RENCONTRER CE QUI VIENT DE L’AVENIR
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Éducation (Saluto Éducation), Exercices pratiques, Psychologie (Saluto Psychologie), Santé, Temporalité, Travail biographique (Saluto Biographie)
- Date 29 septembre 2023
RENCONTRER CE QUI VIENT DE L’AVENIR
Nous avons en français deux mots pour désigner ce qui se trouve après maintenant.
D’une part, il y a ce que nous désignons par le futur.
Le futur est ce qui vient après le présent. Il est à la suite de maintenant, sur la flèche du temps. Ainsi, il est la conséquence de ce qui s’est passé avant et il nous est donc possible de le prévoir. Pour cela, il suffit de prolonger, pour chaque événement, les causes que nous leur connaissons, vers l’après-maintenant.
Si nous parlons des futurs époux, c’est qu’il est prévu qu’ils se marient. De même, nous pouvons dire : les futurs étudiants doivent s’inscrire avant la fin de l’été, ou encore : la reine a donné naissance au futur roi. En somme, le futur représente tout ce que nous pouvons prévoir : ceux qui s’inscrivent avant la fin de l’été deviendront étudiants et l’enfant de la reine est destiné à devenir le roi. À l’inverse, ce que nous ne pouvons pas prévoir n’appartient pas au futur.
Mais après maintenant, il y a également ce que nous appelons l’avenir.
L’avenir n’est pas le futur.
L’avenir advient. Littéralement, il vient à nous, il s’approche de nous. Il désigne l’après-maintenant en train de devenir présent. Il suit une temporalité inversée, si bien qu’il est impossible de le prévoir. L’avenir est plein d’absolument tout ce que nous ne pouvons pas prévoir.
Lorsque nous nous représentons à quoi ressemblera demain, nous suivons la flèche du temps et projetons ce que pourrait être le futur. Mais nous savons que jamais demain ne sera exactement comme nous l’avons prévu. Ce qu’il sera en réalité, nous ne le saurons que lorsque nous y serons.
Tandis que le futur est une construction, une abstraction que l’on peut approcher selon un calcul de probabilités, l’avenir est la réalité concrète qui s’en vient à notre insu et qui ne peut s’éprouver qu’au moment où elle est advenue. La réalité ne se prévoit pas, elle s’éprouve. En advenant, l’avenir remet en question ce que nous avons prévu, c’est-à-dire le futur que nous nous sommes construit, et de ce fait également le passé sur lequel nous nous sommes appuyés pour le prévoir. L’avenir ne découle pas du passé : en suivant une direction opposée à celle de la flèche du temps, c’est au contraire tout le passé qu’il remet en question : il a raison des pronostics (même des pronostics médicaux). Il a raison des évidences, des conditionnements, des déterminismes. Ce qu’il apporte avec lui est, par nature, imprévisible, original et unique.
Si, au cours d’une rencontre, qu’elle soit thérapeutique ou dans le cadre d’une activité d’enseignant, nous nous proposons de rendre possible ce qui vient de l’avenir, c’est à cette réalité-là que nous voulons nous ouvrir ;
c’est ce que la personne (le patient, l’élève, etc.) a d’original et d’unique et qu’il ignore encore de lui-même que nous voulons rencontrer. Ce sont ses talents, dans la pleine expression de son être, que nous voulons rencontrer.
Et si nous voulons que ces talents deviennent présents, il va nous falloir apprendre à leur faire de la place (condition non suffisante mais nécessaire). Cela va impliquer de ne pas saturer la rencontre avec ce qui vient du passé.
Mais est-ce seulement possible ? Notre psychisme n’est-il pas entièrement déterminé par ce qui dans le passé y a été déposé ? Par exemple, nos perceptions ne sont-elles pas sous l’influence de notre cadre de référence ? Nous le savons bien : les représentations que nous nous faisons du monde influencent directement la manière dont nous percevons, entendons la personne qui se présente à nous. Nous ne reconnaissons que ce que nous connaissons déjà… Certains professionnels ont cru bon vouloir se débarrasser d’au moins une des fonctions psychiques, à savoir les sentiments, pour les empêcher d’interférer sur la faculté de jugement. Mais en réalité, si nous voulons nous ouvrir à l’avenir, la question n’est pas de supprimer ce qui nous dérange pour le faire. En supprimant ce qui dérange, nous oublions que le problème existe aussi longtemps que nous manque le talent pour le rencontrer. Nous oublions l’avenir. Nous voyons un rocher en travers du chemin, nous voulons le supprimer, mais nous oublions le randonneur qui contre toute attente pourrait trouver une autre voie pour continuer son chemin ; nous voyons les aspects du psychisme qui posent problème, nous voulons les « travailler », les maîtriser, mais nous nous oublions nous-même dans l’équation.
