LIBERTÉ ET DÉTERMINISME sont-ils en opposition ?
LIBERTÉ ET DÉTERMINISME
1- LIBERTÉ ET DÉTERMINISME sont-ils en opposition ?
Pierre-Simon de Laplace, mathématicien, astronome, physicien et homme politique français (1749-1827) écrivait : « Nous devons (…) envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre. Une intelligence qui pour un instant donné connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs, elle était assez vaste pour soumettre ses données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de l’univers et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir comme le passé serait présent à ses yeux. »
Ainsi, selon Pierre-Simon de Laplace, tout est déterminé et donc prévisible, achevé d’avance, puisque la fin est connue depuis le début.
C’est cette pensée qui a rendu possible la science expérimentale mettant en évidence les rapports qu’entretiennent les causes avec leurs effets dans le monde physique. Ces connaissances nous donnent un pouvoir certain dans l’Univers, celui d’agir dans les enchaînements de causes à effets. Cela nous donne le pouvoir de nous affranchir de contraintes.
Chaque problème, chaque crise, chaque épreuve étant causée par quelque chose qui les a déterminés, nous essayons de supprimer certaines causes pour nous épargner leurs effets. Par exemple, si un virus détermine une maladie, un vaccin doit pouvoir nous affranchir de la vivre.
Cependant, que se passe-t-il lorsque nous comprenons la liberté comme la lutte victorieuse contre le déterminisme ? Deux possibilités :
– Nous voyons la liberté gagner et cela se fait en refusant ce que l’Univers nous propose.
C’est donc refuser la nature telle qu’elle est et la dominer jusqu’à finalement la faire disparaître ; c’est refuser notre condition humaine et la faire disparaître elle aussi au profit d’une robotique ; c’est refuser tout le contexte de notre existence, jusqu’à refuser la mort, comme certains, ou du moins la maladie, refuser toute contrainte, toute épreuve, toute expression d’une difficulté, etc. Il y a une tolérance zéro pour le tracas, le souci. Ce que l’on obtient au bout du compte, c’est le meilleur des mondes selon Huxley.
– Nous voyons le déterminisme gagner et de ce fait nous nous méfions de la liberté que nous prenons pour une illusion.
Nous mettons en place des protocoles, des statistiques, des algorithmes qui remplacent l’illusoire libre expression de notre volonté, c’est-à-dire de notre libre-arbitre. Des machines surveillent jusque dans notre intimité ce que nous faisons de façon à ce que nous nous plions à ce qui est prescrit pour le bien de tous. Le bien commun impose à chacun de qu’il doit faire. C’est le monde totalitaire d’Orwell.
En opposant la liberté et le déterminisme, nous arrivons dans une impasse où l’être est nié. Il est nié dans sa nature contextuelle et il est nié dans son essence.
En réalité, si nous n’oublions pas l’être humain dans l’équation, le déterminisme et la liberté ne sont pas les membres d’une opposition, mais d’une dialectique. Une dialectique dans laquelle, comme nous allons le voir, l’être est directement interpelé.
2- LIBERTÉ ET DÉTERMINISME comme membres d’une dialectique.
Si nous suivons Laplace et disons que l’Univers est entièrement déterminé, alors disons également qu’il obéit aux lois qui le déterminent, et comme il est le tout (Univers – le Un), il est à l’origine de ses propres lois et donc également libre. L’Univers n’est pas que déterminisme, car il est totalement déterminé et tout à la fois libre ; ce qui revient à dire qu’il est ni déterminé ni libre. Il est tel qu’il est. La liberté et le déterminisme ne sont pas en opposition dans l’Univers. Ils ne font qu’un. Ils sont indifférenciés.
Ce n’est qu’avec l’apparition de la conscience que la liberté et le déterminisme se différencient. Dès la première étincelle de conscience émerge déjà la liberté, puisqu’en réagissant selon un référentiel propre, la conscience s’interpose dans une chaîne de causalités. Elle interrompt une chaîne de causalités et l’oriente dans une nouvelle direction.
