LA STABILITÉ DU FUNAMBULE
- Posté par Guillaume Lemonde
- Catégories Articles, Démarche Saluto, Exercices pratiques
- Date 5 mai 2023
LA STABILITÉ DU FUNAMBULE
Devant le parvis de la belle église Saint-Martin de Vevey se dresse des arbres majestueux. Entre deux d’entre eux, un homme avait tendu une corde. Il était tôt le matin. Le soleil, au-dessus des dents du midi, baignait d’or ces premières heures du jour. Le merle chantait et l’homme, sur sa corde, dansait. Il dansait avec grâce et légèreté. Il faisait quelques pas et soudain tournoyait, poursuivant sa progression tout en tournant autour de son axe. Le spectacle était saisissant. Le tout se déroulait dans un silence profond comme celui que l’on entend lors de l’élévation qui précède une eucharistie.
ÉLÉVATION
Après quelques minutes, il sauta gracieusement de sa corde et je le félicitais, lui témoignant mon admiration. Il me sourit et me dit qu’il ne pouvait que m’encourager à essayer d’en faire autant. « Voilà seulement deux ans et demi que je m’y suis mis », me dit-il. « C’est extraordinaire ce que l’on découvre en faisant cela. On balance à gauche, à droite et l’on trouve entre les deux, progressivement, en intégrant ce mouvement latéral, un centre. Plus je suis à cet endroit et plus je m’élève. C’est entre la gauche et la droite un centre qui est stable et qui aspire vers le haut. La chute est possible à gauche ou à droite, mais entre les deux il y a un endroit qui est dans la légèreté de l’équilibre. Figurez-vous qu’après deux ans et demi d’exercice sur une corde, je me suis redressé dans cette légèreté et moi qui avais une scoliose, je n’en ai plus aujourd’hui. J’en ai parlé à un ami ostéopathe et nous allons mettre en place une prise en charge pour aider ceux qui ont mal au dos »… « Si vous essayez, prenez une corde courte, sinon l’amplitude sera trop grande. Et ne la tendez pas trop sinon les oscillations seront trop rapides. » Sur ces bons conseils, nous nous saluâmes.
PESANTEUR ET GRÂCE
Je reste transporté par cette rencontre. Ce témoignage est magnifique. J’ai essayé de le retranscrire ici au mieux. En-tout-cas, même si le mot à mot de cet échange m’échappe aujourd’hui, l’esprit y est : entre les mouvements opposés se trouve un centre de lévité. C’est l’exact sujet de « la Pesanteur et la Grâce » de Simone Weil. La pesanteur est celle du monde qui agit sur nous. La pesanteur agit sur nous, tout comme le désir par exemple, qui agit sur nous en nous faisant tomber vers la gauche ou la droite selon ce qui se présente. Il nous fait osciller entre la sympathie et l’antipathie. Entre les deux, en revanche, au moment où l’on peut se placer là où sont visibles les deux côtés à la fois, on découvre un endroit qui nous fait tomber vers le haut… (dirait S. Weil), un endroit de lévité.
SE PLACER LÀ OÙ SONT VISIBLES LES DEUX CÔTÉS À LA FOIS
Tout comme le funambule reste avec la droite et la gauche en même temps, la présence au milieu du mouvement oscillant des sentiments s’éprouve lorsque l’ouverture et la fermeture des sentiments se vit en même temps. Cela n’est évidemment pas naturel, tout comme cela n’a rien de naturel de marcher sur une corde ! Mais pour ce faire, on peut dans un premier temps éprouver ce que cela fait de se dire « j’aime ». « J’aime », c’est s’ouvrir. Dans un deuxième temps « je n’aime pas ». « Je n’aime pas », c’est se fermer. Enfin, ayant vécu ces deux expériences, l’exercice proprement dit commence : pouvons-nous rester avec le souvenir des deux expériences, sans préférer l’une d’elles à l’autre ? Rester là où l’on vit les deux côtés à la fois ?
Le vécu que cela procure est celui d’un ancrage stable et bien posé au sol et, en même temps, cet ancrage va de pair avec un redressement, tout comme se dresse l’axe de la balance entre les deux plateaux.
À CE SUJET, UNE VIDÉO EXPLIQUANT CET EXERCICE : la stabilité, qu’est-ce que c’est…
Ainsi, sur le parvis de l’église Saint Martin, le funambule exerçant l’équilibre faisait sien un talent de même nature que celui qui manque lorsqu’avec quelqu’un on essaie de ne pas se perdre dans la relation et que l’on voudrait garder le lien tout en restant centré sur soi. Le funambule exerçait exactement le même talent. Cela ne se faisait pas métaphoriquement, mais réellement, complètement, à travers son corps.
Guillaume Lemonde
Laisser une réponse Annuler la réponse
Vous aimerez aussi

