UN MOMENT DE CRISE
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Relation thérapeutique
- Date 22 février 2024
UN MOMENT DE CRISE
Il est tellement précieux, ce moment où nous ne savons plus comment continuer, ce moment où notre horizon semble bouché, sans possibilité de voir une issue à ce que nous traversons.
Précieux et terrible !
Précieux, nous allons voir pourquoi.
Terrible, évidemment, car ce qui se vit à ce moment-là, c’est « une crise ».
Ce que nous avions mis en place ne fonctionne plus. Là où nous pouvions nous projeter sans problème dans la poursuite indéfinie de nos activités, nous n’y parvenons plus.
S’il est impossible de continuer comme nous avons toujours fait, c’est que le passé (tout ce que nous connaissons et sur quoi nous avons l’habitude de nous appuyer) est remis en question. Nous ne pouvons plus nous appuyer sur le passé. Et si le futur est bouché, c’est parce que le futur n’est jamais que la prolongation de ce que nous connaissons, une prolongation du passé. En effet, lorsque nous prévoyons quelque chose, nous le faisons en nous appuyant sur ce que nous connaissons, donc sur le passé.
Bref, notre conscience est arrêtée dans ses projections, par quelque chose qui remet tout en question. Elle rencontre un mur qui n’était pas prévu et qui donc ne vient pas du passé, mais de l’autre côté. Cela vient de l’avenir. Cela s’approche de nous. Cela advient. L’avenir est le grand-maître des crises.
Mais ce qui s’approche ainsi depuis l’avenir, qu’est-ce donc ?
Laissons la question ouverte et poursuivons en constatant que dans la crise, ne sachant plus comment nous projeter, nous sommes renvoyé à « maintenant ». Plutôt que de glisser tranquillement du passé vers le futur, recommençant inlassablement les mêmes journées sans fin, nous nous retrouvons bloqués au présent.
Au présent, nous n’avons pas l’habitude d’y être ! Nous pensons habituellement y être, mais nous sommes en permanence occupés avec ce qui était et ce qui est à faire ou à prévoir ; en permanence entre le passé et le futur ; en permanence en train de penser au sujet de ce que nous percevons plutôt que de percevoir réellement. Quand je dis « en permanence », je ne force presque pas le trait.
Notre activité psychique est ainsi faite, qu’elle ne connaît pas le présent. Ses compétences sont ailleurs, dans la prise d’informations qu’elle met en lien avec ce qui a été mémorisé (passé), avec des savoirs et savoir-faire (passé). Elle permet de former des hypothèses, d’élaborer des buts et des prises de décisions (futur) et d’évaluer les résultats des actions entreprises.
Or, le plus souvent, cette activité fonctionne en roue libre. Elle agit en nous et nous n’avons aucun effort particulier à faire, tant et si bien que nous croyons être dans la maîtrise et que nous identifions facilement à elle. Nous avons l’impression d’être en train de penser, alors que c’est elle qui pense en nous et que nous sommes en train de suivre le déroulé des pensées qu’elles nous imposent. Les jugements que nous portons sur ce qui arrive, proviennent de l’activité psychique. Nous les faisons nôtre alors que nous ne maîtrisons absolument pas cette activité autonome (et somme toute essentielle à notre existence).
Mais lorsque rien ne va comme prévu, l’activité psychique patine. Lorsque les stratégies emmagasinées par elle sont mises à l’épreuve, c’est la crise ! Le passé, n’étant plus efficient, se dérobe sous nos pieds et le futur s’assombrit en même temps.
Elle essaie de s’accrocher à ce qu’elle connaît et se contorsionne dans une production de pensées toutes plus effrayantes les unes que les autres, puisqu’elle est impuissante à s’ouvrir à ce qui n’est pas connu. La perte de maîtrise prendra pour elle l’allure d’une catastrophe. Le seul futur possible sera sombre, terrible.
Or, des années après, lorsque nous nous retournons sur cette crise désormais passée, il est bien possible que nous ne trouvions plus, à l’évocation de son souvenir, l’intensité vécue alors. Nous pouvons même remarquer que notre vie a pris à cette époque une direction nouvelle au point que nous pouvons nous dire que finalement, cette difficulté rencontrée était nécessaire aux bienfaits que nous avons vécu ensuite.
Tel licenciement tellement difficile à l’époque et aujourd’hui une activité épanouissante.
Telle séparation douloureuse et aujourd’hui une vie heureuse.
Rien d’automatique dans ces considérations. Simplement la possibilité de remarquer, lorsque nous nous retournons sur une crise passée, lorsque nous la regardons depuis ce qui à l’époque était encore à venir, que ce passage était nécessaire. Il était rendu nécessaire par ce qui allait advenir et que nous ne pouvions pas prévoir.
Dans la crise, c’est ce que nous allons devenir qui remet en question la personne que nous sommes, ses préférences, ses valeurs, ses idées, ses opinions, ses possessions, etc.
La crise est l’accouchement de ce que nous sommes appelés à être.
Guillaume Lemonde
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.
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4 Commentaires
Je lis toujours avec intérêt ce que zu ecrit. Merci
Merci ! Très pertinent et clairement présenté.
Bon à rappeler individuellement et collectivement, aujourd’hui plus que jamais.
Chaleureusement,
Merci Guillaume, toujours aussi pertinent. Juste une remarque : il arrive, et c’est bienvenu, que le présent sollicite la mémoire….du passé. Heureusement d’ailleurs, car nous ne ferions que répéter nos erreurs. Il en va des individus comme des sociétés.
Merci Guillaume et toujours aussi pertinent.
Il arrive toutefois – et c’est heureux- que le présent sollicite la mémoire ….du passé.
Sinon, nous ne ferions que répéter les erreurs du passé. Il en va bien sûr autant des personnes que des sociétés.