LA PETITE FILLE QUI NE PARLAIT PAS (le mutisme sélectif)
LA PETITE FILLE QUI NE PARLAIT PAS
un cas de mutisme sélectif
Il y avait, dans une école d’Allemagne, une petite fille de 4 ans qui ne parlait pas. Elle présentait ce que l’on appelle un mutisme sélectif, un trouble de la communication reconnu comme une incapacité persistante à parler dans une ou plusieurs situations particulières. À l’école, elle restait totalement silencieuse, tandis qu’elle s’exprimait facilement à la maison… Elle s’y exprimait même très fort, par des crises de colères fréquentes et redoutables.
Les psychologues connaissent ce trouble. Il a été décrit la première fois en 1877 par Adolphe Kussmaul. Mais les causes réelles restent encore inconnues. On a juste constaté que le mutisme sélectif fait très souvent son apparition chez le jeune enfant suite à des antécédents familiaux ou des expériences traumatiques.
Si j’ai choisi de vous en parler aujourd’hui, c’est parce que ce sera l’occasion de vous présenter comment la démarche Saluto peut enrichir l’approche psychologique – même si, vous en conviendrez, le cadre d’un article ne permet pas grand chose de plus qu’un petit résumé.
Avant toute chose, il est important de comprendre que l’on peut considérer chaque difficulté, chaque épreuve et a fortiori chaque maladie d’après deux point de vues opposés (et complémentaires).
1- Il y a le point de vue usuel. C’est celui de la psychologie et de la médecine. Il est celui qui essaie de comprendre ce qui arrive à partir d’une antériorité.
Selon les écoles cette antériorité ne sera évidement pas recherchée au même endroit. Pour l’école de Palo alto, elle sera probablement à découvrir dans les interactions du patient avec un environnement qui maintient son problème. Pour Jung, probablement dans un inconscient collectif. Pour Freud, dans un conflit entre le Ça et le Sur-moi. Pour Pavlov et les thérapies béhavioristes ou comportementalistes, dans une réponse réflexe à un stimulus donné, etc. Mais cela ne change rien au fait que quelque chose a dû causer le trouble que l’on veut traiter ; et l’on estime logiquement que ce trouble pourrait être levé si l’on en comprenait l’origine.
Pour en comprendre l’origine, on met en place des thérapie cherchant à découvrir ces causes (par exemple, une thérapie par le jeu qui permettant à l’enfant d’extérioriser tout ce qu’il ressent, ainsi que ses besoins et ses rêves ; une thérapie familiale qui consiste à observer la dynamique familiale dans laquelle se trouve l’enfant souffrant de la maladie ; une thérapie artistique par laquelle on laissera l’enfant s’exprimer par des dessins, de la peinture, des œuvres artistiques. En décryptant ses œuvres, le thérapeute essaiera de trouver les sources du problème de l’enfant ; etc.).
En tout cas, le point de vue qui cherche à comprendre un problème à partir d’une antériorité, s’intéresse d’abord à un problème, c’est à dire à une symptomatologie. Un symptôme dérange (ici le mutisme) et l’on veut comprendre pourquoi il est apparu pour le faire disparaître.
Cette approche est donc symptomatologique et contextuelle. Contextuelle puisque la cause est à chercher en amont, dans un contexte (qu’il soit biologique, héréditaire, familiale, psychologique, etc.)
Même si l’on ne comprend pas pourquoi ce symptôme est apparu, on fera évidemment tout pour qu’il perde en intensité. Par exemple, un mutisme que l’on reconnaît causé par une anxiété, conduira logiquement à vouloir mettre l’enfant en confiance pour qu’il apprivoise sa peur…
Tous les moyens seront bons… Aujourd’hui on a parfois même recours à la réalité virtuelle. Avec un casque de réalité virtuelle et un support informatique, on immerge l’enfant dans des situations gênantes pour lui, espérant ainsi l’habituer à réagir autrement face à celles-ci...
2- Et puis il y a un point de vue diamétralement opposé.
C’est celui que permet la démarche Saluto. Plutôt que de chercher, dans une antériorité, l’origine du symptôme qui dérange, on peut considérer autre chose. On peut considérer que si les problèmes que nous rencontrons peuvent être expliqués en regardant comment ils se sont mis en place (contextuellement), ils devraient être également compris à travers la difficulté que nous avons à les traverser.
