LE LIBRE-ARBITRE DE NOTRE VOLONTÉ
LE LIBRE-ARBITRE DE NOTRE VOLONTÉ
Le libre-arbitre, la faculté que nous pensons avoir de nous déterminer librement, ne serait qu’une illusion. Spinoza l’écrivait, en son temps, dans l’introduction de son Éthique : « Les hommes se croient libres parce qu’ils sont conscients de leurs désirs, mais ignorants des causes qui les déterminent. »
De fait, nos comportements sont influencés, pour ne pas dire dictés, par de nombreux facteurs. Nos émotions, mais aussi, avant même que nous ne percevions ces émotions, la libération de certains neurotransmetteurs et ou de certaines hormones, orientent nos pensées et nos actes.
Au-delà de la biologie, elle-même conditionnée pour une bonne partie par les particularités de notre patrimoine génétique, de multiples facteurs nous déterminent. Les représentations que nous avons à disposition, les habitudes qui sont les nôtres, la langue que nous parlons, influencent forcément, d’une manière ou d’une autre, notre sensibilité, notre faculté de jugement et nos agissements.
Nous pouvons également être tentés d’expliquer ce que nous vivons en nous appuyant sur notre généalogie. Les secrets de familles, les histoires non résolues, auraient sur notre vie un impact important. Certains vont voir un psychiatre afin qu’il décrypte pour eux les ressorts inconscients qui les animent. Ils ont peut-être besoin d’un diagnostic pouvant valider leur façon d’être au monde, espérant, grâce à cette étiquette délivrée par un scientifique, mieux se comprendre. D’autres encore consultent l’horoscope de leur naissance. Chacun fait comme il le peut.
Mais cette quête de compréhension de soi-même, passant par la mise en lumière d’une antériorité signifiante, est en même temps un piège. En cherchant ce qui pourrait être responsable de notre conduite, nous passons à côté de quelque chose d’essentiel : nous passons à côté de ce qui en nous consent à suivre cette conduite.
Nous nous interdisons de prendre en compte ce qui en nous pourrait justement apprendre à se tenir dans ce qui nous détermine sans être déterminé pour autant.
Nous passons à côté de la part la plus essentielle de nous-même, à savoir justement nous-même.
Le produit d’une antériorité, le fruit d’une hérédité, d’une culture, d’un milieu social, ne peut pas avoir conscience qu’un tel espace de liberté existe. Il reste déterminé, n’ayant même pas la représentation du monde permettant de supposer que cela puisse être autrement. Il dira avec Claude Bernard qu’ « Il y a un déterminisme absolu dans les conditions d’existence des phénomènes naturels, aussi bien dans les corps vivants que dans les corps bruts. »
Claude Bernard est un médecin célèbre du XIXe siècle, fondateur de la science expérimentale.
Il est intéressant de lire Claude Bernard.
Il pose les bases de la méthode expérimentale qui aujourd’hui est celle des neurosciences. Il nous dit : « Il faut admettre comme un axiome expérimental que chez les êtres vivants aussi bien que dans les corps bruts, les conditions d’existence de tout phénomène sont déterminées d’une manière absolue. Ce qui veut dire en d’autres termes que, la condition d’un phénomène une fois connue et remplie, le phénomène doit se reproduire toujours et nécessairement, à la volonté de l’expérimentateur. La négation de cette proposition ne serait rien autre chose que la négation de la science même. En effet, la science n’étant que le déterminé et le déterminable, on doit forcément admettre comme axiome que dans des conditions identiques, tout phénomène est identique et qu’aussitôt que les conditions ne sont plus les mêmes, le phénomène cesse d’être identique. […] Or, c’est à l’aide de l’expérimentation seule, ainsi que nous l’avons souvent répété, que nous pouvons arriver, dans les phénomènes des corps vivants, comme dans ceux des corps bruts, à la connaissance des conditions qui règlent ces phénomènes et nous permettent ensuite de les maîtriser. »
La méthode expérimentale essayant de mettre en évidence les causes déterminant les phénomènes qu’elle étudie, ne peut pas démontrer l’existence du libre-arbitre, celui-ci n’étant justement, par nature, déterminé par rien.
En 1983 Benjamin Libet, neuroscientifique, concluait que le libre arbitre n’existe pas. Il avait objectivé que le désir d’effectuer un mouvement considéré comme libre et volontaire est précédé par une série de changements électriques dans le cerveau. Mais sa conclusion outrepasse ce que sa méthode permet. La méthode expérimentale ne peut connaître de la nature humaine que ce qui en elle est un produit de la biologie et d’un contexte. Elle ne peut connaître d’elle que ce qui est conditionné et déterminé.
Si quelque chose en nous peut ne pas consentir à suivre le déterminisme de la biologie et du psychisme, cela ne peut pas se lire dans la biologie et dans le psychisme. Et logiquement, cela ne peut se lire dans rien précédant l’acte qui serait posé librement. Cela ne peut donc pas se prouver par quelque méthode expérimentale que ce soit. Cela peut juste s’éprouver.
Ainsi, le libre-arbitre s’éprouve (tandis que son inexistence se prouve). Le libre-arbitre s’éprouve dans la décision de ne pas suivre le passé, c’est-à-dire de se mettre en disposition de ne pas avoir à réagir (réagir à ce que nos perceptions provoquent comme sentiments, réagir à ce que nos sentiments provoquent en nous de jugements, réagir à ce que nos jugements provoquent en nous comme pensées). Se mettre dans une telle disposition s’exerce et c’est par cet exercice que cet espace de liberté s’éprouve. (voir à ce sujet la formation à la démarche Saluto).
