QUELQUES MOTS AU SUJET DE L’AVENIR ET DE L’ESPACE INTIME
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Relation thérapeutique
- Date 9 février 2024
QUELQUES MOTS AU SUJET DE L’AVENIR ET DE L’ESPACE INTIME
Lorsque nous nous retournons sur ce que nous avons vécu, lorsque nous nous souvenons d’une rencontre qui a eu une importance déterminante pour notre parcours, nous pouvons acquérir le sentiment que c’est ce qui s’est passé ensuite qui la rendait nécessaire. A priori, nous ne pouvions imaginer les développements qu’elle allait rendre possible. Elle semblait n’être que le fruit d’un heureux hasard : peut-être avions-nous été invité à une soirée et nous avions rencontré une personne qui se trouvait là. Pourquoi se trouvait-elle là au même moment que nous dans la même pièce ? Pourquoi avions-nous commencé de parler ensemble ? Aucune raison a priori ne permettait de le prévoir. D’ailleurs, elle aurait tout aussi bien pu s’arrêter le soir même, après un bon moment passé ensemble. Mais quelques années plus tard, lorsque nous nous retournons sur ces événements, nous voyons que tout ce qui est arrivé après ce soir-là, rendait nécessaire que cette rencontre se fasse. C’est après coup que nous voyons combien cette rencontre était importante. Elle rendait possible que notre vie prenne une certaine direction, devenue claire seulement maintenant. C’est après coup que les rencontres prennent du sens, comme si le sens qu’elles portent se trouvent dans l’avenir et que l’avenir préside au rapprochement des gens qui se rencontrent. Comme si, finalement, l’avenir en nous nous rend disponible aux rencontres essentielles. Cette étrange formulation nécessite bien sûr une explication. Qu’est-ce que cet avenir en nous ?
Cet avenir en nous est une part bien mystérieuse. Elle est en quelque sorte, si nous voulons bien penser la chose conséquemment, nous-même nous contemplant depuis l’avenir, c’est-à-dire, pourquoi pas, depuis la fin de notre existence. Elle est ce que nous sommes, dans le plein aboutissement, dans la pleine manifestation de notre être, dans la pleine expression des talents que nous cherchons à manifester, et qui se penche sur ce que nous sommes aujourd’hui. Nous n’avons pas conscience de l’avenir. Nous ne connaissons que le passé et le passé semble nous pousser à faire ce qu’il détermine en nous. C’est toujours à partir du passé que nous trouvons les raisons qui président à nos actes. C’est parce qu’il s’est passé ceci ou cela que nous faisons ceci ou cela. Et nous pouvons explorer le passé en sondant ce qu’il a déposé en notre intériorité. Nous y trouvons les souvenirs d’événements qui nous déterminent aujourd’hui à agir comme nous le faisons, qui nous pousse à avoir telle préférence, telle aversion, telle opinions, telles formes de pensées, etc.
Mais l’avenir, s’il se trouve quelque part en nous, ce n’est pas dans notre intériorité. L’avenir ne peut pas s’y être déposé puisqu’il est encore à venir… Nous ne pouvons pas en avoir conscience. Il est bien caché ailleurs que dans ce que notre conscience peut atteindre. En reprenant l’allégorie d’Alice au pays des merveilles, nous pourrions dire qu’il se trouve de l’autre côté du miroir, dans un espace à l’envers de l’intériorité, de l’autre côté d’une paroi intérieure, plus intérieur encore que l’intériorité ; il est dans une sorte d’intériorité au superlatif. En latin le superlatif d’interior se dit intimus : notre intimité, obscure à ce que la conscience peut approcher, puisque trouvant sa source dans l’avenir.
Notre intimité, c’est là où nous sommes pleinement à la source de nous-même, une source où nous puisons la pleine essence de notre être. Et c’est elle qui s’offre à la rencontre à condition que nous lui laissions la place, c’est-à-dire que nous ne saturions pas l’instant avec tout ce que le passé a déposé dans notre intériorité. Nos préférences, nos aversions, nos opinions, nos pensées toutes faites, etc. Tout cela doit se taire à un moment. Notre intimité a besoin de silence pour que la rencontre se fasse.
Un silence à partir duquel nous ne suivons pas les pensées qui s’imposent à nous. Nous n’alimentons pas les jugements qui nous traversent, nous ne suivons pas les sentiments qui nous prennent. Nous sommes avec ce qui vient à nous, avec cette personne qui s’approche et non pas avec les échos qu’elle provoque en nous.
Or, l’intimité, inconnue à nous-même, cette part de nous qui s’approche de nous depuis l’avenir, s’approche comme s’approche cette personne encore étrangère que nous sommes en train de rencontrer. Notre intimité est du même côté que la personne qui vient à nous et à laquelle nous pouvons offrir notre silence. Et c’est ainsi que cette personne nous offre d’éclairer notre intimité par sa propre présence. Elle nous révèle à nous-même à travers la rencontre, tout comme nous la révélons à elle-même. Autrement dit, ce que nous sommes encore caché dans l’avenir, devient présent dans la rencontre.
L’intimité est un processus social mystérieux. Tout à la fois complètement retranché de la visibilité sociale, elle est en même temps ce qui s’offre à l’autre lorsque s’ouvre l’avenir, c’est-à-dire lorsqu’advient ce qui n’a jamais été, du nouveau : sans intimité à partager, il n’y aurait jamais de réelle rencontre mais des arrangements avec le passé, du commerce, en quelque sorte, pas d’inventions, pas de créations, pas de moments originaux, aucune initiative.
C’est la qualité de cet espace intime – que nous acceptons d’ouvrir en faisant silence pour nous ouvrir à l’autre – que nous percevons lorsqu’un jour nous nous retournons sur notre vie et constatons que telle rencontre, dont il n’était pas possible de dire quoi que ce soit a priori, était essentielle.
Guillaume Lemonde
Médecin, chercheur, développe et enseigne la démarche Saluto dans ses différents champs d'application. Après des études de médecine à Lyon, il découvre la pédagogie curative et la sociothérapie, alliant la pédagogie et la santé. Pour lui, la question de toujours est d’offrir l’espace et les moyens permettant à chacun de devenir acteur de sa vie. Il ouvre un cabinet en Allemagne où il poursuit ses recherches dans le cadre de l’éducation spécialisée, puis en Suisse.
À partir de l’étude des grands chapitres de la pathologie humaine, il met en évidence quatre étapes de la présence à soi et au monde (1995) et découvre et développe à partir de cette recherche la Salutogénéalogie (2007) et la démarche Saluto (2014).
Il donne des conférences et des séminaires de formation pour enseigner cette démarche.
Il est auteur de publications faisant état de ses travaux.
1 commentaire
Il y a quelques mois je me disais que le terme que l’on emploie pour faire allusion à hier, contenait l’avenir. Il s’agit du sous-venir.
Par ailleurs, j’écoutais hier l’astrophysicien Jean-Pierre PETIT, qui parlait de JANUS. Je vais étudier ce que cela contient car je pressens
que cela a un lien avec la description que vous faites du lien entre hier et demain. Merci.
MB