UNE SOCIÉTÉ SANS LIBRE-ARBITRE
UNE SOCIÉTÉ SANS LIBRE-ARBITRE
À quoi ressemblerait une société dans laquelle les personnes qui y vivraient n’auraient pas de libre-arbitre ? Nous sommes aujourd’hui collectivement tellement certains d’être le produit d’une longue évolution pilotée par un double brin d’ADN contenant tout le programme de notre existence, que nous ne devrions pas pouvoir penser avoir un libre-arbitre. Un produit est forcément soumis à ce qui l’a produit. Il n’est pas libre de ses actes, mais déterminé par ce qui le précède. C’est d’ailleurs ce que nous disent de nombreux neuro-scientifiques. C’est ce qu’affirmait également Claude Bernard en 1865 alors qu’il fondait, à travers un livre qui fit date, la méthodologie des sciences expérimentales. Nous sommes déterminés par toute sorte de choses : la génétique, la biologie, les archétypes, le Ça et le Sur-Moi, le ciel de naissance, le prénom, la langue, la culture, l’éducation… et mille autres facteurs qui produisent ce que nous sommes. Et nous ne serions rien de plus… C’est en tout cas ce que pensent beaucoup.
Alors, soyons conséquents, imaginons un instant que nous ne serions qu’un produit et voyons à quoi ressemblerait notre société.
– Pour commencer, s’il n’y avait pas de libre-arbitre, il n’y aurait pas de responsabilité individuelle.
Les actions que nous poserions ne pourraient pas être considérées comme moralement bonne ou mauvaises, car nous n’aurions pas la capacité de choisir. Nous n’aurions pas à nous mettre en lien avec ce que la situation nécessite. La seule nécessité serait celle de notre désir à satisfaire. Nous aspirerions à développer cette satisfaction et nous verrions dans ce développement le développement de notre personne. Par ailleurs, nous mettrions la science à notre service pour que soit supprimées à terme toutes les contraintes. Nous voudrions ne plus tomber malade, ne plus mourir, changer de corps, de sexe, si cela nous chante. Sans libre-arbitre, nous perdrions le principe de réalité. La réalité devrait se plier à nos désirs.
– Ensuite, dans une société où chacun suivrait la satisfaction de son désir, devrait mettre en place un système de surveillance absolue ;
pour éviter le chaos, il faudrait un contrôle centralisé fort, un contrôle qui dirigerait chaque personne. Il faudrait décider de l’employabilité de chacun. Quand chacun suit son désir, il n’y a pas de cohérence d’ensemble, il ne faut donc pas laisser de choix en ce qui concerne les affaires sociales. On réglementerait également les temps libres, on dirait à chacun quoi consommer, selon des critères raisonnables. La santé et des données personnalisées feraient office de guide pour ces êtres sans libre-arbitre. On leur dirait de consommer 5 fruits et légumes par jour, de ne pas manger trop gras ni trop sucré, mais aussi de trier les déchets, de ne pas prendre l’avion, d’être éco-responsable, pour la santé de la planète. On leur dirait de vacciner les enfants, de faire une mammographie dès 50 ans ainsi qu’une coloscopie et d’aller voir le dermatologue. Cela ne se discuterait pas. On ne discute pas avec des gens qui n’ont pas de libre-arbitre. Les débats contradictoires seraient interdits. La télévision dirait à chacun quoi penser des événements du monde.
Il est important de bien comprendre que le contrôle des masses, tout comme la nécessité ressentie par beaucoup de faire valoir leur désir en dépit du principe de réalité, sont tous deux l’expression d’une société dans laquelle chacun est appelé à exercer son libre-arbitre. C’est l’absence de ce libre-arbitre qui est à la source de ces phénomènes. On ne peut pas tout à la fois regretter le contrôle des populations et prôner le respect du désir de chacun dans leur combat identitaire. Le désir de chacun est une affaire personnelle. Aussi longtemps que nous aurons peur de la frustration de sensibilités blessées, nous ferrons le jeu d’une société où l’IA dictera bientôt les moindres aspects de notre vie.
– Un troisième aspect de cette société sans libre-arbitre est le conformisme.
Là où il n’y a pas de libre-arbitre, les actes sont soumis à ce qui est perçu, ressenti, jugé par les autres. Si on ne peut pas trouver en soi la source des actes que l’on pose, on ne peut pas être original et poser des actes inédits. On se rassemble donc avec des pareils que soi. Des pareils que soi qui ne sont donc pas pareil que d’autres et que l’on ne veut pas rencontrer. On se ferme à l’altérité lorsque l’on n’est pas doué de libre-arbitre. On voit la société se polariser au sujet de chaque valeur. Comme cette polarisation touche tous les domaines, elle est bientôt globale et multiple, si bien que pour finir, on assiste à une guerre de tous contre tous.
Si notre société ressemble à cette caricature esquissée pour vous, c’est peut-être qu’il est temps de se mettre en chemin pour exercer le libre-arbitre. Comme nous venons de le dire, l’exercice du libre-arbitre passe par la présence à l’autre (présence à ce qui n’est pas comme moi). Cela passe par la présence, puisque c’est justement cette non-présence au monde qui fait de nous un objet déterminé par le passé.
Il ne s’agit toutefois pas de se débarrasser du passé (ce qui n’aurait aucun sens puisque le passé est ce qu’il est). Bien au contraire. Du passé nous vient le contexte de notre vie. Le contexte intérieur tout comme le contexte extérieur. Nous lui devons tout ce sur quoi nous pouvons nous appuyer. Il est donc important d’exercer la mémoire des faits du passé et de soigner son lien à l’Histoire (la petite comme la grande). Mais il est également essentiel de ne pas nous confondre avec le contexte de notre vie et à découvrir en lui, ce qui ne vient pas du passé : c’est-à-dire plus grand que soi dans ce que l’autre nous propose, dans ce que la vie nous propose ; rencontrer la vérité des choses toujours à retrouver, la beauté du monde toujours nouvelle à vivre, la justesse des actes toujours inédite, les moments de la vie toujours riche de surprises.
Dans cette attention, on exerce la présence et dans cette présence nous découvrons l’endroit à partir duquel nous pouvons exercer notre libre-arbitre.
Bien à vous,
Guillaume Lemonde
3 Commentaires
Bonjour Guillaume,
Pas vraiment de commentaire à faire… juste te dire que j’ai toujours beaucoup de plaisir à lire tes articles, en appréciant idées et mots choisis ☺️
Merci !
Une analyse fort pertinente : 👏
Et merci 🙏🏼