UN NOËL selon Luc ou Matthieu ?
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Relations transgénérationnelles (Saluto Généalogie)
- Date 27 décembre 2021
Les évangélistes qui relatent la naissance de Jésus sont Matthieu et Luc.
Matthieu plante le décor en rappelant la généalogie du nouveau-né, généalogie royale partant d’Abraham, passant par David, Salomon et tous les rois de Juda (dynastie de David).
Luc, quant à lui, décrit une généalogie ascendante, partant de Jésus et remontant à Adam, père de l’humanité, en passant par Nathan, autre fils du roi David.
Indépendamment du fait que ces généalogies sont différentes, à la lecture de ces évangiles je retiens deux directions temporelles différentes :
– Dans l’évangile de Matthieu, le récit se déroule selon la chronologie.
On passe d’Abraham à David, explorant une filiation donnant leur légitimité à tous leurs descendants. De ce point de vue, Jésus est le « produit » d’une lignée royale. En fêtant Noël selon Matthieu, nous célébrons ce qui dans le passé explique la naissance.
Lorsque nous nous expliquons notre existence en regardant le passé, essayant de comprendre ce qui nous arrive à l’once de ce qui nous a précédé, nous adoptons le point de vue de Matthieu. Ce point de vue est très commun. C’est celui par lequel on explique la vie des gens à partir de ce qui leur a précédé : leur génétique, leur milieu social, leur histoire de familles, etc. Selon ce point de vue, tout le passé semble conspirer à qui nous sommes. Ce point de vue est contextuel. L’être lui-même est regardé de l’extérieur, déterminé par son contexte historique. Bien des biographies sont rédigées en partant du contexte de la famille, comme si le contexte pouvait expliquer ce que la personne est devenue. Il est vrai que le contexte a une influence certaine, mais cette influence est à rapprocher de celle qu’un décor d’un théâtre peut avoir pour un acteur. Si le décor est important, s’il peut influencer le jeu de l’acteur, il ne présage pourtant en rien de ce que ce jeu sera.
– Luc suit une chronologie inverse.
Il part de Jésus et remonte jusqu’à Adam. Le temps s’oriente dans l’autre sens. En suivant cette direction, il semble placer Jésus à l’origine de son ancêtre Adam…
Cette particularité de la généalogie selon Luc a été relevée au IIème siècle par Irénée de Lyon[1]. Irénée enseignait que cette généalogie inversée peut être vue comme la « récapitulation d’Adam ». En effet, Jésus, placé à l’origine, apparait en quelque sorte comme l’ancêtre d’Adam et ainsi de tous les hommes. Bien-sûr, ceci est incompréhensible si on s’en tient à une conscience chronologique habituelle. Il est nécessaire, pour comprendre ce que veut dire Irénée, de se concevoir non pas comme un produit du passé mais comme à l’origine de soi-même, c’est-à-dire non pas comme dépendant de ce qui nous a précédé mais acteur de notre vie.
À ce moment-là, plutôt que de regarder comment le passé nous a impactés, il devient possible de percevoir que ce que nous sommes aujourd’hui nécessitait que nous traversions ces épreuves. Autrement dit, aujourd’hui rend nécessaire que nous ayons eu un passé tel qu’il était. Il n’aurait pas pu être autrement. Aujourd’hui est à l’origine du passé.
Ainsi, selon Matthieu notre contexte de naissance impacte notre vie.
Selon Luc, il est le décor nécessaire à travers lequel nous apprenons toute notre vie à donner le meilleur de nous-même.
Lorsque par exemple nous pensons à nos aïeux, nous pouvons les voir selon Matthieu, comme à l’origine de ce que nous vivons. C’est dans nos histoires de famille que nous chercherons alors une explication à nos épreuves. Ils seront tenus responsables de nos misères.
Mais lorsque nous pensons à nos aïeux selon Luc, le point de vue d’inverse : on réalise que les talents que nous avons découverts dans notre vie rendaient nécessaire que nous rencontrions un certain contexte familial.
Ce parfait retournement considère les êtres humains d’après les talents qu’ils découvrent au fil de leur vie ; les talents qui étaient pour eux à venir et qui sont devenus présents. Ce point de vue considère ce qui est sain en nous et qui veut se révéler. D’ailleurs, Luc était médecin[2]. Son point de vue est celui de la santé qui se manifeste à travers les épreuves. Ce ne sont pas les épreuves qui font de nous des personnes en santé, mais la santé qui s’exerce à travers les épreuves.
Tandis que selon le point de vue de Matthieu on voudrait supprimer les épreuves, tout faire pour s’en protéger, selon celui de Luc, on vit avec les épreuves qui se présentent. Elles s’offrent pour que nous les traversions.
Je vous souhaite un joyeux Noël :
Le passé que nous rencontrons en nous retournant sur notre vie et en pensant à nos familles a peut-être laissé des traces, mais il est aussi celui qui nous permet aujourd’hui de révéler le meilleur de nous-même. En découvrant que nous sommes à la cause de nous-même, nous devenons responsables de ce que nous ferons des empreintes que le passé a laissé dans nos vies et c’est alors que nous pouvons éprouver de la gratitude.
Joyeux Noël !
Guillaume Lemonde
[1] Né à Smyrne en Asie Mineure vers 120 ou 130, deuxième évêque de Lyon, au IIème siècle entre 120 et 202, l’un des Pères de l’Église.
[2] Luc était un ami proche de Paul, qui faisait référence à lui en tant que « le médecin bien-aimé » (Colossiens 4.14).
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