Cet exercice est celui de la présence.
Il ne s’agit pas de supprimer les conditionnements et les déterminismes. Ce serait d’ailleurs impossible. Mais d’ajouter aux conditionnements que nous avons nécessairement, une attention qui ne s’y trouve pas. Toute la question de la présence est d’éprouver cette attention. Une attention qui serait telle que nous deviendrions apte à rencontrer une situation donnée sans réagir aux échos intérieurs qu’elle provoque en nous.
Ainsi, pouvons-nous agir en cohérence avec ce qu’une situation demande, c’est à dire ne pas réagir aux échos intérieurs que cette situation provoque en nous ? Pouvons-nous nous ouvrir à ce que cette situation nécessite sans être aveuglé par une nécessité antérieure nous déterminant ? Pouvons-nous nous exercer à être présents à nos sentiments de manière à les vivre pleinement plutôt que de les voir influencer notre faculté de jugement ?
Pouvons-nous nous exercer à être présents à notre faculté de jugement de manière à la vivre pleinement plutôt que de la voir influencer les associations d’idées qui se forment en nous toutes seules ?
Pouvons-nous nous exercer à être présents aux associations d’idées qui se forment en nous toutes seules, de manière à les vivre pleinement plutôt que de les voir influencer notre manière de percevoir le monde ?
Pouvons-nous nous exercer à être présents à nos perceptions de manière à les vivre pleinement plutôt que de les voir influencer nos sentiments ?
Nos perceptions sont influencées par les associations d’idées qui nous traversent, elles-mêmes influencées par notre point de vue, lui-même influencé par nos sentiments, eux-mêmes influencés par nos perceptions… Pouvons-nous décider d’exercer notre attention à chacun de ces aspects de notre psychisme ?
Cela nous permettrait de percevoir et de nous déterminer dans une situation donnée, plutôt que de laisser résonner des échos intérieurs nous déterminant.
Nous pourrions nous ouvrir ainsi à plus grand que nous-même. « Plus grand » signifiant ici que cela dépasse les contingences personnelles et les échos intérieurs que chaque perception provoque en nous.
Cette ouverture naît d’une décision. Elle est l’expression de notre volonté. Elle est un acquiescement de notre volonté (dirait Bernard de Clairvaux).
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La question du libre arbitre est souvent abordée sous l’angle de la raison.
On croit parfois que seul pourrait espérer être libre celui qui connaîtrait tout ce qui pourrait l’influencer, le contraindre… Il faudrait connaître les moindres méandres de l’inconscient pour ne pas se faire avoir par ses inconscientes injonctions, connaître ce qui est à la base de nos désirs (Spinoza). Mais il y a une différence entre connaître et vouloir. Je peux dire à quelqu’un son chemin. Il le connaîtra. Je ne peux pas lui donner la force de se mettre en route (Bernard de Clairvaux). Cette force-là est individuelle. Elle est l’expression de la volonté.
Là où manque la volonté, il ne peut pas y avoir de consentement à s’ouvrir à plus grand que soi. Là où il y a ce consentement, il y a la volonté et qui dit volonté dit liberté puisque la volonté nous place là où nous pouvons décider de consentir ou de ne pas consentir.
Le libre-arbitre passe donc par le renoncement à ce que nous avons mis en place pour éviter à notre désir d’être frustré et de souffrir (voir à ce sujet la formation à la démarche Saluto).
En renonçant à ces stratégies, on consent du même coup à s’ouvrir à plus grand que soit, donc à s’ouvrir à ce qui n’est pas de notre personne ; à s’ouvrir à l’altérité.
Il n’y a pas de libre-arbitre sans expérience d’une transcendance.
Bien à vous,
Guillaume Lemonde
2 Commentaires
Bonjour Guillaume,
Ce matin, j’ai envie de dire que… la relation que j’ai avec vos réflexions est “étrange”. Pourquoi ? Parce qu’hier, lors de ma méditation de demi-journée, j’ai eu des prémices de “révélations intérieures” que je ne me suis pas senti la force de mettre en mots mais dont j’ai senti la force d’un éclairage qui m’emmenait un peu plus loin dans ma démarche de réunification avec la totalité, avec le Tout, avec l’Être, avec le Soi, avec la non-séparation. Et ce matin, en vous lisant, j’avais la “preuve” (s’il en est) que nous ne sommes pas séparés puisque vous aviez écrit (vous aviez mis des mots, des réflexions) ce que ma contemplation me donnait à voir (sans que je sache trouver les mots pour l’expression de ces révélations).
Oui, certes, « il n’y a pas de libre-arbitre sans expérience d’une transcendance ». Et l’intention de porter mon attention au bon endroit peut me permettre, peu à peu, de goûter à ce désir que la Source éprouve envers moi en tant que sa créature, que la Source éprouve pour toute sa création qui ne forme qu’un vaste Tout… (bon, là ce sont mes mots)
Merci Guillaume.
Mathilde
Bonjour cher Guillaume Lemonde et grand MERCI pour tous ces partages si nourrissants. Jaillit à la lecture de ce nouvel article, impromptu, son lien évident avec le deuxième volet de “la Pierre de Fondation”. “Exerce la Présence de l’Esprit!”. Cette “Pierre de Fondation” (qui demande à l’âme de vibrer) est une clef pour s’acheminer vers une compréhension de vos réflexions quant au fondement de la salutogénéalogie. Oui MERCI ! Au plaisir de vous lire et peut-être un jour de vous rencontrer. Bien à vous, Sylviane Garnier