LE MARCHAND DE PILULES

LES PEURS DE L’ÉDUCATEUR

7 Commentaires
Cher Guillaume,
Merci de persévérer dans l écriture de tes articles. Je te lis régulièrement et cela me ramène à chaque fois aux sessions de formation auxquelles j ai participé avec toi, et avec cela à tout le contenu plein de profondeur et de sens que tu nous a partagé, en même temps qu à ta présence porteuse de ces enseignements. Les événements de ma vie m ont amenés à une reconversion professionnelle et, devine quoi, j ai choisi le métier de charpentier. Il se trouve que sur les toits nous avons bien souvent la nécessité de travailler cet équilibre…j avais choisi ce métier pour d autres raisons mais me voilà malgré moi obligé de me confronter à cet exercice très régulièrement et je t avoue que c est une surprise plutôt agréable. J aime être sur les toits précisément pour cette raison. J ajoute qu en plus de devoir être Là à chaque déplacement, et d avoir les pieds “sur terre”, nous avons pour autant la tête dans les cieux ! À prendre de la hauteur dans ces conditions, l horizon s élargit, les perspectives s approfondissent et s élargissent ! Un autre conséquence très appréciable qui peut être thérapeutique elle aussi, n est ce pas !
Je n oublie pas par ailleurs les exercices de présence que tu nous as partagé et , bien que je ne sois pas des plus assidus faute de ritualisation de ce côté, il m arrive régulièrement de m y adonner et, bien évidemment, de faire l expérience des bienfaits que cela procure.
Bref, merci encore et sache que même si je ne commente quasiment rien, j apprécie énormément tes articles, comme ce doit être le cas pour d autres.
Prends soin de toi!
Cher Grégory, c’est très bon d’avoir de tes nouvelles. Effectivement, l’équilibre du charpentier est de même nature que ce qui est décrit dans l’article. Tu exerces finalement au quotidien la présence que nous envisagions sur un autre plan lors de la formation. Je te souhaite le meilleur entre la terre et le ciel. Prends soin de toi!
Merci Guillaume pour les sujets que vous traitez avec autant de savoir-faire et de savoir-être qui, peu à peu, s’intègrent en moi et me permettent ainsi de comprendre des choses déjà en cours de compréhension pourrais-je dire mais sous d’autres formes.
Cependant, dans l’article d’aujourd’hui, j’ai des difficultés à comprendre la phrase : “un talent de même nature que celui qui manque lorsqu’avec quelqu’un on essaie de ne pas se perdre dans la relation et que l’on voudrait garder le lien tout en restant centré sur soi.” Il y a deux négations “manque” et “ne pas se perdre” et à chaque fois qu’une phrase comprend deux négations, j’ai toujours des difficultés à comprendre ce que veut exprimer l’auteur de la phrase. Ce serait gentil à vous de m’éclairer.
Encore merci pour ce que vous nous offrez.
Mathilde
Bonjour Mathilde, je vais formuler la phrase autrement : Le talent qu’exerce le funambule est celui de l’équilibre. Il est de même nature que l’équilibre intérieur que l’on cherche en ces moments où on essaie de ne pas se perdre dans la relation et que l’on voudrait garder le lien tout en restant centré sur soi.
Mieux ? Bien à toi
C’est de nouveau Mathilde. Je viens seulement d’écouter la vidéo sur la stabilité intérieure et maintenant, je pense mieux comprendre la phrase qui me posait problème à l’instant. En fait, nous n’avons pas à essayer de faire autre chose qu’à rester paisiblement avec ce qui est là : d’un côté je perçois que je suis totalement en lien avec l’autre au point de réaliser que je me perds; de l’autre côté je perçois que je souhaite rester centrée sur moi et ne pas me perdre; et au centre de ces deux perspectives, je reste stable… Un bel exercice… MERCI.
Voilà 🙂
Merci Guillaume ! cet exercice d’équilibre que pratique le funambule est de même nature que la pratique du taichi qui permet aussi d’exercer, outre le calme intérieur, la concentration et le centrage, la spatialisation sauf que nous ne sommes pas en équilibre sur une corde mais bien les pieds sur terre, pris entre le ciel et la terre. Cette pratique rend calme et conscient du moment présent et nous permet de percevoir ce qui nous entoure sans nous décentrer. La moindre inattention, le fait de penser à autre chose que ce qui est, fait perdre l’équilibre et décentre. Cette pratique journalière m’a beaucoup aidée pendant la crise du Covid.