TRANSHUMANISME – UNE QUÊTE D’INFINI
- Posté par Guillaume Lemonde
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- Date 8 décembre 2023
TRANSHUMANISME – UNE QUÊTE D’INFINI
Au XXe siècle est apparu le terme anglophone de human enhancement. Il désigne l’amélioration des capacités humaines en particulier, mais aussi de la condition humaine en général, par des interventions génétiques, l’implantation de puces permettant de suppléer à des défaillances de l’organisme, l’utilisation de xénogreffes pour assurer la survie et de l’intelligence artificielle pour augmenter l’intelligence humaine. Ce projet transhumaniste part du principe que la condition humaine est arrivée au bout de ce qu’elle peut nous offrir. Elle est un produit fini, qui ne bougera plus ou alors au gré d’une évolution tellement lente qu’il n’est pas possible de compter sur elle. C’est pourquoi il veut prendre le contrôle absolu de l’évolution humaine (1) et se charger d’améliorer toutes les fonctions organiques et psychiques.
Comme le dit le politologue Klaus-Gerd Giesen, pour ce courant de pensée, « il conviendrait que l’humanité prenne technologiquement en charge son destin. Cela signifierait qu’elle rompe avec le processus de sélection naturelle (…) et qu’elle forge son évolution sur le mode volontariste jusqu’à dépasser la condition humaine.»(2)
Ceux qui se réclament d’un tel projet, « prônent sinon un devoir, du moins un droit d’intervenir dans le cours des événements. (3)». Ils justifient le droit de l’humain à avoir une emprise sur sa propre évolution en invoquant que ce qui fait de lui un être humain, c’est de n’être déterminé par rien… « L’être humain « naturel » est obsolète et doit être amélioré par la technologie. (4)» En somme, il est imparfait. Mais l’imperfection se mesure toujours à partir d’un absolu. Alors à quel absolu les tenants de ce point de vue se réfèrent-ils ?
Il est intéressant de remarquer que tout en s’identifiant à la matérialité du corps qui nous détermine, ceux qui pensent l’être humain obsolète ont des aspirations qui ne peuvent en aucun cas venir du même plan : comment pourrions-nous vouloir n’être déterminé par rien si nous étions nous-même issu d’un déterminisme, poussé à penser, sentir et vouloir ce que ce même déterminisme attend de nous ? Pour qu’une telle émancipation puisse se concevoir, il faut entre le corps et ce qui dans le corps ne se reconnaît pas identique à lui, une différence essentielle.
D’un côté, les possibilités bornées, finies et limitées de notre condition qui nous pousse à penser, sentir et vouloir d’une façon bornée, c’est-à-dire déterminée, et de l’autre la conscience de ce qui en nous n’a pas à être limité : un infini, un absolu.
Pour le transhumanisme, cet infini en l’Homme, recherché sur le plan matériel, c’est-à-dire dans le monde des choses finies, se trouve à travers le « mythe d’un progrès infini (5)». Il s’agit de transformer le corps limité en une machine incorruptible, dont la vie pourrait devenir elle aussi infinie, en faisant disparaître la mort. Mais quel infini est-ce là, s’il peut être borné par la mort et s’il ne peut se réaliser qu’à la condition qu’elle soit supprimée ? Quel infini se laisse enfermer par une condition préalable et déterminé par elle ?
Ce paradoxe constitue un symptôme important de notre époque. Il témoigne d’une quête sourde et profonde des Hommes d’aujourd’hui.
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D’un côté, nous nous sommes identifié à la matière, suivant les théories matérialistes de Laplace qui écrivait : « Nous devons (…) envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était assez vaste pour soumettre ses données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux. (6)»
Selon Laplace, tout est déterminé et donc prévisible, achevé d’avance, puisque la fin est connue depuis le début ; l’Homme est un mécanisme parmi d’autres mécanismes ; la liberté est donc une illusion ; aucun n’acte ne peut être gratuit ; chacun de nos agissements ne peut être qu’intéressé puisqu’ils sont la conséquence d’une antériorité.
- D’un autre côté, comme G. W. F. Hegel nous le dit : « Toute conscience de soi sait qu’elle est universelle, qu’elle est une possibilité de s’abstraire de toute détermination ; elle sait aussi qu’elle est particulière, qu’elle se présente avec un contenu, un objet, un but déterminés. (7)»
Ainsi, nous sommes d’une double nature :
- il y a ce qui en nous est déterminé. C’est la part de notre nature connue de la médecine, de la psychologie et des sciences expérimentales, pour lesquelles les particularités biologiques, organiques, psychiques peuvent toutes s’expliquer à partir d’une antériorité. Ce qui est déterminé en nous forme le contexte de notre vie, contexte que le transhumanisme voudrait tout bonnement voir disparaître entièrement pour retrouver la liberté d’être.
- Et il y a la part universelle, autrement dit, l’infini en nous, notre essence. Elle se cherche dans un monde de matière, tâtonnant au sujet de sa nature.
Hegel poursuit : « Ces deux moments [n.d.l.a. : l’universel et le particulier] ne sont pourtant que des abstractions. Ce qui est concret et vrai (et tout ce qui est vrai est concret), c’est l’universalité, qui a pour opposé le particulier, mais un particulier qui, par la réflexion sur soi, est ajusté à l’universel. (8)»
Autrement dit, ce qui est concret, c’est la rencontre à chaque instant de deux opposés : l’universel et le particulier.
Guillaume Lemonde
1- Simone Bateman et Jean Gayon, L’AMÉLIORATION HUMAINE : TROIS USAGES, TROIS ENJEUX, Médecine-Sciences, Paris, 2012.
2- Klaus-Gerd Giesen, TRANSHUMANISME ET GÉNÉTIQUE HUMAINE dans : L’observatoire de la génétique no 16, 2004.
3- Klaus-Gerd Giesen, ibidem.
4- Klaus-Gerd Giesen, LE TRANSHUMANISME COMME IDÉOLOGIE DOMINANTE DE LA QUATRIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE, dans Journal international de bioéthique et d’éthique des sciences 2018/3 (Vol. 29).
5- Nick Bostrom, HUMAN GENETIC ENHANCEMENTS : A TRANSHUMANIST PERSPECTIVE, dans : The Journal of Value Inquiry no 37, pp. 493-506. Traduction de Giesen 2004.
6- Pierre-Simon Laplace, ESSAI PHILOSOPHIQUE SUR LES PROBABILITÉS, Paris, 1840.
7- Georg Wilhelm Friedrich Hegel , PRINCIPES DE LA PHILOSOPHIE DU DROIT (1821), Vrin, 1998, p.75.
8- Georg Wilhelm Friedrich Hegel , ibidem, p.75.
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.
1 commentaire
Comment croire que l’humain est abouti, quand on voit les avalanches de barbarie meurtrières qui agitent nos contemporains!
L’espérance de vie part à la baisse, notre mode de vie est puissamment toxique physiquement, chimiquement et psychiquement; nous générons un écocide à effet boomerang.
Franchement, peu mieux faire.