MARIE MADELEINE SE TENAIT PRÈS DU TOMBEAU
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Chroniques Contemporaines et Pensées, Démarche Saluto, Présence et attention, Temporalité
- Date 29 mars 2024
Le matin du troisième jour, Marie Madeleine se tenait près du tombeau, tout en pleurs. « On a enlevé mon Seigneur », dit-elle. « Je ne sais pas où on l’a déposé. » Alors elle se retourna et aperçut Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était Jésus, et Jésus lui dit : « Pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ? » Le prenant pour le jardinier, elle lui répond : « Si c’est toi qui l’as emporté, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre. » Jésus lui dit alors : « Marie ! » Et alors elle se retourna et le reconnu et s’exclama : « Rabbouni ! », ce qui signifie : Notre Rabbi.
N’est-il pas étonnant, ce passage ? Marie Madeleine se retourne une première fois, voit le jardinier et se retourne une seconde fois et reconnait le Christ. Elle se retourne deux fois. Fait-elle un tour complet pour finalement tourner le dos à celui qu’elle avait pris pour le jardinier ?
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Il y a 20 ans, je vivais une épreuve très difficile qu’il n’est pas besoin de détailler ici. Il suffit de dire qu’elle provoquait en moi une douleur sans nom. J’appelais une thérapeute. J’avais besoin de parler et espérais une aide qui me sortirait de ce cauchemar. J’empoignais le combiné du téléphone, comme on se saisit d’une bouée, composais le numéro et attendis que quelqu’un décroche. Après quelques sonneries, j’entendis une voix me demander ce que je voulais. J’exposais ma situation et la réponse que je reçus fut la suivante : « je vois que je ne peux pas vous aider. Il vous faut attendre un petit peu. Dans quelques temps, vous vous retournerez sur ce moment difficile et vous saurez que tout était en ordre. »
Je raccrochais le téléphone, ébranlé. Je laissais résonner ces mots. Pour lors, quand je me retournais sur ma vie, je ne voyais qu’une tragédie, une impossibilité de continuer et le regret infini d’assister à la fin de ce en quoi j’avais cru. Rien n’était en ordre ! J’avais espéré une très belle chose et voyais cet espoir déçu. Je vivais le mouvement arrêté de cet espoir déçu. Je me retournais sur ma vie, mais c’était sans cesser de suivre ce mouvement qui rencontrait un mur. Je me retournais sur le chemin parcouru tout en continuant d’essayer d’avancer. Si je me retournais, c’était uniquement en pensée, comme un alpiniste ayant rencontré un obstacle et qui se retourne sur le trajet en se demandant à quel moment il aurait pu prendre une autre voie.
Marie Madeleine se retourne tout d’abord en pensées. Ce qu’elle perçoit de celui qui s’adresse à elle dépend de ce qu’elle vient de vivre. Ce qu’elle perçoit est conditionné par ce qu’elle vient de vivre. Le Christ est mort sur la croix. Celui qui s’adresse à elle ne peut donc être le Christ. C’est le jardinier.
Aujourd’hui, lorsque je regarde ce qui s’est passé dans ma vie il y a vingt ans, la perspective a changé. C’est un peu comme si l’alpiniste pouvait désormais mesurer à quel point l’endroit à partir duquel il contemple le chemin parcouru nécessitait que toutes les étapes aient été faites.
Dans nos vies, nous avons tous connus des moments difficiles. Mais remarquons-nous que ces moments étaient déjà plein, à notre insu, de l’endroit que nous sommes appelés à découvrir ? Ils ne correspondaient pas à ce que nous espérions alors, ils ne correspondaient pas aux promesses que nous nous étions faites, et nous ne pouvions les accepter. Mais il correspondaient, à notre insu, à ce qui était nécessaire pour toucher au sommet qui nous attendait.
Lorsqu’un jour nous pouvons nous en rendre compte, c’est que nous nous sommes retourné sur notre vie non pas en pensée mais de tout notre être. Nous touchons à cet endroit où nous ne nous projetons pas plus loin, mais où nous nous retournons réellement. Nous nous plaçons au terme de tout un parcours, à son accomplissement. Nous nous tenons à la fin.
À tout moment dans la vie, nous pouvons nous tenir à la fin et laisser monter à la conscience ce qui a été accompli. En un tel moment, nous remarquons que tout ce que nous avons vécu était nécessaire. Nous pouvons éprouver de la gratitude pour ce que les épreuves de la vie ont fait mûrir en nous, une gratitude telle que c’est la vie toute entière que nous pouvons remercier.
Voilà ce qui nous est offert, lorsque nous regardons notre vie depuis la fin.
En même temps, lorsque nous ne nous projetons pas plus loin, lorsque nous sommes au présent, nous remarquons que ce n’est pas ce qui s’est passé qui s’impose dans ce que nous vivons : c’est ce qui en nous se tient au présent qui nécessitait de vivre ce qui a été vécu. Nous remarquons que le passé naît du présent. Ce qui s’est passé est né du présent à tout moment. Cela s’est déposé dans le temps. Et nous découvrons, au présent, que nous sommes à la cause de notre vie et non le produit d’une série d’événements.
Lorsque nous regardons notre vie depuis la fin, nous nous trouvons à l’origine de ce qui se passe. Et comme nous sommes à l’origine de ce qui nous arrive, ce qui s’est passé parle de notre être le plus intime. Cela parle de ce que notre être apprend à manifester. Tout le chemin parcouru nous a donné l’opportunité de manifester notre être.
Ainsi, en un tel moment, nous nous tenons tout à la fois à l’Oméga de notre vie et à son Alpha. Nous sommes avec l’Alpha et l’Oméga.
Rabbouni !
C’est sans doute cela, se retourner comme Marie Madeleine au tombeau. C’est connaître le début de l’histoire, suivre sa trajectoire, se retourner et souffrir et se retourner encore une fois et regarder le chemin depuis la fin, depuis l’accomplissement de l’être qui, accompli, est lui-même à l’origine du chemin parcouru.
Guillaume Lemonde
Joyeuses Pâques !
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Bonne lecture !
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.
3 Commentaires
Bonjour,
Merci pour la limpidité et la justesse de vos propos et vos concepts.
Une micro rectification, Rabbouni signifie Notre Rabbi.
Merciii
Merci. Je corrige. Bonne fête de Pâques à vous !
Quelle belle réflexion inspirante en cette fête de Pâques qui plus que toute autre nous parle de renouveau, de renaissance, ne faut-il pas sans cesse et inlassablement renaître à nous-mêmes ? superficiellement d’abord, en effectuant un volte-face sur le évènements, trop aveuglés pour y voir clair, et puis plus tard, bien plus tard, en nous retournant sur nous mêmes, au plus profond de nous-mêmes. Ce Chemin, cette Vérité et cette Vie qui nous apparaît alors dans la figure du Christ ne sont-ils pas devenus nôtres lorsque nous les “reconnaissons” comme tels lorsque nous faisons un tour complet sur nous-mêmes et que nous prenons conscience que nous avions déjà en nous ce qu’il nous fallait vivre avant même de le vivre, comme des graines en sommeil destinées à germer pour nous permettre d’être pleinement accomplis.
Bonne fête de Pâques !