LE CHEMIN DU PARDON – deuxième partie
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Relation thérapeutique
- Date 12 janvier 2024
Cet article fait suite à l’article : Le chemin du pardon, publié en avril 2023.
Lorsqu’une offense nous est faite, lorsque quelqu’un nous cause un préjudice, que faisons-nous le plus naturellement du monde ? Nous fuyons ! Nous ne restons pas avec ce qui s’est passé, mais nous occupons des causes et des conséquences. Nous réfléchissons aux raisons de ce qui s’est passé et à ce qui permettrait de retrouver un équilibre dans les forces en présence.
Cela peut surprendre d’affirmer que nous fuyons. Certains ne vont-ils pas prendre la situation à bras-le-corps, saisir la justice, la police ?
Ce que je veux dire, c’est que ce qui est arrivé est tellement insupportable que nous ne voulons pas que cela reste inchangé. Nous fuyons la perspective que ce qui est arrivé soit tout simplement la nouvelle réalité. Nous fuyons cette réalité au profit de celle que nous voulons mettre à sa place : une réalité encore irréelle dans laquelle nous n’aurions plus à souffrir du vide. Une réalité où nous bénéficierions d’une réparation, ou pour le moins, d’une compensation.
Nous sommes dans un déséquilibre qui vient de ce que notre désir a été lésé et que ce qui nous a été pris laisse un vide. Alors, le plus naturellement du monde, nous voulons que ce vide soit comblé.
Bien sûr, pour remplir ce vide, il nous faut une matière bien dense, bien compacte. Or, cette matière, c’est notre pensée. La pensée est autrement plus dense et stable que nos désirs et c’est elle qui va être appelée en renfort pour combler ce vide insoutenable. Ainsi, quand une offense nous est faite, nous fuyons par la pensée. Certains imaginent comment la personne qui a fait du mal pourrait être amenée à souffrir. Ces pensées sont effectivement aptes à combler un peu le vide. D’autres comptent faire payer cette personne. Ce n’est pas tant l’argent ou les pertes qu’il serait possible de lui infliger, qui comblent le vide. Ce qui comble le vide, c’est la pensée que cela aura un effet pénible pour celui qui nous a fait du mal.
Ce mécanisme est naturel, au sens où notre nature s’exprime à travers lui sans que nous n’ayons rien à faire. Il se donne à nous sans effort, conduit à la vengeance, qui n’est rien de plus que l’expression d’un besoin de compensation. Il est très simple de se laisser aller et de suivre l’appel d’air provoqué par le vide que nous portons. Un appel d’air qui invite à combler le vide.
Et cet appel d’air, en privant l’autre ou ses proches de quelque chose, déplace le vide qui cherchera lui aussi une compensation dans cette vie ou la prochaine. C’est ainsi que le vent de la colère souffle sans fin, chacun projetant son vide sur l’autre.
Sauf si… nous pouvons ne pas fuir le présent et rester avec ce qui s’est passé, sans nous occuper de ce qui permettrait de retrouver un équilibre dans les forces en présence.
Cela n’a rien de naturel. Comment supporter le vide ? Notre nature en a horreur !
Cela demande de rester avec le vide sans attente qu’il soit compensé. Cela demande donc de devenir attentif à rester au présent de ce qui a été fait, en lien avec ce qui a été fait, sans suivre les pensées de vengeance ou de compensation qui viennent naturellement. Cela demande de ne pas fuir dans un espoir de réparation, mais de rester avec ce qui est.
Mais alors, en restant ainsi avec ce qui est, complètement en lien avec ce qui est, nous découvrons que nous sommes responsable de ce qui est. Autrement dit, nous découvrons que nous pouvons décider que ce qui est arrivé peut suivre son cours naturel d’appel d’air infini, ou bien que nous pouvons tarir la tempête, calmer le vent.
C’est un choix intime. Un choix qui n’apporte aucune satisfaction, aucune compensation, mais qui interrompt une escalade.
La personne qui a été offensante devient alors pour nous, l’occasion de découvrir que nous avons le choix, le choix de ne pas attendre de compensation. Le choix d’être attentif à ne pas suivre les pensées qui nous occupent.
Comme nous sommes alors en lien avec ce qui est, sans fuir, nous sommes en lien avec cette personne qui nous a offensée. Nous la rencontrons, intérieurement en tout cas, comme un humain qui, comme nous, est en train de faire une expérience humaine. Et en pensant à elle, une question s’impose à nous : quel est ton tourment ? Comment en es-tu venu à faire ce que tu as fait ?
Cependant, dans cette question, si vraiment nous la vivons honnêtement suite à une attention pleine et entière, un piège se présente bien vite : celui de ressentir pour cet humain, humain comme nous le sommes, de la peine en pensant aux conséquences qu’il devra endurer de cet acte : aura-t-il des remords, des cas de conscience ? La vie se chargera-t-elle de lui rendre la monaie de sa pièce ?
C’est un piège, car dans ces pensées, se cache de nouveau une vengeance cachée : la pensée que l’autre va quand même souffrir de ce qu’il nous a fait.
Or, si nous sommes au présent de ce qui est, il y a tout à la fois une conscience aigüe de ce qui a été fait et un pardon absolu : la dette que l’autre avait contractée envers nous, lui est totalement remise. Il n’y a plus de dette. Il n’y aura pas de conséquence. Peut-être aura-t-il des conséquences d’autres actes que cette personne a fait par ailleurs à d’autres, mais pas de ceux qu’elle nous a fait.
À travers l’attention que nous offrons à cette situation, nous avons rendu possible que quelque chose vienne agir pour interrompre la chaîne sans fin de compensation. Cette chose qui s’installe dans le vide intérieur que nous parvenons à tenir résolument et qui n’attend aucun bénéfice, c’est l’amour. L’amour n’est pas un sentiment. C’est un processus, maître du vide : il interrompt les dettes, il interrompt les manques, résout le passé.
Voilà ce que je voulais ajouter à l’article d’avril 2023, intitulé LE CHEMIN DU PARDON.
Guillaume Lemonde
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.