LE BUG HUMAIN. Comment reprendre la main !
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Exercices pratiques, Le Je, Présence et attention, Psychologie (Saluto Psychologie)
- Date 14 août 2020
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Sujet : Un aspect de « l’Homme-machine » dont il était question dans un article précédent, est bien connu des neurosciences. Il s’appelle STRIATUM.[1]
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Si l’on devait chercher un responsable à la fuite en avant de nos technologies et de ses innovations détruisant la planète, mais aussi de nos économies, recherchant une croissance infinie, c’est le striatum qu’il faudrait évoquer. Si l’on devait chercher un responsable à nos appétits, nos désirs, nos aspirations insatiables, c’est encore le striatum qu’il faudrait évoquer.
Le striatum est une structure nerveuse située sous le cortex (donc agissant en-dessous de la conscience). Beaucoup plus ancien que le cortex, il est moteur de l’action de nombreuses espèces animales, du poisson jusqu’aux mammifères en passant par les oiseaux, les reptiles et les marsupiaux. Depuis des millions d’années, il contrôle le système de récompense du cerveau en délivrant de la dopamine[2] lorsqu’une activité lui convient. La dopamine procure un sentiment de plaisir et renforce les circuits neuronaux qui ont supervisé cette activité avec succès.
DANS LE « BUG HUMAIN »[3] (que je vous invite à lire),
Sébastien Bohler, docteur en neurosciences, rédacteur en chef de la revue Cerveau et Psycho, montre comment nous sommes pilotés par ce fameux striatum qui récompense, en dessous du seuil de la conscience, les activités qui assurent la survie biologique. Ces activités sont :
- Acquérir des informations
- Se nourrir
- Se reproduire
- Avoir du pouvoir et un statut social
1- Acquérir des informations
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Dans un monde hostile comme la savane d’il y a bien longtemps, percevoir à temps un élément insolite, pouvait sauver la vie. L’empreinte d’un gibier dans un sol meuble, une branche cassée, un feulement que l’on entend dans son dos… Se nourrir et se défendre, découvrir de quoi se vêtir et s’abriter, etc. dépendait de cette activité qui pouvait mettre en lien une perception avec quelque chose de connu. Faire des liens essentiels, mettre de l’ordre dans le monde des perceptions et extraire l’information importante, est encore aujourd’hui récompensé d’une bouffée de dopamine par le striatum. Bref, cela fait plaisir d’identifier ce que l’on perçoit.
Aujourd’hui, comme hier, nous sommes à l’affut de la moindre information. Nous surveillons les notifications de nos téléphones, les fils d’info que nous ne pouvons plus éteindre. Ils nous apportent nos bouffées pluriquotidiennes de dopamine et font fonctionner l’industrie du numérique.
2- Se nourrir
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Dans un monde où le lendemain était incertain, il valait mieux manger tout de suite tout ce qui était à disposition (et se goinfrer, comme les moineaux que j’observais récemment dans une barquette de riz thaï, abandonnée sur un trottoir) en prévision de la famine, plutôt que d’épargner la nourriture qui aurait pu se perdre.
Aujourd’hui, comme hier, nous mangeons plus qu’il ne faut, dès que nous en avons la possibilité. On dénombre sur Terre 13% d’obèses, entretenus au prix d’une agriculture intensive qui détruit les écosystèmes. On meurt plus d’obésité que de faim sur la Terre. Un biscuit, une barre chocolatée, un excellent jambon, un verre d’une boisson que l’on apprécie et le striatum envoie sa bouffée de dopamine.
3- Se reproduire
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Les relations sont également pilotées par le striatum qui les récompense d’une bouffée de dopamine, lorsqu’elles sont agréables, comme un bon Hug ou a fortiori, une relation sexuelle.
Ce plaisir dopaminergique est tel qu’aujourd’hui les sites de rencontres et les sites pornographiques représentent 35% du contenu internet.
La relation des mères à leur petits sont également récompensées de dopamine (c’est pourquoi les vidéos de petits chats montrant leur visage sympathique aux traits proches des petits humains – petit menton, petit nez, grands front – arrivent juste derrière les vidéos porno sur internet).
4- Avoir du pouvoir et un statut social
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Être le plus fort, le plus apprécié, le plus aimé, le plus riche, le plus grand, être mieux que le voisin, était il y a bien longtemps dans la savane, une assurance sur la vie. Le chef a plus d’informations utiles, plus à manger, plus de relations. Le striatum pilote la recherche de statut en procurant du plaisir à qui obtient une ascension sociale.
