LE VRAI SUJET DE LA CONSULTATION EST MÉTAPHYSIQUE
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Santé et maladie, Temporalité
- Date 25 novembre 2022
LE VRAI SUJET DE LA CONSULTATION EST MÉTAPHYSIQUE
Le vrai sujet, le centre de la consultation, c’est le temps. Le temps qui trop vite ou trop lentement s’écoule, le temps qui nous fait tomber du côté des regrets ou des espoirs et contre la course duquel, luttant en vain pour garder l’équilibre, les âmes et les chairs se contorsionnent sans fin. La question du temps se tapit au cœur de chaque inconfort, de chaque malaise, de chaque souffrance. En réalité, il en est lui-même l’origine. Ce n’est pas la souffrance qui rend l’écoulement du temps insupportable, mais notre rapport au temps qui rend possible la souffrance ; c’est notre difficulté à rester présent dans la douleur de l’épreuve ; notre tendance naturelle à la projeter dans un futur sans fin ou la sentir depuis trop longtemps déjà.
– Je ne vais pas bien… Et ça dure depuis trop de jours.
– Vous n’allez pas bien, je le vois. Mais dites-moi, là, tout de suite, vous avec vous-même, au milieu des douleurs et de ce que vous vivez, percevez-vous un endroit en vous qui n’est pas affecté par ce que vous vivez ?
– Ah oui… Oui, je le perçois…
Ce n’est pas toujours possible de le percevoir, mais le percevoir nous indique qu’il y a deux plans à considérer.
D’une part, il y a ce que l’on vit dans le temps et qui est la maladie qui se déploie.
Les difficultés que nous avons pour traverser les épreuves qui se présentent nous mettent en lutte avec elles. Nous trouvons des stratégies pour les combattre et ces stratégies deviennent, dans le corps, des maladies (ceci est dit très simplement ici et demanderait à être développé. Ce sera fait ultérieurement). Or ces stratégies qui permettent de mettre à distance l’épreuve rencontrée, nous mettent à distance du présent dans lequel se trouve l’épreuve. C’est cette distorsion du temps, tentative de se guérir d’une épreuve, qui rend malade. Elle nous projette dans le passé (par exemple cette façon que nous pouvons avoir de mettre à distance les sentiments blessés en analysant la situation et en se référant à des souvenirs, jusqu’à la crispation provoquant par exemple un asthme…). Ou bien elle nous projette dans le futur (par exemple cette façon de se donner des projets pour oublier ce que l’on vit actuellement, jusqu’à l’inflammation de la manie…).
Ainsi, être malade, c’est être perdu dans le temps hors du présent. On est quelque part dans le passé et / ou le futur, occupé à masquer les causes ou les conséquences de l’épreuve que l’on traverse.
Si le soin se donne de combattre ce mal alors il s’appuiera lui aussi sur une approche s’inscrivant dans le temps linéaire. Par exemple et en particulier sur le temps linéaire de la logique qui est à la base de la science expérimentale. On a besoin, pour soigner, de la logique, c’est à dire d’établir les causes qui ont engendré telle conséquence.
Il y a d’autre part ce que l’on éprouve quand on parvient à se hisser au présent.
C’est l’endroit que l’on a quitté pour ne pas souffrir de l’épreuve que l’on rencontre alors. C’est donc l’endroit où l’on se trouve quand l’épreuve rencontrée ne nous altère pas (comme disait Simone Weil). Lorsque nous y sommes nous nous trouvons hors du temps chronologique et des enchaînement de cause à effet. Nous sommes en cet instant à la source du temps, c’est à dire à la cause de nous-même.
On pourrait le dire autrement : n’étant pas dans le temps chronologique, cet endroit à partir duquel on ne se projette pas dans l’attente d’un mieux ou dans le poids du passé, est de nature éternelle.
Comme on n’est à cet endroit ailleurs que dans l’attente d’un mieux, on n’est pas en lutte contre ce qui dérange, mais avec ce qui dérange. Avec la douleur. Avec ce qui est. À partir de cet endroit on rencontre l’épreuve. On peut la traverser.
Ainsi « Je suis au présent » hors des enchaînement de cause à effet, échappe aux lois de la physique. Mais ce n’est pas parce que l’on se retire du monde physique. C’est parce qu’on l’habite au contraire sans être déterminé par lui ; on habite son corps et tout ce qui est là.
Retrouver pied dans le présent n’empêche donc pas d’être malade. Cela n’empêche pas la douleur. Cela permet de rencontrer ce qui est et de traverser ce qui est.
Ainsi, chaque exercice de présence au monde est porteur de santé.
Tandis que l’essentiel de nos maladies sont le résultat d’une lutte contre l’épreuve (et c’est pourquoi d’ailleurs chacune d’elles peut être comprise comme une tentative de guérison), la santé est portée par le lien que l’on découvre avec cette épreuve. Un lien qui se donne à l’épreuve plutôt qu’il ne serait conditionné par elle. Un lien qui fait appel à ce qui en nous est, comme dit plus haut, éternel et éternellement en lien avec les contingences les plus éphémères.
Ainsi, du point de vue de la santé, le vrai sujet de la consultation est métaphysique et paradoxal.
Métaphysique, car il concerne le « Je suis au présent » qui échappe aux lois physiques. Paradoxal, car « Je suis au présent » intègre le passé et l’avenir et, de ce fait, la maladie comme un fait qui nous demande de nous occuper des causes premières et finales de cet état. Tout en étant au présent de cette situation, là où l’on n’est pas en lutte avec ce qui se passe, nous avons quand même à faire un diagnostic, un pronostic et à poser une thérapeutique pour que change l’état problématique.
Guillaume Lemonde
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.
3 Commentaires
Bonsoir,
je reviens en arrière sur l’un de vos articles…il me rappelle une phrase “terrible” du Dr Roger Vittoz à la fin de sa vie…” la douleur est bonne “!
… La fonction de l’inconfort, de la douleur: appeler, réveiller, rendre présent… cette réalité acceptée, vécue sans attente … sans but va permettre la réactualisation et le retour au calme. L’individu se retrouve au centre de son lieu de Vie.
Ce mail pour vous dire que je n’ai plus de douleur à ma hanche gauche et que la pression à mes 2 yeux est de 17 😉
MERCI!
Jean Paul Blais
Merci Jean-Paul
Ayant lutté, il y a plus de 40 ans (j’en ai maintenant 84), pour guérir d’une polyarthrite rhumatoïde qui invalidait mes deux genoux, alors qu’on m’en prédisait l’impossibilité, je ne peux qu’acquiescer à ce que tu développes.
Bien cordialement.