LA NATURE DE L’ÉLECTION
LA NATURE DE L’ÉLECTION
Par Romain Wargnier.
Dans les régimes politiques que l’on qualifie de « démocratiques », il est coutumier que les citoyens désignent leurs représentants via la procédure de l’élection.
En France, l’article 3 alinéa 1er de la constitution de 1958 règle la question ainsi : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Dans l’hexagone, le recours au référendum est rarissime : le dernier en date a eu lieu en 2005, à propos de l’approbation ou non de la constitution européenne, laquelle a été alors rejetée par plus de 54% de la population. Depuis ce temps, le silence référendaire est total. L’élection reste le seul moyen d’exercice de la souveraineté.
Mais quel est le principe de l’élection ?
Cette procédure, qui nous semble tellement naturelle qu’elle est généralement enseignée dès le plus jeune âge aux élèves de nos écoles via la désignation des fameux « délégués de classe », va t-elle réellement de soi, et est-elle un moyen efficace d’exercice de la souveraineté de la nation ? La démarche Saluto nous donne quelques clés d’observation pour répondre à ces questions.
Tout d’abord, que le candidat se présente seul ou sur une liste, il est intéressant de noter que pour être candidat, il faut le vouloir. On m’objectera peut-être que j’enfonce des portes ouvertes, mais il existe d’autres procédés de désignation qui ignorent totalement la volonté de quiconque d’exercer une responsabilité. Le tirage au sort des jurés d’assises repose sur ce dernier principe. On ne candidate pas pour représenter le peuple français à un procès d’assises. On est tiré au sort à partir des listes électorales, et on ne peut se soustraire à cette désignation, sous peine d’encourir une amende de 3750 euros.
Ainsi, pour se présenter à une élection, il faut le vouloir.
C’est là que tout commence…Regardons cela plus en détail. Je me présente, je veux donc être élu. Comment faire ? Je dois me faire connaître, ainsi que mes propositions pour la communauté que je souhaite représenter. Non seulement cela, mais je dois montrer à mes futurs administrés que je suis davantage capable que mes concurrents d’exercer mes fonctions. J’ai donc besoin, si je veux m’imposer, d’une véritable « armée » à mes côtés, organisée et nombreuse. C’est le principe même du parti politique. Les adhérents et militants vont, dès leur soutien acquis, exercer un véritable travail de lobbying, en relayant mon programme, mes dernières vidéos sur internet, en collant des affiches, en réservant des salles pour les meetings, etc…
L’affaire va plus loin encore.
Ce qu’il s’agit de faire si on veut devenir un élu (et le mot n’a pas été choisi pour rien!!), c’est de persuader.
La volonté de persuasion mène inéluctablement à l’influence, au recours à la manipulation et à la séduction. C’est alors la course aux promesses, la culture de l’apparence, les études statistiques qui permettront de paraître, au gré des circonstances, calme ou vindicatif, effectuant un léger virage à droite ou bien à gauche, employant ici telle formule, et là-bas telle autre, m’éloignant peu à peu d’une sincérité première, si tant est qu’elle fut un jour seulement réelle. Songeons au nombre exponentiel d’emplois créés dans les cabinets de conseils et de communication…
Aujourd’hui, presque tout candidat y a recours, et pour tout : ses postures corporelles, l’écriture de ses discours, et j’en passe. Je ne nie pas qu’il existe au sein des citoyens, des personnes qui se présentent en toute sincérité et sans volonté aucune de manipuler quiconque. Je dis seulement que celles-là ne seront jamais élues à des fonctions importantes. Le mécanisme de l’élection conduit à la surenchère d’influence. Je n’oublie pas non plus la nécessité impérieuse de se faire des relations parmi les gens les plus en vue de la sphère médiatique (patrons de groupes de presse) et financière (qui auront des moyens, parfois détournés, d’investir dans une campagne). Rappelons qu’en France, une dizaine de milliardaires détiennent à eux tous l’ensemble de la presse écrite et télévisuelle (pour ce qui est des chaînes privées naturellement, les chaînes publiques n’ayant même pas besoin de ce genre d’intermédiaires…) Ces relations influentes feront de vous, selon les avantages concédés hier par vous ou vos concurrents, ou promis pour demain, un candidat « présidentiable » un« petit candidat », ou un dangereux néo-nazi. Bien sûr, une fois élu, il faudra renvoyer l’ascenseur…l’élection engendre la corruption, ni plus ni moins.