Pour ouvrir un espace de rencontre propice à rendre l’avenir possible, il ne va pas s’agir de supprimer, de reconditionner ou de mater ce qui dans notre psychisme peut être dérangeant, mais au contraire de lui ajouter une présence qui ne s’y trouve pas : cette présence, c’est nous-même exerçant des talents permettant de rencontrer ce qui, dans le psychisme, nous détermine ; à savoir les perceptions déterminant nos sentiments, les sentiments déterminant notre faculté de jugement, la faculté de jugement déterminant les pensées qui nous habitent et les pensées qui nous habitent déterminant ce que nous percevons.
Si nous voulons nous ouvrir à l’avenir, il va être nécessaire de lui faire de la place, c’est-à-dire de découvrir la présence capable de renoncer à suivre ce que le passé nous propose.
Lors d’une rencontre, les pensées qui nous viennent, les échos que le discours du patient ou les comportements de l’élève provoquent en nous, sont de cette nature. Ce sont des encombrements du présent par le passé (le futur qui peut nous occuper à l’occasion est lui-même un produit du passé projeté plus loin dans le temps). Ces encombrements du présent par le passé font disparaître l’expérience du présent, seul instant où nous pourrions agir. Ils envoilent le présent dans ce qui nous vient du passé et nous finissons par rêver le présent, à force de suivre les échos et les pensées que chaque perceptions induit en nous.
Ce qui en nous serait capable de ne pas suivre cet enchaînement de pensées, ne peut pas soi-même appartenir au psychisme. Cela signifie qu’aucune de nos fonctions psychiques ne peut le soutenir. Ainsi, ce n’est pas directement une affaire de perception que nous devrions affûter. Ce n’est pas non plus une affaire de sentiments, de point de vue ou de cadre de référence. D’ailleurs, comme ce qui en nous est capable de ne pas suivre cet enchaînement de pensées est nécessairement affranchi de la flèche du temps, cela ne peut pas non plus se développer dans le temps pour devenir de plus en plus fort. Cela peut juste être complètement présent à certains moments ou ne pas être présent du tout.
Cette réalité ne s’explique pas. Comme tout talent, cela s’éprouve, cela s’exerce. Et cela s’exerce sans attente d’une réussite, puisque sinon, nous plaçons l’exercice dans la flèche du temps et lui faisons perdre l’expérience qu’il nous propose de faire. Toutefois, à force de s’exercer, la chose est toujours plus simple de vivre.
L’exercice pourrait consister tout simplement à se taire une minute et à remarquer que des pensées nous viennent.
Il nous faudrait décider à un moment donné de ne pas suivre la pensée qui nous occupe à cet l’instant. Nous remarquerions alors que cette pensée revient ou qu’une autre revient et nous déciderions de nouveau de ne pas penser à son sujet.
Cet exercice demande de s’installer dans ce renoncement et de constater que dans ces moments-là les pensées ne nous encombrent pas. Ces moments-là durent une seconde, deux secondes. Et l’on recommence l’exercice. Il devrait être répété chaque jour, toujours de nouveau.
Il ne s’agit surtout pas d’essayer de calmer les pensées en se concentrant sur un point que l’on fixerait ou sur sa respiration (cette tentative serait une tentative de notre psychisme mettant en place une stratégie et passant à côté de l’expérience.).
Il ne s’agit pas de vouloir supprimer les pensées qui nous viennent, de vouloir faire le vide intérieurement, mais d’être présent aux pensées et de décider à mesure qu’elles s’en viennent de ne pas les suivre.
Nous avons à découvrir que nous pouvons renoncer à ne pas suivre une pensée qui s’est imposée à nous. Cette découverte est un grand moment, car elle inaugure la possibilité d’ouvrir un espace libre de ce que le passé instille en nous. Cela ouvre une brèche au cœur du temps, un espace apte à recevoir quelque chose d’inédit, de nouveau, d’original, d’unique.
Cet exercice préliminaire est une préparation pour percevoir et permettre ce qui vient de l’avenir. Il pourra être mis au service de la rencontre. Nous pourrons alors écouter ce qui se dit sans suivre les échos qui se forment en nous. Sans suivre les pensées qui s’imposent à nous et les bonnes idées que l’on croit devoir noter, alors qu’elles nous éloignent de l’originalité de la rencontre présente.
Tout se passe comme si cette attention ouvre un espace dans lequel l’autre peut naître à soi-même.
Les talents qui s’approchent de lui depuis l’avenir ont la place pour venir à lui, non comme une connaissance ou une prise de conscience, mais comme une expérience intérieure qui peut le toucher, l’ébranler, le mettre en mouvement.
Guillaume Lemonde
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