L’AVENIR N’EST PAS DU TOUT RAISONNABLE !
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Temporalité
- Date 16 juin 2022
L’AVENIR N’EST PAS DU TOUT RAISONNABLE !
« Voilà des années que je sens qu’il faut que je laisse mon travail et que je déménage en Grèce », me disait une amie récemment. « Mais ce n’est pas raisonnable ! Mon père est âgé. Il a besoin de moi. Mon fils entre en première année de pharmacie. Il veut que je sois à la maison durant cette première année d’étude… »
Bref, ce projet, important pour cette amie, n’est pas raisonnable !
Mais qu’est-ce que cela signifie ?
Qu’est-ce qui est raisonnable ?
Ce qui est raisonnable, c’est ce que l’on peut comprendre grâce à la raison. Raisonnablement les causes précèdent leurs conséquences. Le père âgé demandant de l’aide ? La raison voit à cet endroit une cause qui implique une conséquence : il faut rester auprès de ce père. Le fils demande une présence ? La conséquence est qu’il faille rester auprès de lui.
C’est raisonnable et logique.
En fait, ce qui est raisonnable, c’est le passé. Quand on regarde le passé, on regarde comment ce qui a été a des conséquences plus tard. La raison peut suivre cette logique, cette chronologie. Elle peut prévoir la suite. Elle peut projeter ce que le passé a enseigné.
Mais tout en s’occupant de prévoir, la raison ne fait que projeter le passé vers demain. En somme, ce que l’on peut prévoir, raisonnablement, c’est le passé projeté vers demain. Cela se nomme en français le futur. Le futur, c’est ce que l’on peut prévoir.
Par exemple, on parle de futurs mariés. On peut raisonnablement prévoir qu’ils vont se marier puisqu’ils ont fait une demande de mariage à la mairie.
À l’inverse, ce que l’on ne peut pas prévoir, c’est l’avenir. On ne peut pas le prévoir car il n’est pas le prolongement du passé vers après maintenant, mais s’approche depuis l’autre côté. Il vient à nous. Il advient.
Quand c’est lui qui nous anime, les causes qui nous animent sont dans l’avenir, c’est à dire dans un endroit temporel que l’on ne peut pas connaître. Ces causes, qui agissent depuis l’avenir, exercent sur nous des effets que l’on peut percevoir avant qu’elles ne soient présentes. Ainsi, depuis l’avenir, les aspirations que l’on a sont à contre courant de la logique. Elles ne sont pas raisonnables.
Comme depuis le passé on suit un enchaînement où les causes se prolongent dans leurs conséquences, le passé ne recèle rien qui puisse créer du nouveau… Quand on aspire à un changement, à quelque chose de nouveau, à une création, à de l’inédit, cela ne peut venir que de l’avenir… Cela ne peut pas être raisonnable. Jamais.
Cette amie, qui raisonnablement ne peut pas laisser son père et son fils, doit-elle pour autant renoncer aux aspirations qui la surprennent depuis l’avenir ?
En fait, il ne devrait pas y avoir d’opposition entre le passé et l’avenir ! Il ne devrait pas y avoir d’opposition entre ce que la raison permet de saisir et la volonté animée depuis l’avenir. Non pas une opposition, mais une rencontre.
Les deux courants du temps, l’un venant du passé et l’autre de l’avenir, se retrouvent au présent. Au présent, on découvre que la raison permet d’identifier ce qui fait obstacle à nos aspirations et que ces obstacles sont l’occasion d’apprendre à décider du prochain pas. Au présent, l’aspiration que l’on porte est déjà présente dans les pas que l’on fait.
C’est uniquement quand on est projeté dans un résultat que les obstacles semblent insurmontables. Quand on est projeté dans un résultat, on veut avoir prévu ce qui se passera. On est donc porté par le courant du passé qui se prolonge dans le futur. On est avec le courant du temps où jamais rien de nouveau n’arrivera. On est condamné à ce que rien ne change jamais.
Mais quand on ne se projette pas et que l’on garde à chaque instant le projet avec soi, alors on avance pas à pas.
On remarque alors que notre raison n’est pas là pour refroidir nos aspirations mais pour éclairer le contexte dans lequel nos aspirations cherchent à se réaliser.
Nos projets se réalisent pas à pas. Cette amie qui veut déménager en Grèce à de nombreux pas à faire. Quel sera le premier ? Elle va peut-être acquérir un terrain. Cela ne l’empêchera tout d’abord pas d’être là pour son fils et son père. Elle aura bien d’autre choses encore à accomplir. Et de l’avenir, allez savoir, des aides viendront peut-être. Une aide pour le père, par exemple… Personne ne peut le savoir…
Cette disponibilité à ne pas se projeter vers le futur (sous l’influence du passé) et à avancer pas à pas, c’est du courage ; de la vaillance… Cette disponibilité à rester bien ouvert à ce que la vie va présenter comme aide, c’est de la confiance. Cela s’exerce…
Guillaume Lemonde
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.
4 Commentaires
Merci Guillaume
Ce texte tomba à point puisque j’ai d’importantes rencontres pour projet À VENIR dans les prochaines
On s’en reparle
Luc
Oh oui, je serais heureux d’apprendre ce qui se prépare. Tout de bon pour toi, cher Luc !
Cet article et tous tes articles d’ailleurs sont tellement lumineux. Il y a toujours une paix qui s’installe en moi après les avoir lus. Merci du plus profond de mon cœur pour tout le travail que tu fais. C’est pour ma part une aide incommensurable.
Bonjour les ami es,
Cher Guillaume une fois encore merci, je suis touché de tes écrits. Envie une fois encore de rebondir : certes l’à venir n’est pas raisonnable… j’aime cette provoque action. Je le crois toutefois aussi un peu raisonné « l’avenir » : raisonné de nos actes que l’acteur va certes « de son improvis action » attracter mais aussi influencé grandement par les contextes (ceux-ci causaux mais réels) que le comédien (partenaire de l’acteur) va lui imposer – comédien qui donc aura aussi son poids à attracter les choses (si les comédiens du défaitismes sont très nombreux par ex).
Une fois encore je ne suis pas sûr de vraiment exprimer ce que je veux dire dans mes écrits, alors j’essaie de résumer mon envie : dire qu’« on peut faire n’importe quoi puisqu’ON ne sait pas de quoi est fait l’avenir » me semblerait dangereux. Je sais cher Guillaume que ça n’est pas ce que tu as écrit mais je crois que c’est(ait!) une possible interprétation…
Comment alors (être et) continuer de devenir cet acteur, cette actrice qui bosse à être assertif/assertive ? Un bout d’homme ou de femme qui tente se propre oser dans des mouvements souvent plombant ? C’est ma recherche , je crois que c’est notre recherche à tous,
à vous toustes,