L’ERREUR EST HUMAINE ! ET C’EST TANT MIEUX !
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Présence et attention, Psychologie (Saluto Psychologie)
- Date 1 avril 2022

À notre époque hautement technologique, la pensée artificielle permet d’incroyables prouesses. Elle résoud des équations compliquées et propose des résultats fiables. Pas d’erreurs possibles ! L’erreur est humaine : elle n’est pas le fait des ordinateurs. Si les ordinateurs se trompent, c’est que les humains qui les programment se sont trompés. Mais si les algorithmes sont corrects et les données qu’ils moulinent, suffisamment nombreuses, on frise la perfection.
C’est pourquoi, comme l’erreur est humaine, on remplace partout où c’est possible, l’intervention humaine par des machines. Par exemple, on met au point des logiciels médicaux aux diagnostics imparables. On invente des avocats numériques. L’erreur est humaine, mais ces avocats-là trouvent immédiatement l’article de loi qui sauvera la situation. Ils connaissent tous les codes et la jurisprudence… Beaucoup de professions sont concernées par ces innovations. Les processeurs pallient à nos limitations. Ils sont rapides et irréprochables.
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Mais si l’erreur est humaine, que devient l’humain quand il refuse le risque de se tromper ?
Je vais vous raconter une histoire. Quand j’étais lycéen, un professeur nous avait demandé de résoudre un problème. Il était question d’un couple de souris qui donnait naissance à des souriceaux. Connaissant le temps de gestation des souris et leur âge de maturité sexuelle, il fallait calculer le nombre de souris obtenu après un an. J’avais trouvé la somme faramineuse de 171’875 souris. En comptant que les souris pèsent en moyenne 35 grammes, cela équivalait à environ 6 tonnes de rongeurs. Et j’avais un drôle de sentiment. Est-ce que je m’étais trompé ?
J’avais le sentiment que mon résultat était faux alors qu’il était exact. L’erreur est humaine, mais ma calculatrice était formelle : 171’875 souris ! En fait je ressentais que mon résultat ne correspondait à rien de réel. Jamais 171’875 souris pourraient peupler mon vivarium après un an.
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Le sentiment du vrai
Le sentiment du vrai émerge lorsqu’une vérité prend pieds dans le réel, lorsqu’elle est dans un juste lien avec des processus réels. Les machines n’ont que des processeurs. Du coup, elles n’ont que les résultats. Leur intelligence tient dans une connaissance amassée. Elles suivent leurs bases de données. Elles semblent très intelligentes, mais restent stupides. Elles en savent beaucoup plus que le commun des mortels peut-être, mais beaucoup moins bien : elles ne connaissent pas le chemin qui mène aux connaissances qu’elles détiennent. Elles ne connaissent pas, entre la question et la réponse, cet intervalle où l’on est encore dans l’ignorance. Ce moment où l’on balance entre deux possibilités et le moment du choix qui ne peut pas surgir de probabilités mais d’une présence entre deux mouvements contraires.
Vous voyez, cette balance intérieure entre deux pensées opposées, elles ne la connaissent pas plus que le risque de se tromper.
Avec les machines, la connaissance a été remplacée par de l’information et le choix n’est que statistique. Il ne naît pas de ce que la situation présente demande, mais d’un programme préétabli et analysant différentes variables.
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Le risque de se tromper
Le risque de se tromper, c’est un peu comme le risque de tomber, lorsque l’on apprend à marcher. La pesanteur peut être vaincue lorsqu’on on découvre en soi, la stabilité qui lui répond. Supprimez la pesanteur et plus personne n’aurait à faire cet apprentissage. Supprimez le risque d’erreur et plus personne n’a à se tenir debout au milieu des paradoxes. Du coup, il n’y a plus de démarche intérieure, il n’y a plus de chemin de penser. Et comme il n’y a plus de chemin, il n’y a plus d’avant et d’après. Il n’y a plus de porte à ouvrir sur quelque chose de neuf. Il n’y a plus d’imprévu, ni de fantaisie ou de rêve. Et finalement il n’y a plus d’invention.
Une personne qui n’a jamais commis d’erreurs, n’a jamais tenté d’innover, disait, je crois, Einstein.
