre elles sans pour autant décréter que les licornes existent ou n’existent pas. (Là serait un véritable esprit critique). Il s’avoue ne pas savoir et garde les deux hypothèses comme possibles.
EXERCICE 1 :
Essayez de vous tenir entre ces deux affirmations. “Il est vrai que les licornes existent”, “Il est faux que les licornes existent”. Ne balancez pas. Restez là. Cet exercice ne vise pas à vous permettre de trouver une réponse à cette question triviale quant à l’existence des licornes. Il permet d’éprouver une stabilité intérieure qui à son tour permet de ne pas subir les mouvements de nos sympathies ou de nos antipathies à ce sujet.
En effet, notre rationalité est bien souvent à notre insu complètement subjective, guidée par nos sympathies et nos antipathies. Et c’est parce que nous trouvons peut-être sympathique l’idée que les licornes puissent exister, que nous sommes enclins à croire celui qui aura vu celui qui en aura vu une. De même, c’est parce que nous n’aimons pas les manières puériles des gens qui postent des images de licornes sur YouTube, que nous serons enclins à ne pas croire celui qui nous dira en avoir vu une.
Ici, un article développant ce sujet : « sortir de la pensée binaire »
Ainsi, quand vous regarderez prochainement une vidéo sur YouTube ou quand vous lirez un article, essayez de le faire non pas en cherchant la faille (l’esprit critique fonctionnant par la preuve), mais en gardant à l’esprit que ce que l’on vous raconte est simultanément absolument vrai et absolument faux.
Vous remarquerez que vous recevrez ces informations d’une façon plus claire sans pour autant être influencés par elles. S’il doit y avoir une faille, elle pourrait bien vous apparaitre plus facilement.
Cet exercice permet d’être stable intérieurement, ce qui est un premier facteur d’immunité aux fake news.
EXERCICE 2 :
Lorsque nous évaluons la vérité d’une information, nous avons tendance à nous baser sur ce que nous savons déjà. Une information nous paraitra d’autant vraie qu’elle nous paraît familière.
C’est pourquoi, plus une information sera répétée, plus les personnes qui y sont confrontées seront susceptibles d’y croire, car la répétition va rendre l’information toujours plus familière.
De même, lors d’une première lecture d’un article ou de la première écoute d’une vidéo, nous formons des liens entre les différents éléments de l’information. Nous les organisons selon ce qui nous est familier (selon ce que nous savons déjà). À chaque écoute de cette information ou d’une information comprenant les mêmes liens, ces derniers seront renforcés.
Cela nous conduit à l’exercice n°2 :
Lorsque vous écoutez une vidéo ou lorsque vous lisez un article, discernez attentivement les liens qui sont établis entre les pensées exposées. Ces liens de cause à effet devraient obtenir toute votre attention. Tout en écoutant le discours exposé dans la vidéo ou l’article, essayez d’être attentif à faire de ces liens de causalité, de simples corrélations, c’est-à-dire des juxtapositions n’ayant pas de rapport de causalité. Tout en écoutant attentivement les enchainements causaux exposés, essayez de garder toutes ces informations sans les ordonner dans un fil de causalité. Gardez-les en conscience simultanément plutôt que de les enchainer chronologiquement.
Par exemple, vous entendez : « en été, il est dangereux de manger des glaces au chocolat: en effet les graphiques le montrent : plus on mange de glace au chocolat, et plus il y a de noyades. » Vous entendez une causalité et vous êtes troublés de constater que le graphique émanant de la chambre du commerce montre une courbe des ventes superposable au graphique des décès par noyade.
Alors relevez la causalité qui vous est exposée, et sans la mettre en doute a priori, renoncez à suivre cette chronologie : gardez les deux informations côte à côte : en été on mange plus de glace. En été il y a plus de noyades.
Bon nombre de fake news se servent d’enchainements logiques pour tromper notre vigilance. Ou plus exactement, c’est parce que nous ne sommes pas présents, que nous sommes abusés.
Être présent, c’est pouvoir garder au présent toutes les données de l’information sans les classer a priori. Les garder ensemble et simultanément.
Cela donne du recul. Moins pris par une foule de données qui s’enchainent devant notre nez, on devient disponible pour entendre entre les données, ce qui est essentiel d’entendre ou de voir.
C’est un deuxième facteur d’immunité aux fake news.
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EXERCICE 3 :
Les enchainements logiques auxquels nous sommes exposés ont d’autant plus de crédibilité que leurs sources sont crédibles. Une fake news est rapidement perçue comme plus valide qu’elle ne l’est vraiment dès lors qu’une connexion se présente entre un objet controversé qui doit être légitimé et une source de légitimité.
– C’est un ami honnête qui me le partage, donc ça doit être pris au sérieux.
– C’est quelqu’un que je trouve sérieux qui le dit, donc ça doit être pris au sérieux.
– Une autorité que je respecte est référencée dans l’article, donc c’est vrai.
Les fake news étant de l’ordre de la croyance, elles fonctionnent grâce à des arguments d’autorité. La paresse cognitive (la non-présence) pousse à la crédulité : on préfère postuler qu’une information découlant d’une autorité est vraie plutôt que de vérifier par soi-même.
Or, les arguments d’autorité sont ceux qui font autorité, c’est-à-dire qui ont une valeur à nos yeux, ou qui soutiennent une valeur à laquelle nous accordons une importance personnelle.
