N’OUBLIONS PAS LE PÈRE FOUETTARD !
N’OUBLIONS PAS LE PÈRE FOUETTARD !
Il y a peu, nous fêtions la saint Nicolas. Un premier article paru le 6 décembre, annonçait que cette fête, bien sympathique au demeurant, pourrait être l’occasion, comme probablement l’ancienne fête de Wotan qu’elle a remplacé, de faire l’expérience de la confiance en la vie… à condition de ne pas oublier le Père Fouettard ! Pourquoi donc ? C’est ce que nous allons voir ensemble.
Connaissez-vous le père Fouettard ?
Selon certaines versions de la légende, le père Fouettard est le boucher qui a égorgé, coupé en petits morceaux et mis au saloir trois enfants qui avaient trouvé refuge chez lui. C’est le méchant de l’histoire. Lors de la fête du 6 décembre, il est parfois équipé d’une chaîne ou d’un fouet qu’il fait claquer. Autrefois il distribuait des punitions aux enfants désobéissants. Parfois on disait même qu’il les enfermait dans son sac et les enlevait. Aujourd’hui il est simplement l’assistant de saint Nicolas dans sa distribution de jouets. Il est rustre, fait des farces, des pitreries et des acrobaties, mettant en valeur la majesté du bon saint Nicolas.
Dans la légende du saint Nicolas, qui supplante celle de Wotan (voir le précédent article), le père Fouettard, grimé de noir, est venu remplacer, selon certaines sources, le valet Eckart de Wotan et selon d’autres sources, les noirs corbeaux Hugin et Munin du dieu du Walhalla. Les deux corbeaux étaient pour Wotan les rapporteurs des moeurs humaines. Ils savaient tout de ce que valent les hommes, le meilleur comme le pire. Ils écoutaient aux cheminées et répétaient ce qu’ils avaient entendu en le murmurant à l’oreille du dieu.
Le père Fouettard n’a pas ce talent. Il ne connaît pas, comme les deux corbeaux, le pire et le meilleur. Il n’est que du côté du pire, double négatif du saint, son opposé et son faire valoir. Le saint s’adresse à ceux qui sont méritants, le père fouettard à ceux qui ne le sont pas.
Ainsi, la fête de la saint Nicolas est celle d’une polarité distribuée sur deux personnages : on doit trouver les bonnes grâces de Saint Nicolas par un bon comportement et redouter d’être bousculé par le père Fouettard si on n’a pas été méritant. Pour une âme enfantine, c’est une jolie image d’Épinal que ce vieux monsieur barbu qui vient dire de gentilles choses aux gentils enfants. C’est le moment d’une réjouissance évidente. Sois gentil et tu auras des oranges et des noix. Tu n’auras pas à redouter le père Fouettard !
Bref, notre bon comportement rend la vie meilleure et les gens sont heureux autour de nous (en particulier le bon saint Nicolas). Tout cela est très bien. C’est à la base de la bonne conduite en société…
Mais si j’écris ces lignes au sujet de la saint Nicolas, c’est parce que cette fête peut être également l’occasion d’une réjouissance intime d’une toute autre nature encore.
Comprenez-moi bien ! Il n’y a rien à changer à la Saint Nicolas ! C’est une très jolie fête. Pourquoi d’ailleurs faudrait-il changer quoi que ce soit à ce que l’histoire nous a légué. Cette fête est parfaite comme elle est et comme sont les choses de ce monde. Il est juste possible de la rencontrer autrement ; de la rencontrer plus profondément, plus essentiellement et d’en recueillir le présent qu’elle nous fait.
La fête de la saint Nicolas s’offre comme une occasion à notre présence.
En effet, la fête de la saint Nicolas est celle des enfants méritants. Or, lorsqu’on se pose la question de savoir si dans telle situation on a été méritant ou non méritant, adéquat ou inadéquat, convenable ou non, etc. on place sur un plateau de la balance une part de soi à laquelle on aimerait bien s’identifier (celle-ci est pour le saint Nicolas et reçoit des oranges) et sur l’autre, celle à laquelle on ne veut pas être identifié (on l’enferme dans le sac du père Fouettard). C’est ainsi que nous préférons fermer les yeux sur la moitié des comportements possibles et les oublier.
Être présent, c’est rester avec les deux plateaux de la balance.
Devenir l’axe de la balance…
Lorsque les corbeaux Hugin et Munin rapportaient à Wotan les comportements des hommes, ils étaient présents à tous les comportements, les meilleures comme les pires, les bons côtés comme les mauvais. Ils n’occultaient pas une partie des comportements. Ils ne fermaient les yeux sur rien, laissant tout à la lumière (Hugin signifie «pensée» ou «esprit» en vieux norrois. Peut-être est-ce lui qui ne fermait les yeux sur rien) et se souvenaient de tout (Munin signifie «mémoire » en vieux norrois. Peut-être est-ce lui qui se souvenait de tout).
Les deux corbeaux tenaient les deux plateaux de la balance.
Dans la légende de saint Nicolas, les deux plateaux de la balance sont formés par le saint Nicolas et le père Fouettard.
Alors n’oublions pas le père Fouettard !
Si nous oublions le père Fouettard, la balance est déséquilibrée. Elle perd son axe.
Si en revanche nous ne l’oublions pas, nous pouvons, comme l’axe de la balance entre les deux plateaux, rester un instant avec l’un puis l’autre plateau, pour bien nous placer au milieu :
En pratique, nous pourrions rester un moment avec la proposition : Je suis adéquat.
Voyez quelle impression cela fait de se dire : je suis adéquat.
Puis : Je suis inadéquat.
Voyez quelle impression cela fait de se dire ça. Il ne s’agit pas de se blâmer, de se juger. Juste se dire : Je suis inadéquat et observer comment cela se vit. L’observer avec autant d’attention que de se dire Je suis adéquat.
Garder en conscience un petit moment l’une puis l’autre proposition.
(c’est la fonction du corbeau Hugin – la pensée, l’esprit).
Dans un troisième temps, se souvenir des deux, ensemble.
(c’est la fonction du corbeau Munin – la mémoire).
Laisser résonner les deux ensemble.
Se tenir avec les deux, sans les mettre en balance, sans les comparer.
Juste rester avec ces deux impressions différentes.
Ce faisant, on s’aperçoit (essayez toujours de nouveau) que l’on se désidentifie de ces valeurs qui ne sont là que pour nous rassurer.
Le champ est libre pour percevoir que les choses du monde sont en ordre comme elles sont.
La vie est en ordre comme elle est.
La vie est bonne.
Si l’on n’oublie pas le père Fouettard, si on ne le relègue pas au rôle de serviteur de saint Nicolas, s’il retrouve sa place polaire à celle du saint, alors un intervalle se forme. En gardant les deux ensemble, sans préférer l’un à l’autre, ce que l’on découvre, c’est que la vie est bonne quoi qu’il en soit, que l’on se juge adéquat ou inadéquat… On découvre la confiance en la vie.
Guillaume Lemonde
1 commentaire
J’ai une pensée pour le petit âne…
Celui qui chemine avec Saint Nicolas et le Père Fouettard, sur le chemin, qui porte les cadeaux qu’il dépose à chaque porte et croque les carottes qui lui sont offertes ! La vie est bonne !
Celui qui perçoit, calme, présent à chaque instant,
Merci
Christelle