Quand par exemple un randonneur se trouve bloqué par un torrent imprévu sur le chemin, il peut expliquer ce blocage contextuellement (par exemple, il y a eu beaucoup de pluie les derniers jours…). Mais si le randonneur est bloqué, c’est également parce qu’il ne parvient pas, pour l’instant, à envisager de faire un détour. Pour envisager ce détour, le randonneur a besoin de pouvoir accueillir cette situation imprévue. Il a besoin de dépasser ce qu’il avait prévu, de s’ouvrir en confiance à tous les possibles. C’est cette difficulté à envisager autre chose que ce qui était prévu qui peut le bloquer devant le torrent. Ce n’est pas le torrent tout seul qui le bloque, mais le torrent révélant cette difficulté à envisager autre chose que ce qui était prévu. Le torrent n’est que le révélateur extérieur d’une difficulté intérieure.
Pour un autre randonneur, ce qui manque peut-être, c’est de trouver la vaillance du pas à pas. Le courage de continuer. Ne pas oublier l’objectif et avancer avec lui, reconsidérant le prochain pas en fonction des obstacles qu’il rencontre. Lui non plus n’est pas bloqué par le seul torrent ; mais par le torrent qui révèle une difficulté à trouver le courage de continuer.
AINSI, C’EST PARCE QUE CES TALENTS SONT ENCORE À VENIR, QU’IL Y A BLOCAGE…
Au moment où ces talents deviennent présents, la situation peut se débloquer.
Le contexte (la biologie, le milieu social, etc.) contraint, certes… Mais s’il nous contraint, c’est parce que nous sommes en train de chercher à faire nôtre un talent qui nous permettrait de ne plus être contraint par lui.
C’est parce que certains talents sont appelés à devenir présents, que notre contexte est contraignant.
REVENONS À LA PETITE FILLE QUI NE PARLAIT PAS.
Cette petite fille présente un trouble. Ce trouble s’exprime par un mutisme. Quelque chose s’est bloqué dans l’expression, dans la relation aux autres… Elle est comme le randonneur dont il a été question à l’instant. Elle est bloquée devant son torrent à elle. Elle est bloquée par un obstacle fait, entre autre, de timidité et d’anxiété.
On peut observer cette anxiété, mais de quel talent aurait-elle besoin pour que se débloque la situation et qu’elle aille mieux ?
Quel talent se tient dans l’avenir de cette petite fille (c’est à dire, qui n’est pas encore là, mais qui est en train d’advenir) ?
QUEL EST LE TALENT QUI SE TIENT DANS L’AVENIR DE TOUS LES PETITS ENFANTS DE QUATRE ANS DU MONDE ?
Prenons le temps de considérer cette réalité universelle avant d’aller plus avant dans la compréhension de ce cas individuel de cette petite fille.
La réalité universelle de tous les enfants de quatre ans, c’est que leur corps est structurellement inachevé. Ce n’est que vers six ans et demi qu’il sera achevé, avec les dernières voies neurologiques. Les années qui suivront, le corps devra encore croître. Mais vers 6 ou 7 ans, tout est physiquement là.
Ainsi, la qualité physique du corps se tient dans l’avenir des petits enfants. Il est à venir. À 4 ans, il est encore une musique d’avenir. Il s’approche tout doucement. Il a été déjà possible de le redresser et d’apprendre à marcher ; mais ce corps est encore très souple, les os par endroit encore cartilagineux… Il n’a pas encore cette inertie qui permettra de laisser résonner les sentiments dans un espace intérieur.
Les petits enfants sont peu centrés sur un espace intérieur, tout adonnés à leur environnement. Vulnérables, impressionnables, sensibles… Ils sont en sympathie avec le monde.
Un jour, devenus adultes, ils découvriront que l’on peut être stable intérieurement, c’est à dire qu’il est possible de s’ouvrir à quelqu’un sans se perdre en lui. Qu’il est possible de se refermer sans perdre le lien avec l’autre. Pour lors, c’est mission impossible. C’est encore une musique d’avenir.
Cette musique d’avenir est d’ailleurs difficile à rendre présente pour tout un chacun quelque soit l’âge. Mais vers 6 ou 7 ans, à défaut d’être intérieurement stable, il devient possible de se stabiliser grâce au corps devenu physiquement stable. Les gestes, vers 6 ou 7 ans, sont devenus toujours plus précis, les perceptions, toujours plus fines.
Prenez l’exemple d’un marin dans la tempête. À défaut d’avoir le pied marin (la stabilité intérieure), il peut se stabiliser à quelque chose de bien structuré, de bien solide : il peut se tenir au bastingage.
