IN MEDIO STAT VIRTUS
IN MEDIO STAT VIRTUS
In medio stat virtus. Ce qui pourrait se traduire par : au milieu se tient la vertu.
Mais de quel milieu est-il question ici ?
Et que signifie « vertu » ?
Le nom latin virtus est dérivé de vir, viril et désigne la force virile, martiale : celle du citoyen romain se préparant à la guerre.
Par extension, ce mot désigne la discipline opposée à l’impulsivité au combat, considérée essentiellement comme barbare.
Donc, au milieu se tient la discipline, l’exercice prêt à rencontrer les aléas, les coups du sort (par exemple, pour les Romains, la guerre).
Il s’agit de rencontrer les aléas en s’exerçant à se tenir au milieu…
Mais au milieu de quel intervalle ? Quels états extrêmes forment cet intervalle ?
Il est intéressant de constater que notre vie toute entière nous fait passer en alternance d’un extrême à l’autre.
Par exemple, c’est le jour, puis la nuit, puis le jour, etc…
De même, l’impulsivité au combat, considérée comme barbare par les Romains, se tient dans un extrême opposé à un autre extrême qui serait peut-être une apathie profonde.
Tout alterne. Par exemple, à certains moments, nous sommes ouverts aux autres, en sympathie, allant jusqu’à nous perdre en l’autre… À d’autres moments, nous nous refermons, allant jusqu’à perdre le contact avec l’autre. Et cela alterne encore et toujours entre ces deux états extrêmes. Plus ou moins intense, cette oscillation n’en reste pas moins une réalité de notre condition.
À certains moments, nous nous sentons puissants, forts, capables… À d’autres, impuissants, faibles, incapables. Et cela alterne, là aussi. Parfois rapidement, parfois lentement, selon les circonstances.
Bref, lorsque nous nous plaçons aux extrêmes, nous dépendons des circonstances. Livrés aux circonstances qui nous font nous sentir fort ou faible, ou qui nous font sentir bien lorsque les sentiments sont orientés en notre faveur.
Ces oscillations nous conduisent à repousser les moments que nous n’aimons pas et à garder ceux qui nous vont. Placées aux extrêmes, nous ne sommes donc pas en lien avec ce qui est, mais dépendant de ce qui est pour nous sentir bien…
À présent, imaginons qu’au lieu de subir les aléas de la vie, nous prenions le temps de vivre pleinement et en même temps tous les extrêmes qu’elle propose.
- Par exemple, imaginons que nous prenions le temps de vivre un instant un état extrême, par exemple : « Je me sens capable dans ce que je fais. » Comment est-ce de vivre : « Je me sens capable dans ce que je fais » ? On aimerait probablement rester dans cet état-là et on sera bien mal lorsqu’un jour les circonstances feront que l’on ne se sent pas capable.
- Prenons ensuite le temps de vivre l’autre extrême : « Je me sens incapable dans ce que je fais. » Comment est-ce ?
- Puis, ayant vécu ces deux extrêmes, laissons les deux expériences résonner en nous : souvenons-nous des deux expériences opposées en même temps, sans les mettre en balance, sans en préférer aucune des deux. Cette troisième étape demande une attention particulière. Elle demande un exercice, car cette attention n’a rien de naturel.
À ce moment-là, plutôt que d’osciller entre un moment et un autre, alternant entre un moment passé et un moment futur (un extrême est toujours au passé ou au futur de l’autre, puisqu’ils s’alternent sans cesse…), on se tient au milieu.
Au milieu de deux extrêmes se trouve le présent. Entre le passé et le futur, le présent s’ouvre à nous. Plutôt que de subir les aléas, on est présent à ce qui se passe, disponible à être avec ce qui se passe, plutôt que de repousser ce qui ne nous convient pas. On peut donc se déterminer, répondre de ce qui se passe et avancer pas à pas.
Ainsi, la vertu, l’exercice, la discipline, se tiennent au milieu. Il s’agit de rester dans un entre-deux, découvrant ce faisant la présence au monde.
Cette présence qui rencontre le monde tel qu’il est et non tel que l’on voudrait qu’il soit, offre de se saisir du monde. Le monde change du fait de la présence qui le rencontre. Les aléas n’en sont plus, les épreuves sont traversées, les circonstances se retournent.
Les vertus de notre présence (stabilité au milieu des sentiments, profondeur devant les perceptions, courage du pas-à-pas devant l’obstacle, confiance au milieu les aléas de la vie) sont telles que les circonstances qui nous poussaient dans une certaine direction, sont rencontrés et que se vivent des retournements de situations inespérés.
Il est possible, de ce fait, de qualifier ces vertus de cardinales.
L’adjectif cardinal vient du latin cardus, le pivot. La situation pivote sur l’axe de la présence.
Guillaume Lemonde