Je pourrai développer davantage, mais mon propos est d’éclairer maintenant ce phénomène à l’aide de la démarche Saluto.
Lorsque je veux me rendre utile à la communauté, il y a toujours deux éléments à prendre en compte : l’altruisme et l’égoïsme.
Soit je suis au service du bien public, soit je suis à mon propre service. Jamais les deux en même temps. Lorsque je suis à mon propre service, c’est ma valeur personnelle qui compte, et le projet que je porte n’est plus qu’un moyen pour moi d’acquérir de la valeur. Lorsque je suis engagé pour le bien public, ma valeur est secondaire, et si par ailleurs je reconnais que quelqu’un de plus apte que moi peut réaliser le projet que je porte, je suis capable de me retirer pour le laisser agir. Or s’engager pour le bien public à partir d’un projet que l’on porte et cheminer en conséquence vers sa réalisation est pour l’être humain un précieux lieu d’exercice.
Du point de vue de la Saluto, il s’agit d’une ressource d’avenir dans le sens où celle-ci n’est pas donnée, mais doit toujours être voulue, à chaque instant. L’agir égoïste, en revanche, est donné par la vie. Il fait partie du décor de notre existence dès l’instant de notre naissance. Il est même nécessaire à l’être en construction qu’est l’enfant et le jeune adulte. Il n’y a, derrière le mot d’égoïsme, pas de jugement moral. Nous ne pourrions devenir des petits individus si nous n’étions pas égoïstes. Mais tout être humain sait que cet égoïsme naturel a besoin d’être compensé par un renoncement à sa valeur propre pour se mettre au service de quelque chose de plus grand que soi, car chaque fois que ça n’est pas le cas, il reprend son ascendant naturel.
Lorsque c’est ma valeur personnelle qui compte, pas question que celle-ci s’amoindrisse. Il me faut la renforcer, parce qu’au fond, ce que je vis, c’est qu’elle est faible. Soyons clair sur ce point : dès que nous sentons le besoin de nous affirmer, de briller, d’être celui par lequel les choses arrivent, c’est que nous sommes au service de notre valeur personnelle que nous ressentons comme faible. Nous avons donc besoin de la renforcer, et si nous ne pouvons fonder notre valeur en notre être propre, nous remettons aux autres le pouvoir de le faire. Nous avons alors besoin d’être soutenus, complimentés, portés, encouragés…plébiscités ! Grande est alors la tentation d’obtenir ce plébiscite par des moyens artificiels. Tout sera bon pourvu que les autres nous renvoient que nous sommes les meilleurs !
Maintenant, réfléchissons.
Que favorise l’élection ?
Le dévouement au bien commun ou la valeur personnelle ? Il s’agit évidemment de la deuxième proposition…et je n’ai parlé que du point de vue du candidat, parce que du point de vue des électeurs, c’est la même chose ! Tout d’abord, l’électeur investit une personnalité d’une attente et d’une valeur importantes. La personne désignée sera celle qui va solutionner nos problèmes, et tant qu’à faire, rapidement. Elle nous évitera d’avoir à bouger le petit doigt, c’est à dire précisément de nous engager nous-même, à partir de notre force et à notre petite mesure pour le bien commun. C’est ainsi que par exemple, tous les cinq ans en France, la même ferveur messianique s’empare du pays au moment des présidentielles…
Il est donc dans la nature même de l’élection de compliquer le rapport au bien commun puisqu’elle produit des élus encensés par les foules et investis de pouvoirs libérateurs qu’ils n’ont à vrai dire pas. Les jugements de valeur portés sur les êtres rendent toujours difficile l’engagement pour plus grand que soi-même. Si vous dites à quelqu’un qu’il est incapable, vous le découragez. Mais si vous lui dites qu’il est formidable, indépassable, surdoué, il ne se mettra pas davantage en route. Quel chemin pourrait-il bien faire ? Il est déjà arrivé…Voilà comment l’attribution d’une fonction représente la fin d’un combat laborieux au service de soi, alors qu’elle devrait être le commencement d’un chemin au service des autres.
Pour conclure, si l’élection, dans son principe, incite au culte de la valeur personnelle, il n’existe pas de fatalité, et tout élu a la possibilité, malgré tout, de mettre son petit moi de côté pour se dévouer au bien commun. Une ressource d’avenir est toujours possible, quel que soit le contexte.
Certains contextes, cependant, sont plus favorables que d’autres…
C’est ce que nous aborderons lors d’un prochain article.
Romain Wargnier