C’EST EN AIMANT QUE L’ON ACCUEILLE LA MORT
C’EST EN AIMANT QUE L’ON ACCUEILLE LA MORT
AUTREFOIS DES TRADITIONS PARLAIENT DE LA FAUCHEUSE venant chercher ceux pour qui l’heure avait sonné. L’Ankou, par exemple, arpentait la Bretagne et frappait le soir aux portes, pour embarquer dans sa carriole ceux que la mort avait choisis.
On ne savait jamais quand ce serait. Il n’était pas possible de le prévoir. Nul ne connait ni l’heure ni le jour, n’est-ce pas ?
Ainsi la mort vient à nous depuis l’avenir. Elle s’approche depuis l’avenir. C’est pour cela que nous ne pouvons prévoir ni la date, ni l’heure du rendez-vous. Nous ne pouvons que nous préparer à la recevoir. Bien-sûr, il nous est toujours possible de faire comme si elle ne viendra jamais; faire comme si pendant toute une vie, jusqu’au jour où l’on s’éveille. Jusqu’au jour où l’Ankou frappe à la porte et qu’un diagnostic nous rappelle qu’elle n’est peut-être plus très loin.
Depuis l’avenir, la mort s’adresse à ce qui en nous est capable de s’éveiller.
En effet, elle ne s’adresse pas à ce qui vient du passé, mais à ce qui, depuis l’avenir, est en train de s’éveiller et de devenir présent :
- Ce qui vient du passé se manifeste à travers l’inflexible enchaînement qui lie les causes à leurs effets. Ce sont les nécessités biologiques, mais aussi les obligations morales. Le Cid se battant pour l’honneur de son père, est enfermé dans le passé. La loi du Talion déclarant Œil pour œil, dent pour dent, vient du passé. La peur qui me pousse à tout faire pour ne plus la ressentir, elle aussi m’enchaîne au passé, car je suis déterminée par elle. Elle est la cause et j’agis en conséquence. De même, la haine que je veux assouvir et la vengeance que je veux savourer.
- Ce qui vient de l’avenir, c’est ce qui est capable de renoncer à suivre ces enchaînements. C’est ce qui ne se projette pas et n’attend aucun bénéfice en rétribution des efforts fournis. Ainsi, ce qui vient de l’avenir, est ce qui en nous est capable d’aimer.
La mort s’adresse à ce qui en nous est capable d’aimer. Et c’est en aimant que l’on accueille la mort.
Guillaume Lemonde