QUEL SENS ONT LES MALADIES
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Santé et maladie, Temporalité
- Date 20 octobre 2023
QUEL SENS ONT LES MALADIES ?
Lorsqu’il nous arrive quelque chose, quelque chose de sérieux, la question se pose. Pourquoi ? Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant dans ma vie ? Nous avons besoin de donner à l’imprévu une explication, de le relier à quelque chose que nous connaissons. Sans cela comment le mettre en rapport avec nous-même ?
Ainsi, la maladie a pu prendre de nombreuses significations. Elle a longtemps été le signe d’une punition divine, en Orient, une conséquence du karma, pour d’autres, un message envoyé par les esprits des ancêtres, ou la conséquence de désordres familiaux. Les maux à répétition frappant une famille ont pu être mis en lien avec la jalousie de gens malintentionnés. On parle encore à certains endroits du mauvais œil. Avec Hippocrate (460-377 av. J.C.), considéré comme le père de la médecine classique, la maladie devient une réalité naturelle dont il faut établir la cause et le traitement. Elle n’est ni une punition divine, ni une épreuve envoyée pour tester notre caractère, mais le signe du dérèglement du corps et de l’âme.
Mais finalement, même si la médecine moderne pense avoir relégué les vieilles théories au rang de superstitions, force est de constater que la question du sens oriente le temps : c’est dans un passé plus ou moins récent que nous cherchons la raison qui nous manque. Que ce soit depuis un plan matériel ou un plan spirituel, quelque chose a agit et la maladie en est la conséquence.
Communément, nous avons du temps une perception chronologique. « La logique du temps » est de s’écouler pour nous depuis un passé lointain vers un futur tout aussi lointain ; notre vie ne représentant qu’une minuscule section sur cette grande flèche. De ce point de vue, tout de notre vie semble fondé dans le passé. Chaque événement ayant un faisceau de causes en amont, tout s’explique pour nous à partir du passé. Et d’ailleurs, nous nous concevons nous-même comme le produit du passé, produit de la rencontre de nos parents et de leurs parents avant eux, produit d’une éducation, d’un milieu social, et pour certains, de la résultante des lois spirituelles de la réincarnation et du karma. Nous expliquons tout ce qui nous arrive d’après une antériorité. Cela va même si loin que certains disent ne pas croire au hasard, tout devant pouvoir trouver une explication. Ainsi, selon ce point de vue commun, le temps va du passé vers le futur, ce qui est conforme aux lois de la thérmodynamie. Cela va dans le sens de l’augmentation de l’entropie, c’est-à-dire du désordre. Pour comprendre le désordre que constitue une maladie, nous regardons donc dans le passé et cherchons le moment où quelque chose a mal tourné. Nous espérons, pour le moins comprendre et au mieux contrer les causes que nous aurons identifiées.
Le premier enseignement que nous pouvons tirer de ces quelques pensées, est qu’à chaque fois que nous regardons vers le passé pour donner du sens à une maladie, que ce soit un sens biologique (étiologie), biographique ou surnaturel, nous adoptons un point de vue selon lequel l’humain est lui-même le produit de ce qui l’a précédé. Il est la résultante d’une histoire, d’un contexte. Il trouve sa source dans un contexte.Appelons ce qui en nous s’identifie à un contexte, quel que soit le plan de ce contexte, la personnalité :
Appelons ce qui en nous s’identifie à un contexte, quel que soit le plan de ce contexte, la personnalité : la personne que nous sommes est née quelque part, issue d’une certaine famille, elle a eu une certaine histoire, certaines expériences dont elle a tiré des enseignements. Elle s’est forgé un point de vue sur le monde.
Mais la personne que nous sommes, étant issues d’un contexte, elle lui est également soumise. Tous ses problèmes ne peuvent que venir de lui, c’est-à-dire, pour une bonne part, des autres.
Finalement, la recherche des raisons de ce qui nous rend malade dans un passé plus ou moins récent, est en même temps un facteur antisocial. Nous en avons eu la triste expérience lors des années Covid. Le masque, la distance, les confinements, sont l’expression d’un certain point de vue que nous avons sur le temps. Si bien que la vie en société est une question métaphysique elle aussi et nous ne pouvons pas traiter la question de la maladie sans penser aux conséquences sociales que notre point de vue détermine.
Comme la personne que nous sommes est par nature issue et soumise à son contexte, elle aspire à ce que son contexte reste à l’image de ce à quoi elle s’est identifiée. Elle souffre qu’il n’en soit pas toujours ainsi.
Elle souffre que les sentiments qu’elle éprouve puissent être soumis à fluctuation, que des amis puissent se détourner d’elle. Elle souffre que son point de vue ne soit pas partagé, que ses pensées ne soient pas comprises, que ce qu’elle perçoit du monde puisse la bousculer.