Aujourd’hui comme hier, un plaisir certain est obtenu à avoir une bonne position sociale et à renvoyer une bonne image. L’auto-suréquipée, vantée par la publicité, joue sur cette corde-là. Les marques vestimentaires, la chirurgie esthétiques, mais aussi Facebook et la possibilité de collectionner des pouces bleus, tout comme gagner à une partie de cartes.
LE PROBLÈME EST QUE LE STRIATUM NE CONNAIT PAS DE LIMITES
Seul un résultat supérieur aux attentes donne une récompense. Ainsi par exemple, quand nous anticipons un bon repas dans un restaurant, notre striatum libère de la dopamine. Lorsque nous dégustons le repas, si le résultat est inférieur à nos attentes, la libération de dopamine est réduite. Cela engendre un déplaisir. Si le résultat est identique à nos attentes, le striatum n’émet aucune décharge de dopamine supplémentaire et le repas ne procure aucun surplus de plaisir. Enfin, si le repas est supérieur à nos attentes, le striatum émet davantage de dopamine, renforce les circuits neuronaux qui amènent à choisir ce restaurant et considère le plaisir atteint comme la nouvelle norme pour les expériences futures. Ce système nous pousse donc à en vouloir toujours plus, afin de recevoir plus de dopamine à l’anticipation et à la réalisation.
Toujours plus ou la même chose avec toujours moins d’effort (ce qui revient au même).
Toujours plus d’infos faciles, toujours plus à manger, toujours plus de sexe, toujours plus de statut social – toujours plus d’argent grâce aux crédits, toujours plus haut dans la hiérarchie, toujours plus de followers sur Facebook, Instagram…
La machine à vapeur, le TGV, le tout-confort domestique, le numérique, les plats commandés à distance, l’eau courante, les assistants vocaux, les sites de rencontre, sont réclamés par notre striatum qui veut toujours plus avec toujours moins d’efforts, et pousse notre économie dans une croissance que l’on voudrait infinie.
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LE « TOUJOURS PLUS » EST ÉGALEMENT UN « TOUJOURS PLUS VITE »
La nature même du striatum est de récompenser les effets les plus proches. Il est impatient et nous enchaine aux effets obtenus le plus vite possible.
« Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras », dit le striatum.
Si l’on suit sa logique, on se projette sans cesse dans les effets des actes que l’on pose.
Le striatum ne connait pas le présent. En se projetant dans l’effet le plus imminent, il nous projette sans cesse vers après.
Ainsi, il nous conduit à ne pas nous satisfaire de maintenant et nous mène par le bout du nez… la plupart du temps.
ET POURTANT, NOUS AVONS BESOIN DU STRIATUM
Les personnes qui ont une lésion de cette zone cérébrale, n’éprouvent plus de désirs. Elles restent inertes, sans initiative et finissent par mourir. Sans le striatum, le désir ne peut pas s’exercer, la volonté ne peut pas s’exercer.
ALORS, COMMENT SORTIR DE LA DICTATURE DU STRIATUM ?
Lutter avec la raison (le neurologue dirait « avec le cortex », instance beaucoup plus jeune) contre le striatum et ses exigences de toujours plus d’informations, de nourriture, de sexe et de statut social, est voué à l’échec.
Il sera toujours plus insistant que toute la raison que nous pourrons déployer.
Par exemple, un régime alimentaire que l’on suit raisonnablement, tiendra un temps et lâchera à un moment ou à un autre, conduisant à une prise de poids supplémentaire. C’est le fameux effet yoyo.
De même, interdisez aux prêtres catholiques d’avoir des relations sexuelles, et le besoin de gratification dopaminergique risque de se manifester sur un autre mode (pouvoir social, nourriture, collecte d’informations allant jusqu’à l’exégèse…) ou sur le même mode sexuel d’une façon parfois détournée et terrible.
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Comme dit l’adage : CHASSEZ LE NATUREL ET IL REVIENT AU GALOP !
Nous avons corporellement besoin de ce qui stimule la dopamine. Autrement dit, nous avons besoin du plaisir pour entrer en lien avec le monde. Par le plaisir, le monde s’offre à nous.
Comme le dit Sébastien Bohler, vouloir réduire au silence les impératifs du striatum est probablement aussi vain que dangereux.
Cependant, continuer à promouvoir un système économique qui se met à son service le plus absolu – comme nous le faisons depuis plus d’un siècle – est la pire des choses à faire.
LA SEULE FAÇON DE NE PAS RESTER SOUS LE DICTAT DU STRIATUM, C’EST DE DÉCOUVRIR LE SEUL ENDROIT SUR LEQUEL IL N’AIT PAS DE PRISE : LE MOMENT PRÉSENT.
Le plaisir d’être en lien avec le monde, au présent. Ce plaisir qui ne répond à aucune antériorité, à aucune condition préliminaire, puisqu’il se vit au présent. C’est un plaisir qui devient joie…
Le plaisir vécu au présent, est joie.
