PEUT-ON AIMER GALATÉE ?
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Relation thérapeutique
- Date 14 octobre 2023
Galatée – par A. Rodin (musée Rodin – Paris)
PEUT-ON AIMER GALATÉE ?
Imaginons que l’algorithme exceptionnellement bien conçu d’un site de rencontre, puisse prendre en compte des centaines de critères qu’il rapprocherait de ceux des autres utilisateurs. Il enregistrerait notre âge et l’âge de la personne recherchée, notre localisation géographique et le périmètre dans lequel devrait se trouver celle que nous recherchons. L’apparence physique – taille, poids, couleur des yeux, des cheveux, de la peau, etc. – l’orientation sexuelle, le statu relationnel, le niveau d’éducation, la profession, le revenu, la religion, les centres d’intérêt, les langues parlées, les éventuelles addictions à l’alcool, au tabac ou à d’autres substances, les hobbies, les passions, les voyages que nous avons faits, les livres que nous avons lus… Il y aurait des centaines de critères… Et l’algorithme serait capable de trouver parmi les millions d’utilisateurs LA personne qui correspondrait absolument à tous ces critères. La perle rare, la pépite, l’unique de toute la liste.
Le rendez-vous serait pris et, chose incroyable, tout serait effectivement conforme. La personne qui se présenterait aurait coché toutes les cases. Elle serait exactement comme prévu. Essayons d’imaginer un tel moment. Nous sommes avec une personne qui est exactement comme nous l’avons désirée. Elle répond en tout point à ce que nous voulions.
C’est Pygmalion tombant amoureux de la statue qu’il a ciselée.
Dans la mythologie grecque, Pygmalion, roi de Chypre, sculpte dans un ivoire d’une blancheur virginale, la statue d’une femme d’une beauté surpassant toute femme vivante. Elle a la peau blanche comme le lait. Il la nomme Galatée. Aucune femme n’a jamais égalé l’harmonie de ses traits. Il en tombe amoureux. Après avoir prié Aphrodite, déesse de l’amour, il embrasse sa création qui prend vie.
L’histoire ne dit pas ce que sont devenus Pygmalion et Galatée. Ils auraient eu des enfants.
Mais si Galatée est l’œuvre de Pygmalion, si la personne qui se tient devant nous a été rendue possible par une nouvelle Aphrodite ensorcelée au cœur d’un algorithme, à quel moment la rencontre se fait-elle ? Ne faut-il pas, pour que rencontre se fasse, sortir un peu de soi ?
Certes, à un moment donné, quelque chose de l’autre nous a touché. Par certains aspects, cette personne correspond à ce que nous aimions déjà. Peut-être était-ce esthétique ? Le timbre de la voix, le sourire, la silhouette ? Mais d’autres aspects nous sont étrangers. Ils nous surprennent. Ils nous bousculent.
Si nous en restons à ce que nous désirons, ces autres aspects nous repoussent.
Nous ne pouvons les relier à rien de ce qui fait partie de nous.
Dans ce cas, la surprise est éteinte par ce qui nous habite. Et ce qui nous habite, c’est un passé chargé d’expériences, de valeurs, de sentiments qui nous donnent une inertie, une inaptitude à nous ouvrir à autre chose qu’à nous-même. Le passé, par nature, est inerte. Il est comme il est. On ne peut pas le changer. Et notre personnalité, édifiée au fil des ans par ce qui désormais est devenu notre passé, est tout aussi inerte et lourde que lui. Nous dirons de nous que nous sommes comme nous sommes et que nous n’y pouvons rien. Quand on chasse le naturel, il revient au galop. Or, ce qui nous surprend, ce qui nous décille, c’est justement ce qui met le passé en question. Cela remet nos valeurs et nos pensées en question. Cela nous fait voir le monde différemment et nous fait ressentir et vivre de nouvelles choses. Dans la surprise que nous parvenons à accueillir, notre personnalité est elle-même remise en question dans ses fondements.
