QUAND LE SAGE MONTRE LA LUNE
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Temporalité
- Date 10 mai 2024
Ce texte est un extrait de LES PAYSAGES DE NOS QUÊTES
Confucius déclarait : quand le sage montre la lune, le sot regarde le doigt. Il se trouve que, vue depuis l’avenir, l’épreuve est sage, tandis que notre conscience quotidienne, avec sa raison orientée de façon chronologique est assez sotte. Elle raisonne sur le contexte, alors que les épreuves ont leur raison que la raison ne connaît pas. Pour les comprendre, il faudrait se tenir un peu plus loin sur le chemin. Il faudrait les regarder après coup. Les causes de nos épreuves se tiennent dans l’avenir. Celles que l’on croit saisir au passé ne sont que des constructions intellectuelles, des supputations logiques qui passent à côté de l’essentiel : elles regardent les tempêtes tout en oubliant le marin qui apprend à naviguer. Ce n’est parfois que bien plus tard, en songeant à notre vie, qu’enfin nous comprenons : sans ces tempêtes, nous n’aurions pas trouvé le calme et la stabilité intérieure qui nous faisaient autrefois défaut. Les épreuves d’hier deviennent des expériences, lorsque l’on a enfin atteint ce point qui nécessitait qu’on dût les faire.
Je sais qu’il est difficile d’imaginer les causes de nos épreuves agissant depuis l’avenir. Pour notre logique, une cause précède toujours les conséquences qu’elle produit. Le temps est naturellement chronologique. Mais dans la tempête, pour peu qu’un chalutier soit en mer, il y a pourtant une chose que l’on ne pourra déduire d’aucun événement antérieur : c’est ce que les marins feront. Même s’ils ont des consignes à suivre, ils rencontreront des imprévus pour lesquels le manuel du parfait navigateur ne leur sera d’aucune utilité. Échoueront-ils ? Réussiront-ils ? Seul l’avenir le dira.
Les hommes (1), à la différence des tempêtes, sont imprévisibles. Les tempêtes s’appuient sur ce qui les a provoquées, tandis que les hommes se tiennent à l’objectif qui se trouve devant eux. Ils luttent contre la tempête qui voudrait les engloutir. Ils luttent contre le cours naturel des évènements.
Quand une tempête se déclenche, c’est un phénomène naturel. Quand les marins ramènent le bateau au port malgré le gros temps, c’est à proprement parler surnaturel (2) : cela leur demande de découvrir en eux des ressources qu’ils n’avaient pas en partant (3).
Cette façon de regarder le temps circulant dans deux directions permet de reconsidérer jusqu’à la notion de responsabilité. Si je dis que les marins dans la tempête sont responsables de ce qui leur arrive, cela peut être vu depuis le passé ou depuis l’avenir : depuis le passé, cela signifie simplement qu’ils auraient dû prévoir ces intempéries. En avaient-ils les moyens ? Ils auraient au moins dû écouter la météo marine, et ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes ! Mais depuis l’avenir, cela signifie tout autre chose. Cela signifie qu’ils sont responsables de leur capacité à ouvrir de nouvelles perspectives : la question n’est alors plus de savoir pourquoi cela arrive, mais quoi faire désormais avec ce qui est arrivé, pour avancer encore mieux dans la vie. Telle est notre responsabilité. Les enjeux de nos épreuves se tiennent dans ce retournement.
Bien à vous
Guillaume Lemonde
(1) évidemment, le mot homme désigne dans ce texte tous les membres de l’humanité. Humain n’est qu’un malheureux adjectif substantivé…
(2) Surnaturel : qui ne relève pas des lois de la nature.
(3) Des machines peuvent ou pourront bientôt, avec des algorithmes appropriés, conduire des chalutiers, des voitures ou des avions sans aucune prise de risque pour les marchandises transportées. Cependant, en supprimant ce facteur humain des équations, nous supprimons en même temps notre propre lien à l’avenir. Et le progrès, se fermant à l’avenir reste sans promesse et sans espoir. Il reste extérieur à l’humain et se tient exclusivement dans une perfection technologique qui bientôt nous domine.
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.