CE QUI, DANS L’ÉDUCATION, FAIT AUTORITÉ
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Pédagogie
- Date 21 avril 2023
CE QUI, DANS L’ÉDUCATION, FAIT AUTORITÉ
La question de l’autorité en pédagogie est centrale
De plus en plus de parents et d’enseignants, ne savent plus comment se faire respecter. Ils ne savent plus quelle ligne de conduite adopter. Démunis, certains en viennent à avoir peur du conflit, et même de provoquer des frustrations aux conséquences ingérables. Ils essaient en vain la conciliation, le dialogue, là où parfois une règle claire aurait été bienvenue. Parfois la situation est tellement ingérable qu’ils démissionnent. D’autres ont pu même en venir à considérer l’exercice de leur propre autorité comme non souhaitable, car aux antipodes de l’autonomisation souhaitée de l’enfant : on ferait tort à l’enfant et à son développement en lui imposant des choix qui ne sont peut-être pas les siens. C’est ainsi que depuis les années 1960, on est passé selon un grand mouvement de balancier, d’une approche autoritariste qui faisait socialement consensus, à une autorité évacuée par certains adultes n’assumant pas l’asymétrie inhérente à leur position générationnelle. On en constate aujourd’hui le résultat. L’autorité évacuée conduit à une inversion des rôles. L’enfant, devenu roi, a le dernier mot. L’adolescent, livré à lui-même, tente de se fixer ses propres limites, au risque de se soumettre volontairement à des formes d’autorité pires que celles qu’il aurait pu recevoir de ses parents.
Mais depuis quelques années, ayant goûté aux deux extrêmes, revenu tout à la fois de l’autoritarisme d’antan et de la permissivité moderne, émerge la tentative du juste-milieu. On essaie de déplacer le curseur avec précision, ni trop, ni trop peu. On cherche une autorité entre les deux dérives désormais redoutées…
On la nomme « autorité éducative »
une autorité que l’on reconnaît désormais nécessaire pour que soit encadré l’apprentissage de l’autonomie, mais potentiellement dangereuse si elle est mal dosée. En somme, « l’enjeu de l’exercice d’une autorité éducative consisterait à maintenir, en toutes circonstances, la relation d’éducation, sans soumettre le jeune mais sans pour autant le laisser chercher seul ses propres limites.»
Bref, on voudrait donner des limites, sans les imposer, tout en les faisant respecter.
Beaucoup de gens se penchent sur cette difficile « quadrature du cercle », conscients que « l’autorité n’est pas un mal nécessaire de la relation humaine. Aux fondements de l’humanisation, elle est consubstantielle du lien humain et principe régulateur du lien social. Elle ne peut donc pas ne pas s’exercer. »
Cependant, tout le problème est de savoir comment l’exercer !
Pour ce faire, des listes de consignes sont proposées aux enseignants – listes très intéressantes au demeurant, mais qui n’abordent le problème que d’une manière périphérique. Elles forment un prêt-à-porter qui donne l’impression que tout est affaire de postures et de savoirs qu’il faudrait respecter.
La posture et le savoir ne sont pourtant que des costumes (costumes psychiques) que l’on essaie de faire siens. Un costume peut-il faire autorité ? Est-ce par exemple le jargon juridique et la toge du juge ou encore l’uniforme du policier qui font leur autorité ? Les costumes et les jargons ne sont-ils pas eux-mêmes l’expression de quelque chose de plus grand que la simple personne qui les porte ?
L’autorité d’une personne ne proviendrait-elle pas de quelque chose de plus grand qu’elle-même ? Ne serait-elle pas l’expression d’une réalité qui transcende la personne ?
Cela permettrait d’ailleurs de supposer, contrairement à ce qui s’écrit souvent, que ce n’est pas grâce à ses savoirs et ses manières de faire que l’autorité de l’enseignant est perçue comme légitime, mais par son aptitude à être au service d’une réalité plus grande que lui-même – une réalité transcendante qui à ce stade reste à caractériser.
Depuis la Révolution française, il n’est plus question de parler de réalités transcendantes. Le matérialisme des Lumières a privilégié un point de vue selon lequel il n’existe qu’un seul mode de réalité, celle que l’on peut mesurer et analyser dans l’objet de son étude (immanence). Ainsi, le juge ne représente plus la justice que l’on figurait autrefois sous la forme d’une allégorie ayant les yeux bandés et la balance à la main, mais un ministère bien circonscrit et dont il applique les consignes bien circonscrites elles-aussi. De même, pour le policier. Le professeur quant à lui, devenu un fonctionnaire interchangeable de l’Éducation Nationale, cherche des consignes et des savoirs qui puissent lui donner un cap dans un monde désormais sans profondeur. Et comme ces ministères n’ont rien de transcendant, ce sont les fonctionnaires eux-mêmes qui, par leur exemplarité, sont appelés à donner du crédit à leur institution.
Mais l’autorité ne peut s’exercer que si sa légitimité est reconnue de la part de ceux sur qui elle s’exerce. Alors comment des ministères aux politiques changeantes peuvent-ils être reconnus comme légitimes s’ils ne sont pas porteurs de ce qui transcenderait leurs propres limitations ? N’étant pas porteurs d’un principe plus grand qu’eux-mêmes, ils ne peuvent suivre que leur arbitraire, ne peuvent pas être universellement perçus comme légitimes et sont donc contraints à exercer leur autorité par la force ou la persuasion.
Sans transcendance, l’autorité devient autoritariste.
Ainsi, il n’est pas possible d’évoquer le sujet de l’autorité en évinçant la possibilité d’une transcendance. C’est lorsque l’on évince toute transcendance que l’autorité prend cet aspect négatif qu’on lui connait.