Ce n’est donc pas notre personnalité qui se laisse surprendre. Ses désirs n’ont que faire de s’ouvrir à ce qu’elle ne désire pas. Elle n’en a pas les capacités. Ce qui se laisse surprendre en nous est quelque chose de plus grand que notre personnalité. Quelque chose de plus grand qui vient l’habiter un instant. Ce plus grand que soi, auquel nous nous ouvrons lors de la rencontre, dépose en nous la possibilité de nous ouvrir, car cela ne se réfère à rien de ce que nous connaissons. Cela n’a pas d’attente à combler. Cela n’a pas besoin que l’autre corresponde à quelque chose qui nous aille. Les injonctions du passé, cela ne les suit pas. Totalement présent, cela découvre ce que l’autre a d’unique, d’inconnu. Dans la rencontre qui se fait, l’inconnu se donne, comme un plus grand que soi et nous sommes nous-même plus grand que la personnalité que nous croyons être. Nous sommes habité par autre chose que du passé convenu. Nous sommes alors ouverts à l’avenir.
Sans rencontre avec plus grand que soi, nous ne devenons rien. Nous sombrons dans le passé. C’est parce que nous sommes appelés à devenir et donc à remettre en question la personnalité que nous croyons être, que nous sommes amené à faire des rencontres. Si nous voyons des gens sans que soit bousculée notre personnalité, nos sentiments s’en réjouiront aussi longtemps que notre personne sera satisfaite. Ce sera sympathique et pour peu qu’il s’agisse d’un rendez-vous galant, la lune de miel pourra commencer. Et finir aussitôt.
Si nous rencontrons véritablement quelqu’un, il n’y a pas de lune de miel. Il y a dans l’instant, une reconnaissance de plus grand que ce que les yeux peuvent voir ou que ce que les oreilles peuvent entendre. Cette reconnaissance fait résonner du désir, du désir de se revoir, mais devient elle-même la source de la rencontre. Le sentiment n’est ni l’alpha, ni l’oméga de ce qui se passe. Il ne fait qu’accompagner un devenir rendu possible par l’attention que l’on offre à se laisser surprendre. Et cette attention, c’est de l’amour.
Ce n’est probablement pas ce que Pygmalion éprouvait pour Galatée. Galatée est l’image d’un amour mort d’avoir cherché sa source dans une frustration à combler. Et l’histoire n’a pas retenu leur histoire, puisqu’il n’y a pas d’histoire à écrire au sujet de quelque chose qui ne devient rien.
Quand il y a rencontre, cela ne se cherche pas. Cela s’impose depuis l’avenir, parfois par des chemins étranges, parfois par des rapprochements qui ne donnent rien pendant très longtemps. Nous étions pris par nos passés respectifs, inertes, incapables de nous ouvrir à de l’inconnu.
Parfois ces rencontres se font grâce à des algorithmes de site prévus pour mettre des gens ensemble. Mais alors, si la rencontre se fait, ce qui naît entre eux, n’est assurément pas ce qui vient des critères conformes à leurs recherches. Cela naît, malgré la technique experte du site, de la perception de ce qui, chez l’autre, est différent d’eux-mêmes.
Guillaume Lemonde
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.
3 Commentaires
Pour moi, cela se passe dans les deux sens :
Lorsque je “tombe” amoureuse, c’est parce que je perçois ce qui est en devenir chez l’autre, peut-être avec une acuité encore plus efficiente que ce que je perçois qu’il est déjà ; cela me donne envie d’assister à cette transformation, j’aspire à ce que cela advienne<;
Anne L.
Effectivement. Ce qu’il est déjà, c’est le connu qui est recherché par affinité. Cela permet le rapprochement. Ce qu’il devient, c’est l’inconnu que l’on ne peut prévoir.
Merci
ça me touche fort!
Je ne cherche n y ne trouve 1 amoureux !
et,c est sans doute car j attends quelqu un qui a ma sensibilité,mes attentes!
Ce n est pas facile,laisser advenir ce qui doit advenir!
Merci Guillaume 😉