Une façon de s’y prendre passe par une attention portée aux pensées qui nous traversent et qui nous prennent avec elles. Car ces pensées sont des projections vers un après ou un avant. Elles sont, neurologiquement parlant, pilotées par le striatum.
Percevoir ces pensées, sans lutter contre elles et les laisser passer. Il est très important de ne pas s’interdire d’avoir certaines pensées qui viennent (cela équivaudrait à vouloir contraindre le striatum avec le cortex et cela serait voué à l’échec ou nous rendrait malades…) Il est en revanche important de remarquer le moment toujours renouvelé où l’on peut décider de ne pas suivre la pensée qui s’impose.
Restez une minute en silence, en observant que des pensées s’imposent et laissez-les passer. Parfois ça va, parfois pas. On continue, tout simplement.
Vous remarquez, avec un peu d’exercice, que les pensées sont de plus en plus périphériques et que les sens s’ouvrent à ce qui est ici. On devient, ce faisant, plus attentif à maintenant. On entend tout d’un coup des choses que l’on n’entendait pas, on voit des choses auxquelles on ne prêtait pas attention.
En s’ouvrant au présent, on s’ouvre à la qualité du moment plutôt qu’à une quantité de stimulations.
Renoncer à suivre les pensées qui s’imposent, c’est par exemple, renoncer à chercher la réponse à une question.
Il s’agit d’être très attentif à garder la question en conscience et de la tenir, tout en ne s’accrochant pas aux réponses que l’on voudrait trouver pour se satisfaire. La réponse finira par s’imposer d’elle-même.
Cela m’évoque d’ailleurs une phrase de R.M. Rilke : voir ici
En renonçant à suivre les pensées qui s’imposent, en ne leur offrant aucune aspérité sur lesquelles elles pourraient s’accrocher, on devient disponible pour ce qui est ici. Les sens s’ouvrent. Et comme le dit Sébastien Bohler, on peut prendre le temps de manger un minuscule grain de raisin en le regardant d’abord, le humant, le palpant, le mastiquant lentement plutôt qu’en en gobant des dizaines en regardant la télévision.
Les circuits de dopamine s’activent alors tout autant voire plus, avec beaucoup moins de quantité. L’idée n’est pas de se restreindre, de se brider en se culpabilisant comme nous l’a enseigné notre religion judéo-chrétienne (action vaine du cortex sur le striatum) mais bien d’élargir son attention, en étant présent.
En conclusion,
Si l’on devait chercher un responsable à la fuite en avant de nos technologies et de ses innovations détruisant la planète, c’est le striatum qu’il faudrait évoquer. Mais en face de cette cause agissant depuis le passé de l’évolution humaine, il y a une cause à venir. En effet, c’est par ce que nous sommes appelés à nous éveiller à la qualité du monde plutôt qu’à la quantité, que nous sommes soumis aux exigences impérieuses de notre organisme. Cet éveil se prépare. Il est, pour l’humanité, encore à venir. Il laisse donc libre cours au striatum et à la surenchère de ses exigences toujours plus folles. Autrement dit, la destruction de la planète est l’ombre portée de cet éveil à venir.
J’espère que ces lignes vous donneront matière à réflexion. Je ne peux que recommander la lecture du livre de Sébastien Bohler, LE « BUG HUMAIN »[4].
De plus, si cet article vous a intéressé, sachez que la formation Saluto offre d’approcher ce qui a été exposé ici d’une manière neurologique, d’une façon plus large et en proposant des exercices adaptés.
Bien à vous
Guillaume Lemonde
[1] Le striatum est une structure nerveuse située le cortex. Il est impliqué dans le mouvement volontaire, la motivation alimentaire ou sexuelle, la gestion de la douleur (via le système dopaminergique) et la cicatrisation voire la régénérescence de certains tissus cérébraux.
[2] La dopamine est une substance chimique produite par le cerveau qui participe à notre bienêtre naturellement. En effet, la libération de cette molécule est perçue comme une sorte de récompense. Votre niveau de dopamine augmente en réponse à une activité agréable. C’est le cas, par exemple, après avoir mangé ou après un rapport sexuel
[3] Sébastien Bohler, Le bug Humain, Ed. Robert Laffont, Février 2019
[4] Sébastien Bohler, Le bug Humain, Ed. Robert Laffont, Février 2019
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2 Commentaires
eine neue Wortschöpfung die zu unserer Zeitlage passt:
“Präsenzkultur”
wir haben jetzt erneut die Chance diese Kultur zu entwickeln und zu pflegen!
PRÄSENZKULTUR meine ich