LOGIQUE DE GUERRE
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Actualité, Articles, Démarche Saluto, Exercices pratiques
- Date 3 février 2023
LOGIQUE DE GUERRE
En 1914, il a fallu un coup de feu à Sarajevo et les tensions issues de contentieux antérieurs se sont embrassées par un mécanisme d’alliances automatiques. Une réaction en chaîne a conduit à l’horreur.
Les réactions en chaîne ne peuvent conduire qu’à l’horreur. Elles servent les stratégies visant à la victoire d’un point de vue contre celui des autres. Or, quand on cherche la victoire, on cherche dans un même mouvement la défaite de l’opposant. On répond coup sur coup afin de ne jamais perdre sa position. Jusqu’à la mort… Oeil pour oeil et le monde finira aveugle, aurait dit Gandhi.
Il y a un slogan européen proclamant que l’Europe, c’est la paix.
Vous l’avez sans doute déjà entendu. Que se passe-t-il en pratique ? Par un jeu d’alliance avec l’OTAN, la grosse commission européenne envoie de l’armement lourd en Ukraine en réponse à l’opération russe sur ce territoire. Nous n’avons pas ici à juger des raisons qui ont conduit les Russes à enfreindre le droit international. Ce qui a été fait peut toujours être justifié par celui qui agit. En revanche, que faisons-nous, chacun, pour ne pas entrer dans une réaction en chaîne conduisant à une horreur encore plus grande que celle qui est déjà là ?
Des parlementaires répondent à cette question en demandant tout simplement l’envoi de plus de chars, de plus de forces… Ils veulent en mettre un bon coup (sans aller eux-mêmes sur la ligne de front), afin que tout cela s’arrête.
Peut-être. Je ne suis pas stratège et ne vais pas commenter ces demandes. Je suis en revanche humain et ce que je remarque, c’est comment ces faits agissent en nous. Il y a, pour certains, la satisfaction qu’une telle annonce procure. J’ai entendu dire « Enfin ! » par un commentateur d’une station de radio. Il y a de la peur chez d’autres. Peur d’une troisième guerre mondiale. La satisfaction et la peur répondent aux informations que nous recevons.
Or, elles leur répondent par un mécanisme psychique qui justement forme en nous une réaction en chaîne conduisant à toujours plus de guerre.
Voyez plutôt :
- J’entends une information (perception) ;
- Cette information me plait ou me déplait (sentiment) ;
- Cela influence mon point de vue sur la chose (faculté de jugement) ;
- ce qui en conséquence me conduit à imaginer ce qui pourrait se passer ou ce qui devrait être fait (associations d’idées).
- Cela influence en retour mes perceptions (perceptions). Je vais être conduit à ne percevoir que ce que j’avais prévu ;
- Cela va satisfaire mon sentiment (sentiment) ;
- et renforcer mon point de vue – biais de confirmation (faculté de jugement).
- etc.
Nous avons beau dire : Plus jamais ça ! Plus jamais de guerre ! Si nous n’apprenons pas, chacun pour nous-même, sans attendre que d’autres le fassent, à être attentifs à nos perceptions, à nos sentiments, à notre point de vue et à nos associations d’idées, nous sommes responsables de la guerre ; responsables au sens où, nous suivons la même logique qui dans un enchaînement infernal, conduit à la guerre.
On nous apprend que les soldats français de 1914 sont partis la fleur au fusil pour prendre leur revanche de 1870. On peut voir des films relatant cette époque. Je suppose qu’ils n’étaient évidemment pas joyeux à l’idée d’aller mourir, mais la boucle infernale dont je viens d’évoquer, les a rattrapés. Comme la propagande présentait les Allemands comme des ogres mangeant des enfants (perception d’une information), le sentiment a été touché et le point de vue sur la guerre a changé. Ils ont associé cette déclaration de guerre à une revanche sur 1870 – récupérer l’Alsace et la Lorraine – Ils sont montés joyeux dans des trains en criant « Nach Berlin ! ».