Alors cachez à vos enfants les correcteurs automatiques. Laissez-les se tromper. Ils ont besoin d’encouragements, pas de petites roulettes à leur vélo, ni de calculatrice à leurs exercices. Laissez-les apprendre sans artifices. Laissez leur faire l’expérience du réel.
L’erreur est humaine et c’est tant mieux ! C’est parce que nous pouvons supporter la possibilité de nous tromper et que nous balançons intérieurement entre deux réponses possibles, que sommes capables de nous tenir au cœur de la réalité. Par le risque d’erreur, on découvre en soi la stabilité intérieure.
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L’enjeu de notre humanité est d’abord de penser le réel
L’enjeu de notre humanité est d’abord de penser le réel. Et le réel est profond. Il est comme la maison que j’habite. D’un côté par la fenêtre je contemple les chênes et les hêtres à la lisière de la forêt. L’horizon, tout proche, borde mon verger. Parfois un cerf descend jusque chez moi. Parfois c’est un renard.
De l’autre côté, par l’autre fenêtre, mon regard se perd sur une prairie d’herbes folles, qui s’allonge sous le ciel, tandis que l’horizon s’étire au loin.
Ainsi, de ma maison je vois l’horizon tout proche et l’horizon très loin… Les deux propositions sont vraies. Je n’ai pas à choisir. Je dois simplement apprendre à me tenir entre les deux, dans ma maison. Lorsque je me saisis des capacités que m’offre mon humanité, je me tiens forcement dans de tels intervalles paradoxaux. Si je les refuse, je demeure à la surface du réel, dans le binaire, dans le dualisme. Et je vois des paradoxes là où il n’y en a pas.
Si je vous demande par exemple ce qu’est le contraire du doute. Peut-être me répondrez vous avec Descartes, que l’inverse du doute, c’est la certitude. Et d’une certaine manière ce serait exact. Mais cette pensée serait-elle conforme à la réalité ? Puis-je voir de ma maison, d’un côté le doute et de l’autre la certitude ? Que feriez-vous de la croyance aveugle ? De quel côté la placeriez-vous ?
Descartes ne voulait pas de croyance aveugle et pourtant elle se situe également à l’exact opposée du doute. Doit-on conclure que la certitude se tient du même côté que la croyance aveugle ? C’est ce qu’Aristote appelait un syllogisme. Deux propositions vraies et une conclusion erronée. De nouveau un paradoxe…
- La puissance du raisonnement des machines, se base sur des codes faits de 0 et de 1. Elles sont à l’image de notre vie intérieure qui oscille au grès des sympathies et des antipathies. Tout comme nos coups de cœur et nos coups de gueule peuvent nous tenir lieu de raisonnement, nos machines pensantes sont restées binaires.
Lorsque l’on accepte de se tenir au milieu des paradoxes, lorsque l’on accepte de supporter la tension qu’ils engendrent, on découvre des choses incroyables. Le syllogisme, le paradoxe, vient que l’on avait perdu le lien avec le réel. Dans la réalité par exemple, le doute n’est pas l’inverse de la certitude. Il ne l’a jamais été. Le doute s’oppose à la croyance aveugle. Ce dont on peut être certain, sans en douter ni y croire aveuglement, se tient entre les deux. Cette certitude-là, cette évidence qui ne nous aveugle pas, est une qualité humaine au cœur de la maison.
De même, la lâcheté n’a jamais été l’inverse du courage, mais de la témérité. Le courage se tient entre les deux, au cœur de la maison.
L’amour n’est pas l’inverse de la haine. Il se tient entre la haine et la sympathie aveugle qui nous fait fusionner à n’importe quoi.
Il faudrait jeter les dictionnaires d’antonymes et s’exercer à une pensée tripartite. Une pensée en lien avec le réel. Une pensée humanisée. Là est l’exercice de notre humanité. Cela paraît simpliste en regard de la puissance des machines qui nous entourent. Et pourtant cet effort est essentiel.
Alors oui, l’erreur est humaine. Car le moment avant l’erreur est un moment spécifiquement humain : c’est un moment où l’on balance entre deux possibilités. Et ce balancement nous offre la possibilité de découvrir un équilibre intérieur dans le réel, et c’est tant mieux !
Guillaume Lemonde
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