C’est ce que nous faisons lorsque nous sommes déstabilisés. Nous grimpons dans la tête et nous tenons au bastingage. Imaginez, un ami vous a fait une entourloupe. Vous êtes blessé (l’espace intérieur vulnérable comme celui d’un petit enfant). Vous montez dans la tête : c’est un moment de recul par rapport à la situation. Vous essayez de comprendre ce qui se passe. Vous observez. Vous êtes comme figé dans une incompréhension.
C’est la tête qui stabilise ce qui ne l’était plus dans les sentiments. La tête bloque le sentiment blessé.
Dans un deuxième temps, afin de renforcer sa stabilité, elle apporte de l’eau à son moulin : des faits sont mis en relation avec d’autres faits. Essayant de comprendre, elle mouline des informations, jusqu’au petit vélo qui la nuit empêche de dormir.
Enfin, dans un troisième temps, quand le petit vélo mental ne parvient plus à tenir les sentiments blessés sous un couvercle, on s’enflamme. Là où l’on pourrait sentir la blessure, on se met à juger moralement ce qui a été fait. Cela va jusqu’à l’insulte.
BRÈVE OBSERVATION DE LA PETITE FILLE QUI NE PARLE PAS
À l’école, elle ne parle pas. Ou très peu. Elle a les plus grandes difficultés à prononcer les mots les plus simples, comme « oui », « non », « bonjour».
Ses gestes sont très lents, comme figés. Elle dessine lentement, elle mange très lentement. Elle ne garde pas le contact visuel avec les étrangers. Elle ne sourit pas.
Que voyons-nous ? Un espace intérieur qui ne s’ouvre pas aux autres.
Elle a les plus grandes difficultés à prononcer les mots les plus simples, comme « oui », « non », « bonjour». Elle ne garde pas le contact visuel avec les étrangers. Elle ne sourit pas.
Elle a pourtant 4 ans, un âge où l’on est complètement ouvert à la périphérie. Ainsi, son espace intérieur subit l’inertie d’un corps physique pourtant inachevé.
Ses gestes sont très lents, comme figés. Elle dessine lentement, elle mange très lentement.
Cette petite fille manifeste qu’elle est en train de faire tout ce qui est en son pouvoir pour se stabiliser. Elle investit « sa tête » (elle s’accroche au bastingage pour se fixer à quelque chose de stable) du fait de son instabilité. Ce qui signifie qu’elle vit dans un tempête trop forte pour elle.
Mais la raison pour laquelle la tempête est trop forte pour elle, est une raison contextuelle qui ne nous renseignera pas sur la façon dont nous allons nous y prendre pour aider cette petite fille (lire plus haut).
En revanche, ce que l’on peut dire, c’est que ce n’est pas tandis que l’on se crispe au bastingage que l’on découvre la stabilité du pied marin permettant de traverser la tempête. La crispation au bastingage est, certes, un pis-aller salutaire mais pas un moment ou l’on guérit du mal de mer.
Crispée de la sorte, la petite fille n’est donc pas dans la meilleure situation lui permettant de découvrir une stabilité intérieure telle qu’elle puisse retrouver un contact avec les autres.
À cet âge, comme dit plus haut, la stabilité intérieure est encore une musique d’avenir.
La stabilité est apportée par les adultes qui, autour de l’enfant, sont stables intérieurement. Les adultes qui peuvent être avec l’enfant, tout adonnés à lui sans pour autant se savourer eux-mêmes dans ce contact et chercher la sympathie de l’enfant, sont des piliers qui aident l’enfant à découvrir sa stabilité.
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Le premier enseignement de ces considérations est que les adultes autour de cette petite fille peuvent devenir une ressource pour elle s’ils exercent la stabilité intérieure.
Comment fait-on cela ? Vous trouverez un élément de réponse en suivant ce lien.
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Le deuxième enseignement de ces considérations est qu’il ne va pas falloir aggraver la fixation au bastingage !
Car si cette petite fille s’agrippe au bastingage en se figeant de la sorte, elle ne peut s’ouvrir aux adultes stables qui lui permettraient de découvrir qu’il est possible de ne pas se figer ainsi.
Ainsi, il conviendrait de ne pas l’obliger à mettre encore plus de conscience sur son état intérieur. La conscience qui s’éveille dans sa tête est déjà trop forte. Elle fige ses gestes, les ralentit, la met en distance des autres. Trop de conscience par rapport à ce que l’on peut assimiler, conduit à la peur, l’angoisse et pour le moins à la timidité.