Être attentif…
- Être attentif aux perceptions, c’est apprendre à garder ce que l’on entend ou ce que l’on voit avec toutes les autres choses que l’on a entendues ou vues. Ne pas focaliser sur l’une d’elles, mais laisser ces perceptions se déposer dans la conscience comme si elles se plaçaient dans un espace intérieur. Quand on focalise, on alimente la boucle infernale dont je parlais plus haut. Une perception met le sentiment en mouvement et cela roule tout seul. À l’inverse, quand on est attentif à ne pas trier les perceptions et à les garder toutes, cela permet de ne pas faire du sentiment ce qui permet de classer les informations.
- Être attentif aux sentiments, c’est apprendre à vivre ceux que l’on vit avec leur contraire et de se tenir avec eux. Par exemple, si j’aime quelqu’un, puis-je rester un instant avec ce sentiment, puis rester avec le sentiment opposé (quand on aime quelqu’un, il y a forcément l’inverse qui parfois, même discrètement, se montre), puis avec les deux ensemble, sans les comparer ni les mettre en compétition ? Quand on est attentif à ne pas choisir les sentiments que l’on préfère et à les garder tous, cela permet de ne pas utiliser notre faculté de jugement pour compenser notre instabilité intérieure. Il n’est pas besoin de juger l’autre lorsqu’on est stable.
- Être attentif au point de vue, c’est apprendre à en changer. Quand j’ai pensé une chose, puis-je regarder en quoi l’inverse est vrai ? Se placer entre ces deux points de vue, les garder tous les deux ensemble. Lorsque l’on fait cela, on découvre qu’il n’est pas possible de changer de point de vue sans faire un chemin vers l’autre. Plutôt que de se cabrer dans une position à défendre, on se met en mouvement. Cela permet de ne pas avoir à se complaire dans les associations d’idées qui découlent du point de vue qui nous est précieux.
- Être attentif aux associations d’idées qui découlent de notre point de vue, c’est apprendre à renoncer à les suivre. Découvrir le moment où l’on suspend la pensée qui s’impose à nous. Il ne s’agit pas de la combattre. Juste de remarquer qu’à un moment, il est possible de renoncer à suivre ce qui est déjà en train de penser tout seul en nous.
D’aucuns diront peut-être que ces exercices pourraient conduire à une posture permissive.
Quand il faut agir, il faut agir… Non ? J’ai entendu cette remarque parfois. Pourtant, il est le fait de personnes qui n’ont probablement pas exercé attentivement ces exercices. L’attention portée aux perceptions, aux sentiments, au point de vue et aux associations d’idées, non seulement ne rend pas permissif, mais encore offre de se lier à ce qui est et non à ce que l’on aimerait qui soit. En apprenant à être présent au cercle infernal qui nous pousse à réagir, on peut agir et se déterminer. Plutôt que de suivre une logique menant à l’horreur la plus absolue, on ouvre des possibilités inédites. La non-violence de Gandhi était de cet ordre et cela n’a justement pas empêché de voir le pouvoir britannique disparaitre d’Inde.
De plus, j’ajouterais que même si ce qui se passe actuellement en Ukraine est le fait de quelques humains au pouvoir de quelques pays, chacun de nous est responsable de ce qui se passe sur la planète entière, en cela que chacun peut répondre de ce cercle infernal pour lui-même. Ce n’est pas une question de nombre. Il ne s’agit pas d’espérer que plein de gens exerceraient cette attention pour que cela aille mieux sur la Terre : c’est individuellement, là où nous nous trouvons, que nous sommes responsables pour tous.
Guillaume Lemonde
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3 Commentaires
Merci Guillaume, des mots et des pensées qui me parlent comme toujours avec beaucoup de force et de justesse
Merci pour ce message. Tout un travail à entreprendre et poursuivre en soi pour pouvoir rayonner un peu mieux et rester dans l’espérance. Que le ciel nous aide, même s’il faut s’aider soi-même en premier. Et merci à tous ceux qui rêvent de paix.
“c’est individuellement, là où nous nous trouvons, que nous sommes responsables pour tous”… cela revient-il à dire que chacun a sa part de responsabilité dans l’attention qu’il investit à son propre fonctionnement, afin de sortir de la boucle perception-sentiment-jugement-association. C’est donc là qu’est notre responsabilité individuelle vis-à-vis du collectif, ainsi notre lieu d’action. Merci Guillaume pour ce précieux enseignement.