Ainsi, la liberté n’est pas l’opposé du déterminisme. Elle est ce qui en nous choisit une nouvelle direction, une nouvelle direction qui initie une nouvelle chaîne de causalités. Elle est un déterminisme choisi, intériorisé.
Hegel nous dit même qu’elle est le déterminisme qui, prenant conscience de lui-même, entre en contradiction avec lui-même et s’ouvre ainsi à l’existence, à la vie. Et comme l’être dans son essence fait partie de l’Univers, nous pouvons dire qu’à travers la liberté, l’être prend conscience de lui-même. Il entre dans l’existence.
3- LA LIBERTÉ DE CHOISIR
La liberté de choisir n’est évidemment possible que si peuvent exister des critères de choix. Si toutes les directions se valaient, le monde serait absurde et arbitraire.
À un premier stade, ces critères viennent du désir que porte cette conscience qui s’éveille. C’est la liberté première, celle de cette conscience qui se distingue du tout et refuse le tout et ce que ce tout détermine à son encontre. À ce stade, il y a dans l’Univers autant de directions qu’il y a de désirs et chacun est pour l’autre un déterminisme qui s’oppose à la liberté de chacun. À ce stade, la liberté des uns commence où s’arrête la liberté des autres.
Mais cette conscience, par degrés, s’ouvre aux réalités de l’Univers et cherche indépendamment de ce qu’elle désire, ce qui fonctionne plutôt que ce qui ne fonctionne pas, ce qui est cohérent plutôt qu’incohérent et ce qui permet l’harmonie entre les choses et les autres, autant que faire se peut. Bref, elle cherche ce qu’il est possible d’appeler le bien, un bien en amont de toute morale, un bien qui est la cohérence des actes avec le réel.
Cela nous demande de percevoir ce qui est comme c’est et non comme nous désirerions que ce soit. Cela nous demande de trouver un rapport au réel et non au désir qui nous fait refuser le réel lorsqu’il est frustrant. Cela nous demande d’être présent au réel.
Si bien que lorsque l’on cherche à être présent, on se met déjà en disposition de se mettre en cohérence avec ce qui est, en cohérence avec le bien.
Ainsi, la liberté qui était à travers le désir la pure affirmation de soi, devient un enjeu de réalisation de l’harmonie avec ce qui n’est pas soi, et donc, entre autres, avec tous les autres… À ce moment-là, un Homme est dans le plein exercice de sa liberté lorsqu’il agit pour la liberté de tous (au lieu que si les Hommes s’oppressent tous les uns les autres, cela réduit la liberté de chacun).
La liberté n’est alors pas le résultat d’une absence de contrainte, mais celui du dépassement d’un rapport de force.
Elle est la force qui est parvenue à devenir amour.
4- DE CE QUI PRÉCÈDE, NOUS COMPRENONS QUE NOUS AVONS D’AUTANT PLUS LA POSSIBILITÉ D’ÊTRE LIBRE QUE NOUS CHOISISSONS D’ÊTRE PRÉSENT.
Nous comprenons également que la liberté est un exercice. Elle n’est donc pas un droit, mais l’expression d’une volonté qui tente de se réaliser à travers son union aux autres.
Ce n’est pas parce que le contexte nous détermine que nous ne sommes pas libre, mais à l’inverse, parce que nous ne sommes pas libre qu’il nous détermine et que nous en souffrons. Le contexte (l’épreuve, la maladie, le licenciement, le divorce, le deuil, etc.) n’est pas notre ennemi, mais l’opportunité de nous réaliser pleinement.
C’est parce que nous ne savons pas et ne pouvons pas choisir, qu’il nous détermine. Souvent, nous ne savons pas où diriger notre volonté. Nous la dirigeons contre l’obstacle, c’est-à-dire contre ce qui nous dérange, alors qu’il s’agirait de la diriger vers ce qui permet de percevoir la situation au présent et non comme nous la désirerions. Nous pouvons alors nous déterminer, en toute liberté.
Guillaume Lemonde
2 Commentaires
Merci Guillaume pour ton article . Prends soin de toi.
Gregory
La cohérence des actes avec le réel. Des actes, des paroles et du coeur. Merci Guillaume