LA VIE A-T-ELLE UN SENS ?
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Exercices pratiques
- Date 13 janvier 2023
LA VIE A-T-ELLE UN SENS ?
En entrant à la Faculté de médecine, j’espérais comprendre un peu mieux la nature humaine et approcher, au moins d’un peu, les mystères de la vie. Vaste programme d’un jeune de tout juste dix-huit ans pour qui une vie, sans rien après la mort ni rien avant la naissance, apparaissait dépourvue de sens. Pourquoi vivre des épreuves si c’est pour disparaitre à la fin ? À quoi servirait une telle parenthèse ? À quelle fin souffrons-nous ce que nous avons à souffrir si c’est pour ne plus être, au bout du compte ? Y-a-t-il seulement un sens à la souffrance ou avons-nous à rêver d’un monde d’où les maladies et même la mort auraient disparues ?
À l’inverse, je me disais que s’il fallait l’espoir d’une vie après la mort ou l’espoir d’une vie sans souffrance pour que la vie de maintenant trouve un sens, quelle vie serait-ce donc là ? Dépendre d’un espoir… n’est-ce pas ce qui arrive lorsqu’on ne parvient pas à s’ouvrir à ce qui est maintenant ? La vie n’a-t-elle pas de valeur par elle-même, comme elle est ?
Alors comment être à la vie ? Comment s’ouvrir à elle ? Aux autres ? Au monde ?
Bref… J’étudiais la médecine, laborieusement d’un bout à l’autre. On nous enseigna les maladies et leurs remèdes, l’anatomie, la psychologie, l’éthique et j’en passe… Au bout du compte, je peux dire, comme Faust en son célèbre monologue, qu’«avec toute ma science, je n’étais pas plus sage qu’auparavant ».
Toutefois ces connaissances furent très précieuses à assimiler.
Elles dressaient de l’Homme et de la vie un tableau d’où ce qui était absent prenait pour moi plus d’importance que ce qui était exposé.
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Exposées étaient les causes matérielles de notre nature :
l’ADN, le calcium, la silice, les acides aminées, etc… Nous identifions en ces causes-là la source de maladies et apprenions ce qu’il était possible de faire pour les contrer.
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Exposées étaient également les causes formelles de notre nature.
Autrement dit, la façon dont notre corps est conformé, mais aussi dont notre psychisme est conformé. L’anatomie, la physiologie, la psychologie, etc. exploraient ces causes formelles. Elles permettaient d’identifier d’autres aspects de notre nature et de la façon dont nous sommes dans la vie.
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Exposées étaient encore les causes efficientes, c’est à dire ce qui a produit notre nature :
ici on trouve, entre autres, les générations qui nous ont précédés et avec elles, l’hérédité, mais aussi l’éducation et le milieu social dont nous sommes issus. Ces causes efficientes sont celles qui précèdent la formation de notre corps et de notre personnalité. Elles donnent également un éclairage sur la vie que nous avons et les troubles que nous pouvons rencontrer.
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Mais ce qui n’y était pas, c’était les causes finales de notre nature :
Non pas pourquoi le corps et le psychisme sont comme ils sont (les 3 causes précédentes), mais le « pour quoi ».
Et cela m’apparaissait d’autant plus important qu’il n’en était jamais question.
Seulement, il est difficile de concevoir une cause finale si l’on essaie de la penser chronologiquement comme les trois autres causes qui viennent d’être énoncées ; c’est à dire en regardant à partir du passé vers plus tard. Si on la considérait chronologiquement, une cause finale de notre nature ressemblerait beaucoup à une prédétermination, à un destin qui nous conduirait vers un but inconnu depuis on ne sais où… Chercher une telle cause équivaudrait à chercher une finalité à notre vie et à la vie elle-même… Ce faisant, nous perdrions de vue la vie que nous vivons en ce moment. Nous serions occupés par quelque chose se trouvant plus loin que ce qu’elle nous offre maintenant. Je vous ai dit combien il m’était pénible, déjà à cette époque, d’imaginer que la vie n’ait un sens que du fait de l’espoir d’un après, voir d’un après la vie elle-même…
En réalité, s’il y a une cause finale à notre présence dans ce monde, une raison, pourrait-on dire, elle est forcément à découvrir tout à la fois plus tard, puisque devant se manifester au bout du compte, et en même temps avant toute chose, puisque déterminant tout ce qui est nécessaire à sa réalisation. La cause finale est forcément celle qui se manifeste en dernier, mais elle est forcément première dans l’intention.
Elle est donc tout à la fois au début et à la fin…
Elle n’est donc pas à trouver selon une simple chronologie. Ce n’est pas ce qui s’est passé avant qui permet de l’approcher. Ce n’est pas en étudiant le passé qu’on la trouve. Elle ne peut pas se comprendre logiquement, puisqu’elle est tout à la fois active depuis le passé et depuis l’avenir. Elle s’approche de maintenant depuis l’avenir… Cela ne se comprend pas logiquement.
Or, là où nous sommes tout à la fois au passé et à l’avenir, c’est au présent ; au présent où nous sommes si peu souvent… Certes, notre corps est au présent, mais notre conscience de tous les jours est prise par des échos intérieurs permanents : des souvenirs, des savoirs et des points de vue qui orientent notre perception du monde, etc.
Les pensées qui nous viennent en permanence sont par exemple le fruit d’un tel écho intérieur. Elles nous enchaînent dans un monde purement chronologique (que la logique essaie d’organiser).
J’ai développé ce point à de nombreuses reprises. Vous trouverez un article à ce sujet en suivant ce lien.
Si l’on pouvait suspendre ces pensées, ne serait-ce qu’un instant… non pas lutter contre elles, mais découvrir que nous pouvons, sans lutter contre elles, décider de ne pas les suivre… Si nous pouvions nous installer dans ce renoncement, ne serait-ce qu’une minute tous les jours,
alors nous découvririons, avec le temps, à force de l’exercer, que les sens deviennent disponibles. Nous découvririons qu’il devient possible de percevoir ce qui nous entoure, là où la plupart du temps nous rapportons ce qui nous entoure à ce que nous savons déjà. Il deviendrait possible d’être présent. Présent aux autres, au monde, à la vie.
Cette présence, elle était dans les enseignements de la Faculté, en creux dans ce qui n’était pas dit. Elle était le plus important de ce que nous avions à comprendre. Et ce fut possible de le comprendre à force de ne jamais en parler.
Le sens de la vie n’est pas à chercher ailleurs qu’au présent. Et mieux encore… Il n’est pas à chercher du tout, puisque chercher, c’est déjà se projeter dans un résultat ailleurs que maintenant, alors qu’il est à vivre au présent.
Ainsi, le sens de la vie ne se cherche pas : il se donne dans notre disponibilité à être au présent.
C’est au présent que l’on rencontre les autres, le monde, la vie.
Bien à vous
Guillaume Lemonde
Note : les 4 causes évoquées dans cet articles furent pensées par Aristote et Thomas d’Aquin.
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.
2 Commentaires
Merci Guillaume,
Je lis de temps en temps tes articles et ils ravivent à chaque fois ces moments où, pendant et hors de la formation avec toi, j ai pu goûter à cet état de présence paisible plein d ouverture et de profondeur. A te lire.
Je lis régulièrement tes articles. Cela me fait du bien de retrouver chaque fois cet instant de la vie présente.