Nous sommes identifiés à cette valeur, à ce sujet.
Par exemple, en matière de licorne, on peut avoir besoin de croire que le monde contient encore une part de magie. Cette valeur peut être pour nous ce qui rend la vie belle et sensée. Sans la possibilité de magie, notre vie nous apparaitrait grise et routinière. Imaginer que les licornes n’existent pas, serait intolérable…
Mais si cette possibilité est pour nous intolérable, alors nous devons convenir que nous ne sommes pas prêts à accueillir toutes les possibilités. Nous sommes en lutte avec toutes les possibilités et plus enclins à la croyance qu’à rencontrer la réalité : nous ne sommes pas présents, mais pris par un espoir ou une nostalgie et donc exposés au virus de la fake news.
Cela nous conduit à l’exercice n°3 :
Nous avons à offrir toute notre attention au sujet proprement dit et ne pas nous mettre en lutte avec toutes les possibilités. Tout en écoutant la vidéo ou en lisant l’article, exerçons-nous à nous dire que ce sujet important pour nous est pleinement présent dans le monde et tout à la fois, qu’il n’a aucune d’existence dans le monde. Autrement dit, on peut se représenter un moment le monde plein de cette chose, puis le monde sans cette chose, puis les deux simultanément sans balancer de l’un à l’autre.
Par exemple : La 5G est partout sur Terre. La 5G est nulle part sur Terre. Bien ressentir comment l’une et l’autre assertion se vivent. Puis simultanément, les deux ensembles, sans balancer de l’un à l’autre.
Il ne s’agit pas de choisir entre l’une des deux possibilités, mais de tenir les deux possibilités simultanément et à égale intensité.
Cet exercice permet de se dés-identifier de la valeur qui nous aveugle.
C’est un troisième facteur d’immunité aux fake news.
EXERCICE 4 :
Les sujets qui ont une valeur à nos yeux, nous aimerions les partager au plus grand nombre.
Les fake news sont la plupart du temps partagées dans un objectif positif : le partage d’informations jugées importantes, aux personnes de notre entourage. Mais il est également nourri par la satisfaction de partager quelque chose que les autres ne savent pas encore. On se gonfle à ce jeu. On se rend important. On s’improvise lanceur d’alerte alors que l’on ne fait que relayer une information obtenue sans effort, sans investigation personnelle. Et l’on participe à la propagation virale des fake news en diffusant des informations non vérifiées et inexactes.
Sommes-nous allés sur le terrain ? avons-nous fait une véritable recherche ? Avons-nous, avec ce sujet, de quoi publier en notre nom ? Non !
Face à ce sujet je me sens certes très puissant à pouvoir transmettre l’info, j’ai même l’illusion que je pourrais ainsi faire bouger des choses, mais je sais que je suis totalement impuissant à y changer quoi que ce soit moi-même. Je m’illusionne à l’idée que le fait de partager l’information à un grand nombre pourra changer la donne.
Cela nous amène au 4ème exercice :
Ressentez un instant cette puissance ( c’est à dire cette satisfaction à pouvoir faire quelque chose, comme par exemple de transmettre l’info) et ressentez votre impuissance à pouvoir changer vous-mêmes quoi que ce soit à cette situation. Les deux simultanément ensuite.
Restez dans cet écart, dans cet intervalle.
Cela pourrait bien vous libérer de l’illusion d’agir en partageant une information. Plutôt que de viser le plus grand nombre de vues, on peut se sentir saisi par un réel objectif dans le monde réel.
C’est un quatrième facteur d’immunité aux fake news.
En résumé, lorsque vous visionnerez la prochaine vidéo ou lorsque vous lirez le prochain article,
- essayez d’écouter ce qui se dit comme étant absolument vrai et simultanément absolument faux, sans balancer de l’un à l’autre,
- essayez d’écouter les enchainements logiques tout en gardant en conscience simultanément toutes les informations exposées, sans balancer de l’une à l’autre,
- essayez de vous représenter simultanément le monde plein du sujet important à vos yeux et sans lui, sans balancer de l’un à l’autre,
- essayez de ressentir simultanément votre puissance à partager et votre impuissance à changer quoi que ce soit au sujet, sans balancer de l’un à l’autre.
Et comme il s’agit d’exercices, peut-être aurez-vous envie de les pratiquer régulièrement et de revenir dire ici ce que vous aurez remarqué.
Voilà pour aujourd’hui.
Bien à vous
Guillaume Lemonde
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1 commentaire
Merci Guillaume
Article qui tombe à point nommé.
Voici l’exercice indispensable, effectivement, pour se tenir debout entre les illusions de toutes sortes… Le pratiquer me renvoie à un extrême isolement, une extrême solitude où n’existe que la présence de la conscience – une sorte de vide pourtant habité. C’est à la fois douloureux et fortifiant… et demande un effort d’attention constamment renouvelé. Mais, dans cet étroit espace de la présence, il me semble toucher quelque chose de plus vaste, encore inconnu, que je ne saurais nommer. Un espace, une réalité vivante ou un «étant» (qualité d’être) empli de potentiels encore inconnus.
Difficile de décrire le ressenti expérimenté avec les mots d’un vocabulaire trop étriqué. Peut-être est-ce là passer le chas de l’aiguille ?