DANS L’INTERVALLE QUI SE FORME ENTRE DEUX POINTS DE VUE
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Temporalité
- Date 3 mars 2023
DANS L’INTERVALLE QUI SE FORME
ENTRE DEUX POINTS DE VUE
Les études médicales, auxquelles j’aspirais auraient évoqué l’homme en son humanité ; l’homme et ce qui est plus grand que lui. Elles auraient abordé des sujets tels que la vie et la mort. Elles n’auraient pas perdu de vue la santé, ne l’auraient pas confondue avec l’absence de maladies. Mais finalement, c’était en ordre de n’entendre rien au sujet de tout ça. En me remémorant ces études lointaines, je remarque combien il fut important d’être immergé pendant neuf ans dans une analyse rigoureuse du corps. Ce à quoi il fallait puiser pour y parvenir nous demandait de bien intégrer un certain point de vue ; celui qui justifiait cette analyse.
Avant ces études, j’avais toutes sortes de pensées que je gardais auprès de moi parce que je les aimais bien. Il en est toujours ainsi, mais à l’époque, elles étaient sans liens les unes avec les autres, comme les photos mélangées d’une boîte à souvenirs. Il n’était pas possible de savoir à partir d’où elles avaient été pensées. Neuf ans d’études ont remédié à ce problème en permettant que se forme une espèce de camp de base à partir duquel il devint possible de partir en expédition.
Le camp de base, à partir duquel l’Université me proposait de partir à l’aventure, était établi dans la science expérimentale, née du point de vue mécaniste, pour lequel tous les phénomènes du monde sont abordés suivant un enchaînement de causes à effets.
Lorsqu’on regarde l’univers à partir de là, on voit l’homme comme le résultat de causes diverses. Il est un produit biologique et en particulier génétique. L’ADN y tient le rôle de programme, de carte-mère qui détermine tout. Ce point de vue, qu’il fallut intégrer, est dominant depuis le XVIIème siècle. Il a été inauguré entre autres par Descartes et son fameux Je pense donc je suis. Fidèle au philosophe, l’Université nous enseignait que si je pense, c’est parce que j’ai un cerveau. Si j’ai un cerveau, c’est parce que le code génétique le veut ainsi. C’est donc du fait d’une double chaîne d’ADN que je suis. Et je serais mieux encore si mon ADN était parfait… On retrouve là une pensée qui conduit tout droit à l’eugénisme, mais aussi au transhumanisme.
Il existe bon nombre de point de vue dans le monde des pensées.
Celui de l’Université n’est ni meilleur ni pire qu’un autre. Il existe, tout simplement. Il nous révèle des secrets que l’on ne pouvait pas voir d’ailleurs et c’est uniquement notre tendance à généraliser l’univers à un seul point de vue, qui nous conduit à tirer des conclusions que d’autres, placés à d’autres endroits du monde, réfuteront. Des batailles se livrent entre les tenants de tel ou tel point de vue alors que tous les points de vue sont importants pour goûter à la profondeur du monde.
N’est-ce pas avec deux yeux que nous regardons autour de nous ?
Chaque oeil a son point de vue et c’est grâce aux deux que nous percevons les reliefs. Dans le monde des pensées, il en va de même. Tant que nous regardons le monde tels des cyclopes, celui-ci reste sans profondeur.
C’est dans l’intervalle qui se forme entre deux points de vue que notre regard gagne en profondeur.
Quand, par exemple, ayant appris à connaître le point de vue mécaniste, le médecin fait l’expérience un jour d’un amour inconditionnel (un amour qui n’attend aucune rétribution), ou encore d’un espace de liberté par essence inconditionnelle elle aussi, il remarque aussitôt que ces expériences sont incompréhensibles du point de vue qui ne considère que les causes et les effets.
Il perçoit que ce qui en nous peut aimer ainsi ou éprouver une telle liberté, n’est donc pas inséré dans un enchaînement de causalités et donc dans le temps chronologique. Cela se trouve forcément ailleurs, avant et après toute chronologie – si tant est que l’on puisse encore parler d’un avant et d’un après… Il découvre que cette part de nous, qui est avant toute chose et après toute chose en même temps, se tenant à l’alpha et à l’oméga du monde, capable de liberté et d’amour, ne peut se trouver que partout à la fois, dans un temps éternel. Autrement dit, cela parcourt le temps depuis le plus lointain passé mais aussi depuis le plus lointain avenir. Cela s’approche depuis l’avenir.
Ainsi, en tenant ensemble le point de vue mécaniste et celui qui aperçoit la part éternelle de notre condition, le monde prend de la profondeur.
Chaque point de vue est à sa place.
D’un côté, à l’Université, on voit ce qui en nous est déterminé par une biologie, une génétique, un milieu social, une histoire familiale, etc. On voit le contexte de l’existence ; contexte qui propose des contraintes puisque nous déterminant. De ce côté-là la liberté ne peut se concevoir que dans la mesure ou il est possible d’échapper aux enchaînements de causes à effets (échapper aux contraintes). Échapper aux maladies, échapper à la mort…
De l’autre côté, on voit une part éternelle qui évolue dans un temps non chronologique, partout en même temps. Non contrainte, cette part éternelle n’aspire pas à supprimer les contraintes, mais se trouve avec ce qui est, de toute éternité. Elle est en lien avec ce qui est. Elle habite, elle traverse les épreuves. Elle traverse les maladies et la mort.
Non déterminée, elle est à la cause d’elle-même mais aussi de l’univers qu’elle habite. Cela signifie qu’elle est elle-même à l’origine du contexte que le point de vue mécaniste essaie de comprendre.
Elle est elle-même à l’origine des contraintes qui se forment dans ce contexte de vie ; contraintes qui se proposent tandis que nous sommes appelés à rendre présente cette part éternelle.
On s’aperçoit que c’est effectivement au présent que se rencontrent ces deux aspects du monde.
En tenant ensemble ce que ces deux points de vue peuvent percevoir, on s’aperçoit que l’exercice de la présence permet une voie de connaissance de la profondeur du monde.
Guillaume Lemonde
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1 commentaire
Bien bel article, Guillaume ! Merci !