Si on dit à cet enfant : « je vois que tu as peur, je suis là, tu peux compter sur moi », même si cette phrase part d’un bon sentiment, elle oriente la conscience vers l’espace intérieur déjà trop saturé de conscience…
Si l’on veut s’adresser au corps, ce sera sans focaliser sur une information, mais globalement, par le toucher, par exemple : le massage, la câlin… (sans avoir besoin de parler…)
SUITE DE L’OBSERVATION DE CETTE PETITE FILLE QUI NE PARLE PAS
À la maison, elle offre un tout autre tableau ! Elle est agitée, parle, beaucoup. Elle s’exprime très fort, par des crises de colères fréquentes et redoutables.
Souvenez-vous de ce qui a été exposé plus haut :
Lorsque nous sommes déstabilisés, nous tentons de nous agripper à quelque chose : nous montons dans la tête et analysons. Nous nous tenons au bastingage. La tête stabilise ce qui ne l’était plus dans les sentiments. Les sentiments (en particulier leur expression et donc la communication en générale) sont mis à distance.
Dans un deuxième temps, afin de renforcer cette stabilité, nous apportons de l’eau à notre moulin : cette phase est analogique. Cela veut dire que l’on étaye les réflexions que l’on se fait, avec d’autres éléments analogues. On se rappelle de moments similaires, on remarque en quoi ce qui s’est passé ressemble à d’autres moments connus. Bref, c’est par la répétition de motifs similaires que l’on renforce la très fragile stabilité intérieure.
Et lorsque la répétition de motifs similaires n’est plus active, plus rien ne tient et on s’enflamme.
Or, cette petite fille est bloquée dans l’expression de son espace intérieur quand elle est à l’école, tandis qu’elle s’enflamme lorsqu’elle est à la maison.
Elle bascule très vite entre les deux états. Si l’on comprend ce qui précède, on sait que le point de basculement arrive d’autant plus vite que les motifs répétitifs ne parviennent plus à renforcer la stabilisation recherchée.
(Afin que cette affaire de motif répétitif ne reste pas abstraite pour vous, songez à ces enfants qui se balancent sur eux-mêmes ou qui présentent des tics… Ils nous montrent qu’il cherchent à renforcer une stabilité soudain fragilisée. D’autres, qui vont bien, jouent à la balançoire, jeu qui propose un mouvement répétitif, un rythme. C’est un jeu qui renforce favorablement la stabilité encore peu acquise.)
Ainsi, le troisième enseignement que nous pouvons tirer de ces considérations est qu’il va falloir prendre soin de répéter les activités. On va prendre soin des rythmes et en particulier de ceux de la journée.
L’heure du coucher, des repas, qui inlassablement se répètent de jour en jour… Arriver à l’heure à l’école, sans avoir à courir, puisque lorsque l’on est dans les rythmes, les activités s’enchaînent harmonieusement. C’est quand on sort du rythme que l’on est en retard (ou en avance).
Une petite fille comme celle dont il est question ici a besoin de rythme.
Sa maman avoue que ce n’est pas facile pour elle de tenir un rythme, d’arriver à l’heure à l’école…
Mais attention, de nouveau, notre point de vue n’est pas ici un point de vue contextuel : ce n’est pas parce que la mère est en retard très souvent sur les horaires, que la petite fille ne parle pas. En revanche, quand on considère le talent qu’elle cherche (c’est à dire, la stabilité qui passe par celle des adultes), on peut affirmer que si les adultes placent leur attention à respecter les rythmes de cette petite fille (devenant eux-même stables intérieurement pour y parvenir), ils deviendront pour elle une ressource essentielle !
Les éducatrices de la petite enfance qui s’occupaient de cet enfant ont décidé de ne pas parler à la tête de la petite (“J’ai vu que tu as peur“…).
En revanche, elles ont fait très attention à
- exercer leur propre stabilité intérieure (voir le lien ici);
- ne pas focaliser l’attention de la petite sur ses symptômes;
- prendre soins des rythmes dans le cadre de l’école (on raconte la même histoire chaque jour pendant une semaine, on fait le pain tous les vendredis, on fait la sieste à telle heure, etc.) Quand on est dans le bon rythme, on ne court pas ! On a du temps… Laisser du temps (dans un espace temporel établi et revenant rythmiquement) à cette petite déjà si lente et qui montre qu’elle a justement besoin de temps.
Après quelques mois, les parents ont pu percevoir que les crises de colère à la maison devenaient moins difficiles à vivre. À l’école, le contact visuel s’installa progressivement. Elle prononça de plus en plus de mots. L’état s’améliora doucement mais sûrement.
Voilà ce que j’avais à vous raconter aujourd’hui…
Si vous êtes intéressés par cette façon de considérer les situations de la vie, la formation Saluto qui débutera en octobre est faite pour vous.
Au plaisir de vous rencontrer.
Bien à vous
Guillaume Lemonde