Pour un enseignant devant sa classe, l’enjeu sera donc d’apprendre à s’ouvrir à une telle réalité et de réaliser à travers ses actes ce qui permet à cette réalité de s’exercer. Être une autorité pour ses élèves dépendra directement de son aptitude à être au service d’une telle réalité.
Mais alors est-il possible de caractériser cette réalité transcendante ?
1- Située dans un au-delà, elle est par nature une réalité qui n’est pas insérée dans une logique d’ici-bas.
Ici bas, on dira que ce qui arrive est conditionné par les événements qui ont précédé. Par exemple, si un élève pose problème, on essaie de comprendre ce qui s’est passé pour qu’il en arrive à poser problème. Cette façon de faire est à la base de nos expertises. Mais tandis que l’on cherche à identifier dans ce qui pose problème la raison cachée (immanence), on se détourne d’une vision plus large qui permettrait d’agir en cohérence avec ce qui n’est pas encore là et qui demande à s’exprimer (réalité transcendante).
Ainsi, on peut percevoir comment les problèmes de l’élève vont se prolonger ou pouvoir être infléchis, mais on ne voit pas que ces symptômes ne sont que l’ombre d’une lumière à venir. Si on oublie qu’il existe une réalité transcendante, on est comme quelqu’un qui penserait pouvoir prévoir le jeu d’un acteur d’après la façon dont la scène du théâtre a été préparée. On oublierait de prendre en compte le talent de l’acteur qui transcende le décor tel qu’il est. Il est évident qu’un mauvais éclairage peut gêner l’acteur et que si son costume est trop court, il aura du mal à se mouvoir. Pourtant, ce qui se passera sur la scène lors de la représentation, dépend du talent que l’acteur parviendra à convoquer pour habiter le rôle et le décor proposés. Ce talent ne se prévoit pas. L’acteur essaie de le faire advenir, découvrant alors une liberté de jeu puisque non conditionné par le décor.
Ce talent est une réalité transcendante dont il est question ici. Il ne se déploie pas dans une logique chronologique, mais advient.
Si le metteur en scène perçoit, ou du moins croit en ce talent, et s’il peut en permettre l’expression à travers sa mise en scène, alors il représentera pour l’acteur une autorité. L’autorité que représentera le metteur en scène pour l’acteur dépend directement de l’attention que celui-ci aura pour le talent de celui-là.
De même, l’autorité que l’enseignant représente pour chacun de ses élèves dépend de l’attention qu’il déploie pour rendre possible le talent de chacun, même si rien ne laisse le supposer !
2- Les réalités transcendantes qui nous intéressent ici, sont les talents qui pour chaque élève s’approchent depuis l’avenir.
Les talents sont agissant depuis l’avenir, déterminant aussi longtemps qu’ils manquent, des stratégies de remplacement. Les comportements parfois très difficiles des élèves sont de tels stratégies. On peut combattre ces comportements… Ce serait suivre la logique d’ici-bas parfois bien nécessaire, mais alors par la force (la sanction), puisque sans perception d’une réalité transcendante. On peut également s’adresser aux talents qui manquent. Cela n’est pas naturel, mais donne à celui qui s’y essaie la possibilité d’être reconnu comme une autorité par ses élèves
(Comment le faire ? Par quels moyens ? Cela sera exposé lors d’une formation prochaine).
3- Ces talents ne sont pas une affaire personnelle, puisqu’ils se situent, d’une manière transcendante, au-delà de chaque personne. Ce sont des qualités humaines universelles que chacun essaie de rendre présentes à sa manière.
Alors demandons-nous : quel talent est en train de devenir présent universellement pour des enfants de quatre ans ? Quel talent est en train de devenir présent universellement pour des enfants de 11 ans ? À chaque âge son talent et les problèmes que les enfants rencontrent ne sont finalement que les ombres portées de ces talents. Ils ne sont que des stratégies visant à pallier le manque d’un talent appelé à devenir présent.
4- Si l’enseignant connaît le talent qu’une classe d’âge est en train de faire sienne et s’il parvient à le servir, c’est à dire à l’exercer lui-même, il se met en position d’être pour ses élèves une autorité légitime.
NOTE : Je suis en train de vous préparer un dossier intitulé « Les talents de l’enfance ». Il paraitra très prochainement.
Quand l’enseignant connaît le talent qu’une classe d’âge est en train de faire sienne et s’il parvient à le servir, c’est à dire à l’exercer lui-même, il se met en position d’être pour ses élèves une autorité légitime. Ce n’est alors pas lui qui se saisit d’une autorité (autoritariste), mais il se voit reconnu comme une autorité (éducative) par ses élèves.
Bien-sûr, si l’on pense la nature humaine comme un produit biologique et social, les considérations que nous essayons de développer ici ne peuvent pas trouver d’écho. Un produit n’a aucune transcendance. Il n’est que le résultat immanent d’un acte ayant précédé son apparition. Ainsi, le matérialisme ôte à toute personne son autorité, car il coupe chacun de la conscience d’une réalité plus grande que celle qui nous occupe. De ce fait, le matérialisme ne peut qu’engendrer de l’autoritarisme, expression d’une influence qui ne s’exerce plus qu’à partir de l’arbitraire d’une personne ou d’une institution (par la peur, l’intimidation et la violence comme dans la dystopie 1984 de George Orwell ou par la séduction d’une insouciance lénifiante comme dans Le meilleur des mondes que décrit Aldous Huxley).
La suite dans le dossier « Les talents de l’enfance », 60 pages spécialement préparées pour vous. Il paraîtra la semaine prochaine.
Guillaume Lemonde
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.
1 commentaire
Bonjour,
Merci pour cette transmission magnifique! Elle répond aux questionnements de tout mon parcours professionnel. Je me réjouis de la suite.
Recevez mes bons messages.
Catherine Wenger