L’ANGE DU CLOÎTRE AU PUY
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Le Je, Présence et attention
- Date 14 juillet 2023
L’ANGE DU CLOÎTRE AU PUY-EN-VELAY
Au Puy-en-Velay, se dresse une cathédrale d’où partit le premier Pèlerin pour Saint-Jacques. Contre le côté nord de la cathédrale, un cloître bâti au XIIe siècle. Dans ce cloître aux arcades polychromes, de magnifiques chapiteaux. L’un d’eux représente un ange. Je suis resté une bonne heure aujourd’hui en compagnie de cet ange. Il se tient droit, derrière un voile. On dirait que ce voile est fait de nuées. L’ange est derrière et passe une main à travers pour soutenir un homme, bien plus petit que lui. Dans le monde de l’homme, devant le voile, deux démons harcèlent le malheureux avec des bâtons. Le démon de droite est tout sourire. Celui de gauche fait la tête. Ils sont de part et d’autre et l’ange est au milieu…
Cette image m’a saisi ce matin.
L’ange et l’homme sont au centre, l’un derrière le voile et l’autre de ce côté-ci du monde sensible. Ils se répondent, l’ange pouvant représenter, en plus d’être un ange, la part spirituelle de l’homme, le JE SUIS. L’homme, quant à lui, est notre part personnelle, ce que nous connaissons de qui nous sommes. La part personnelle, c’est ce à quoi nous nous identifions, notre nom, notre lieu de naissance, notre histoire, nos valeurs, nos sentiments, nos préférences, etc. tout cela représente notre personne. Le JE SUIS, lui, est présent en ces instants où nous sommes, indépendamment de tout cela, indépendamment de ce qui nous définit, de ce qui nous conditionne. L’être spirituel ouvre un espace de liberté dans un contexte qui nous conditionne, nous fait réagir (c’est-à-dire agir selon nos habitudes, selon ce que nous portons de jugements, selon nos perceptions, selon les sentiments qui s’élèvent en nous).
Ainsi, avec l’ange, l’homme connaît la peur qu’insufflent les démons, mais ne la suit pas. Il connaît la haine, mais n’a pas à l’assouvir. Il connaît le doute et ne se laisse pas paralyser par lui. Il connaît les démons, mais se tient au milieu d’eux sans avoir à en suivre aucun.
L’ange ouvre un espace de liberté en permettant à l’homme de se tenir au milieu des démons. Ce qui est démoniaque, c’est ce qui sépare. C’est ce qui attire d’un côté ou de l’autre. D’un côté, on se retrouve avec le démon qui sourit. Allez savoir, peut-être qu’avec le démon qui sourit, on est, séparé du reste, dans l’orgueil de se croire meilleur, tout-puissant, dans la joie de se croire arrivé à un niveau de connaissance tel que l’on ne veut plus écouter ce que disent les autres. On est arrivé au bout d’un chemin que l’on contemple avec satisfaction. Peut-être qu’avec le démon qui fait la tête, séparé de l’autre démon, on se croit nul, sans valeur, sans force, impuissant. On est au début d’un chemin que l’on ne sait pas comment arpenter.
Si l’on trouve la présence de l’ange, au centre, on se vit dans la puissance et dans l’impuissance en même temps. Et la puissance qui nous harcèle et nous sépare des autres, trouve avec l’impuissance qui nous harcèle et nous sépare du monde, un équilibre dynamique. Elles s’annulent réciproquement et ne reste à la fin que l’inconditionnel courage de faire chemin.
La vertu est au centre, les extrêmes sont diaboliques. Voici ce que me racontait l’ange du cloître ce matin. Il est la présence qui attentivement peut vivre la puissance et l’impuissance en même temps. Lorsque nous perdons confiance en nous, il est attentif à ne pas essayer de chasser ce sentiment pénible et de ne pas le compenser avec un encouragement. Il nous laisse vivre l’impuissance absolue et l’expérience de la puissance tout aussi absolue, sans qu’aucune des deux expériences ne prenne le dessus sur l’autre. Il est au centre, au présent.
“Je vais y arriver”, disait l’homme… “Mais j’ai quand même peur que ça n’aille pas. J’ai peur de ne pas y arriver…” “Mais quand même, ça devrait aller”… L’homme balance d’un côté à l’autre… Puissance et impuissance.
“Ne balance pas”, dit l’ange. “Reste avec moi.” “Reste avec cette certitude que tu ne vas pas y arriver et la certitude que tu vas y arriver. Garde les ensemble auprès de moi et découvre dans cette attention-là, le courage d’avancer.”
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Si on enlève l’ange… Si on enlève le JE SUIS, reste la personnalité qui ne peut se tenir d’elle-même dans un entre-deux. Elle balance d’un côté à l’autre; elle glisse d’un côté ou de l’autre : elle s’identifie à un point de vue et combat ceux qui sont opposés au sien. Sans l’ange, la personne que nous sommes se trouve attirée par l’un des deux démons. Le démon de gauche ou celui de droite, se combattant mutuellement.
C’est ce qui est illustré sur le chapiteau suivant, où l’on voit un religieux et une religieuse se disputer une crosse d’évêque. Chacun des deux est inspiré par un démon que l’on voit souffler à leurs oreilles.
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Lorsque j’ai découvert ce chapiteau de la dispute autour d’une crosse d’évêque, je me suis souvenu de celui qui précédait le chapiteau de l’ange et de l’homme. C’était un chapiteau où l’ange était seul. Il y avait donc le chapiteau de l’ange seul, puis le chapiteau de l’ange avec l’homme se tenant entre deux démons, puis le chapiteau d’où l’ange est absent.
Sur le chapiteau de l’ange seul, on le voit souffler dans un olifant. Cela m’évoque la cinquième trompette de l’Apocalypse, celle de l’ange qui annonce que le nombre de ceux qui vivent la parole de Dieu n’est pas complet. Cette trompette sonne un “Réveillez-vous” tonitruant. Autrement dit, exercez la présence !
Voila ce que j’avais à vous partager depuis le Puy en Velay.
Bien à vous
Guillaume Lemonde
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.
1 commentaire
C’est vraiment un très bel article, une très belle réflexion.
J’aime les œuvres d’art qui nous permettent de mieux vivre le présent.
Merci beaucoup