Ce qui la fait souffrir, c’est d’être elle-même un produit du passé et d’avoir intégré ce déterminisme dans sa propre nature. En effet, ses sentiments dépendent de ce qu’elle perçoit, ce qu’elle perçoit dépend de ce qu’elle peut reconnaître, ce qu’elle peut reconnaître dépend du point de vue qui est le sien, son point de vue dépend des sentiments qui l’habitent et les sentiments qui l’habitent dépendent de ce qu’elle perçoit. La personne que nous sommes est enfermée dans un cercle vicieux.
Elle ne pourra aspirer qu’à supprimer ce qui la bouscule. Elle développera des stratégies pour supprimer cette contrainte, stratégies qui entraînent ici ou là, dans le cercle vicieux de son déterminisme, un désordre, une crispation s’imprimant jusque dans le corps, devenant alors une maladie, elle-même vécue comme une nouvelle contrainte à supprimer.
La médecine a développé un arsenal formidable pour supprimer ce qui peut nous contraindre. Quand un problème se pose, un moyen est inventé pour supprimer le problème. Nous ne disons pas que ce n’est pas souhaitable d’agir de la sorte. Nous voulons simplement caractériser ce qui se passe lorsque nous ne prenons en compte que ce qui pour nous va du passé vers le futur. L’obstacle doit être détruit.
Mais, chose intéressante, tandis que nous voulons supprimer ce qui nous dérange, nous oublions que l’obstacle est relatif à qui nous sommes. Chaque élément du contexte ne fait pas obstacle à tout le monde de la même façon. Certains ont un talent qui leur permet de traverser ce qui se présente. Ce qui est un obstacle pour d’autres est pour eux une péripétie.
La personne que nous sommes, trouvera à cela une explication dans le passé. C’est à cause d’une bonne génétique, d’un contexte favorable que les bienheureux y arrivent mieux.
Seulement, c’est le talent que l’on a ou que l’on n’a pas encore qui fait de n’importe quel élément du monde un potentiel obstacle.
Nous venons à l’instant de changer de point de vue sur le temps : la raison pour laquelle tel élément du monde va faire obstacle se trouve dans ce que l’avenir dira du talent que l’on parvient à rendre présent ou pas !
Si ce sont nos sentiments qui font obstacle, aurons-nous la stabilité intérieure permettant de vivre des tempêtes sans être pour autant altéré par elles ? Aurons-nous le courage d’avancer pas à pas quand notre faculté de jugement nous laissera croire que nous n’y arriverons pas ? Aurons-nous la profondeur intérieure nécessaire à ne pas rester focalisé sur un aspect du problème, mais permettant d’avoir une vue large ? Aurons-nous la confiance, c’est-à-dire la disposition de lever le regard plus loin que ce qui semble nous bloquer ?
Tant que ces talents ne sont pas présents, ce qui se présente fait obstacle. En somme, c’est parce que nous sommes en train de rendre présent des talents que nous n’avons pas encore (ils sont encore à venir.), qu’une maladie se présente.
La maladie, comme toute épreuve, est l’ombre de notre présence, l’expression des tentatives que notre être fait pour devenir présent. Un peu comme les contractions d’un accouchement.
Elle est une opportunité pour notre présence et de ce fait une tentative de guérison de ce qui depuis le passé nous détermine.
Ainsi, tandis que l’être que nous sommes, est appelé à devenir présent dans la personne que nous croyons être, la santé naît du lien que nous pouvons avoir avec ce qui pourrait faire obstacle.
On devient libre non en supprimant l’obstacle, mais en offrant à l’obstacle les talents qui permettent de le rencontrer sans qu’il ne nous altère.
Sur le plan social, cela a une conséquence déterminante : quand nous déclarons que notre liberté s’arrête là où commence celle des autres, nous suivons la direction du temps allant du passé au futur : celle selon laquelle ce sont les autres qui déterminent si nous sommes libres ou pas. Notre nature est ainsi faite.
Mais lorsque nous ajoutons à notre nature ce qui ne s’y trouve pas, c’est-à-dire, des talents qui sont encore à venir, et qui permettent de nous ouvrir à l’altérité sans être altéré par elle, alors la liberté devient un acte de fraternité : nous sommes libres au moment où nous offrons à ceux qui se présentent les talents de notre présence.
Le sens de la maladie est à chercher au présent. Chaque maladie nous fait vivre une épreuve qui sollicite des talents à venir. Elle est le champ d’exercice de ces talents. La confiance en la vie, la vaillance, la profondeur intérieure, la stabilité intérieure, talents qui s’offrent à la personne que nous sommes et viennent rencontrer ce qui la détermine.
Guillaume Lemonde
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.
1 commentaire
Cher Guillaume je suis toujours dans l’admiration que tu puisses produire toutes les semaines un texte aussi dense. J’ai particulièrement aimé celui-ci. Comme tu sais la prostate m’a occupé c’est moi dernier. Maintenant qu’elle est opérée, il m’a fallu trouver un sens un problème de santé que je partage avec beaucoup d’hommes de mon âge. Merci à toi